APNÉE ET YOGA
Travailler souffle et présence est nécessaire aux apnéistes pour maîtriser les profondeurs. Avec l'aide du yoga.
Retenir son souffle, longtemps
COMMENT LE yoga permet-il d'améliorer la pratique de l'apnée, cette rencontre si singulière entre l'air et l'eau ? Peut-il nous enseigner comment mieux respirer afin d'apprécier pleinement le vécu avec l'eau et sous l'eau ?
La performance et la tâche
L'apnée peut être perçue comme un loisir agréable, permettant d'explorer des fonds marins sans équipements contraignants, mais aussi comme une discipline sportive exigeante, voire de haut niveau. Pour les sportifs aguerris, l'apnée est un moyen de jouer à défier la poussée d'archimède en faisant reculer les limites corporelles et mentales : toujours plus loin, toujours plus longtemps sous l'eau, en apnée ! Quelles motivations profondes les poussent-ils à dépasser ces limites ? Quels outils puisent-ils dans le yoga pour évoluer sur leur chemin et dans leurs performances ?
« Quand le souffle s’égare, le mental est instable, quand le souffle est calme, le mental est calme »
Hatha Yoga Pradipika
La psychologie du sport ou les techniques de préparation mentale ont observé que pendant les descentes en apnée, certains sportifs sont plutôt axés sur la performance et d'autres davantage centrés sur la tâche. Les profils privilégiant la performance auraient tendance à être tournés davantage sur l'ego (la quête du « bon » résultat), tandis que les profils attentifs surtout à la tâche vivraient chaque mouvement et leurs sensations corporelles dans l'instant présent (le vécu de l'apnée). Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les études montreraient que la manière optimum de performer serait de se concentrer sur la tâche. Pour obtenir la meilleure performance, le meilleur moyen serait de s'en détacher, pour vivre pleinement « l'ici et le maintenant », l'état de flow.
Se recentrer pour mieux performer
Conscients de l'importance de la dimension mentale de leur préparation, un nombre croissant de sportifs de haut niveau se tourne vers la méditation de pleine conscience, la sophrologie, la relaxation, la cohérence cardiaque… des pratiques où le souffle permet à la fois de revenir à soi, à l'instant présent, et de développer ses capacités respiratoires, son apport en oxygène. Les « techniques » utilisées dans le milieu de l'apnée vont surtout intéresser les zones attachées au diaphragme, essentielles au développement des capacités pulmonaires. Beaucoup d'apnéistes se tournent vers le pranayama, ou s'en inspirent. En effet, en alliant la pratique du pranayama et certaines postures, ils peuvent travailler à la fois sur leur musculature, leur souplesse, leurs capacités pulmonaires, leur rythme cardiaque mais aussi sur leur mental afin d'affronter, de résister, d'accepter la pression qu'ils subissent lors de la descente en profondeur. La pratique du yoga les aide à activer certaines capacités cognitives mises à mal lorsqu'on exécute des tâches en mode « pilotage automatique » : l'attention, la concentration, l'organisation, l'anticipation, la flexibilité, l'inhibition, etc. Plus la respiration sera posée et régulière, plus le mental sera stabilisé, ainsi le coeur entrera en « cohérence » et le corps s'oxygénera de manière idéale.
Les pratiques du yoga pour l’apnée
Les asanas peuvent être utilisés comme support de routine, d'entraînement à l'apnée afin d'assouplir le corps soumis à des fortes pressions. Par exemple, bhujangasana, la posture du cobra, ustrasana, la posture du chameau, matsyasana, la posture du poisson permