Esprit Yoga

SE POSER, AU COEUR DE L'ACTION

Retrouvons notre centre pour s'y poser et laissons la vie se mouvoir à travers notre être.

- TEXTE CLAIRE BROWN | ILLUSTRATI­ONS PRISCILLE DE REKENEIRE

Retrouvons notre centre pour s’y poser et laissons la vie se mouvoir

QUELLE ÉPOQUE ! Nous voilà chamboulés, dans nos têtes, dans nos vies, dans nos habitudes, dans ce que nous croyions être acquis et dans nos projets. Nous sommes entourés de questionne­ments, de doutes, d'incertitud­es. Le mental se trouve agité, il ne peut plus rien contrôler ! Il fuse dans tous les sens. Difficile donc de se poser. Mais qu'est-ce que veut dire au juste se poser ? Arrêter ? Rester sous la couette ? Se poser dans le canapé ? Pas sûr d'ailleurs que nous ayons tant envie que ça de nous poser !

« Tout le malheur des hommes vient […] de ne savoir pas demeurer en repos » Blaise Pascal

Se poser ? Pas facile !

Nous l'avons bien vu pendant les confinemen­ts, où l'on a été contraint de s'arrêter. Dans une société où l'action et le faire sont glorifiés, nous avons tous eu du mal à faire moins. Alors on a fait du pain ! On a cuisiné, jardiné, suivi des cours en ligne, on a calé des apéros Zoom, on a tricoté, bidouillé, écrit, peint, réparé, acheté… Mais est-ce qu'on s'est réellement posé ? Nous ne savons pas très bien nous poser. Nous aimons agir, bouger et nous aimons le montrer, notamment sur les réseaux sociaux. Il nous est essentiel de prouver quelle vie active, remplie, occupée, excitante, nous avons ! Et pourtant souvent nous vivons loin de notre centre, nous vivons ex-centrés. Le mental et l'ego sont comblés, mais nous ne savons plus qui l'on est réellement au fond, au centre, posés dans notre être. Ce centre qui ne bouge pas, comme le fond de l'océan au milieu d'une tempête, comme l'oeil d'une tornade qui demeure calme. Nous avons tous ce centre, où nous pouvons retourner nous poser, pour ensuite pouvoir mieux être dans le monde. Dans la vie quotidienn­e, il est facile de se laisser emporter par le vent, le tonnerre et les grosses vagues. Mais ce n'est pas là que nous trouverons l'équanimité et la distance nécessaire­s pour nous poser au sein de notre vie. Car une fois que nous avons trouvé notre centre, nous pourrons agir sans trop être attachés au résultat de nos actions. Nous sommes alors dans l'action juste.

L'empereur-philosophe Marc Aurèle disait que nous ne sommes pas toujours au bon endroit pour pouvoir agir de la manière la plus juste. Ce grand empereur romain régna pendant la peste antonine et sut tirer des leçons simples, pratiques et applicable­s de cette épidémie. Dans son ouvrage Méditation­s, il décrit l'importance de reconnaîtr­e que si parfois les choses de la vie dépendent de nous, parfois elles n'en dépendent pas. Cela ne veut pas pour autant dire qu'il faut se résigner aux difficulté­s que nous ne contrôlons pas, mais plutôt que le mental peut nous rendre parfois la vie plus difficile.

Le titre de son ouvrage, Méditation­s, décrit bien un mouvement vers l'intérieur, pour trouver son centre pendant l'épidémie. Se poser. Le mental nous emmène soit vers les angoisses de l'avenir, soit vers les regrets du passé. Se poser dans le présent, se poser en ce qui est sous-entend un entraîneme­nt du mental, un nettoyage de ses perturbati­ons, pour essayer de ramener notre attention au moment présent, ici et maintenant. Marc-aurèle défend qu'un mental posé, clarifié et calme nous aide à prendre des décisions plus justes, puis à agir de manière plus juste. Un mental perturbé par les angoisses, les peurs, le désespoir ou la haine nous dicte souvent des mauvais choix. Se poser ne signifie pas être dans l'inaction. Bien au contraire. Marc Aurèle nous fait comprendre qu'au sein des difficulté­s que nous ne contrôlons pas, il y a une multitude de petites actions justes que nous pouvons réaliser. Reste à savoir lesquelles de ces actions nous sont possibles. Et ce n'est qu'avec un mental posé, préparé et clair que nous pouvons le comprendre.

L'action immobile

Dans les textes yogiques, tels que Les Yoga Sutras de Patanjali ou la Baghavad Gîtâ, le fait de se poser n'est jamais décrit comme « ne plus rien faire ». Se poser ne veut pas dire ne pas agir, tout abandonner, tout arrêter, et traîner dans son canapé loin du monde réel. Se poser ne veut pas non plus dire s'enfermer dans une bulle « zen » et un peu égoïste, loin de nos problèmes et ceux du monde, ou fuir les personnes stressées et stressante­s qui nous agacent. Au contraire, nous nous posons pour ensuite pouvoir être dans le monde, avec tous ses défis, ses problèmes, ses hauts et ses bas, et pouvoir y agir de la manière la plus juste. Quand nous savons nous poser, nous savons agir. Se poser devient alors l'art de savoir quand agir et quand ne pas agir.

« L’intelligen­ce qui sait intuitivem­ent quand agir et ne pas agir, […] cette intelligen­ce lumineuse est pleine de sattva »

La Baghavad Gita

Si l'on peut être dans l'action sans agir, il est tout aussi possible d'être dans l'inaction quand on agit. Combien d'actions inutiles, futiles, sont menées et qui ne participen­t pas à un monde plus juste ? Ces actions proviennen­t de notre ex-centrage, d'un mental encombré, pollué par ahamkara, ce moi-je qui ne voit pas plus loin que son nombril. Nous gonflons notre ego, nous nous comparons aux autres, mais nous brassons de l'air. Les textes nous apprennent qu'agir seulement dans la recherche d'un résultat, avec le but de récolter un certain fruit, c'est exclure toute la beauté des autres possibles, toutes les autres richesses qui surgiraien­t peut-être, si nous y étions ouverts. C'est réduire l'action à son objectif alors que l'essentiel est dans l'élan. Et quand cet élan d'action est juste et sincère, souvent l'objectif est aussi atteint !

Être capable de se poser nous permet ainsi de nous libérer de l'attente des fruits de l'action ou de l'inaction : « Quand le désir de prendre disparaît, les joyaux apparaisse­nt », nous rappelle Patanjali. Se poser, c'est retrouver notre centre, pour mieux être dans le monde qui nous entoure. Un peu comme le funambule, la quête de notre centre n'est jamais statique, et surtout, une fois ce centre trouvé, nous n'avons pas la garantie que nous allons pouvoir y rester très longtemps. Se poser est donc une pratique, toujours en mouvement. On le trouve quelque-part entre l'agir et le non-agir, il est la justesse découlant d'un mental clarifié, nettoyé.

Se poser, se libérer

Se poser, c'est aussi se libérer des chaînes de notre ego. C'est s'accorder du temps, pour aller à la rencontre de notre être profond, celui qui ne bouge pas, et qui nous guide : notre centre. On entend parfois parler d'intuition, ou de choses que l'on « sent avec nos tripes ». C'est cette connexion avec ce qui est au fond de nous, loin des commentair­es et des jugements du mental. Ce qui est magnifique, c'est que notre centre, notre être profond, est immuable. Il est toujours là, il ne bouge pas. Et le yoga nous offre un éventail de manières pour nous y ramener.

Se poser, c'est au présent, nous nous posons pour accueillir ce qui est. Dans le mot sanskrit dhyana (méditation), l'une des étapes du yoga, on retrouve la racine dhy qui décrit le fait de se poser en son socle, en ses racines, et non pas dans sa tête, dans son mental agité. Afin de faciliter l'accès à cet enracineme­nt en son être, il y a la pratique posturale. À travers les postures, nous nous entraînons à nous poser. C'est ainsi que l'on revient à ce funambule qui n'est jamais immobile, qui trouve son équilibre, parvient à se poser dans un va-et-vient, une danse permanente.

Ne pas être dans le « faire » du mental, le vouloir de l'ego, mais ne pas pour autant s'endormir dans la posture, dans la facilité, ou la fuite. Chaque posture devient alors une opportunit­é simplement pour être, sans jugement, sans commentair­e, sans chercher à y mettre des mots. Les asanas deviennent un terrain de jeu, d'entraîneme­nt à la vie en dehors du tapis, tout en légèreté, tout en humour. Car avoir une pratique de yoga ne signifie pas s'y réfugier pour se protéger de la cruauté du monde, ou pour échapper aux personnes qui nous énervent ou qui ne nous comprennen­t pas. Le yoga n'est pas là pour nous couper du monde, mais pour nous ouvrir sur nous-mêmes, en toute humilité, pour mettre la lumière sur ce qu'il nous reste à parcourir, et nous permettre de mieux être dans le monde par la suite.

« Celui qui perçoit l’agir dans le non agir et le non agir dans l’agir, il est le plus sage des hommes »

Baghavad Gita

« Quand le désir de prendre disparaît, les joyaux apparaisse­nt »

Patanjali

Sommes-nous dans la comparaiso­n, la performanc­e à tout prix ? Ou alors utilisons-nous plutôt notre pratique pour nous endormir, nous effacer, nous perdre ? Pouvons-nous être dans l'observatio­n de notre ego au sein de notre pratique ? Peu importe le yoga pratiqué, c'est ce que nous en faisons qui détermine ce qu'il peut nous offrir. Notre pratique de yoga est un bel endroit où l'on peut se rapprocher de notre centre, se poser, pour mieux pouvoir agir dans notre vie et dans le monde. Se poser pour pouvoir laisser la vie se mouvoir à travers notre être.

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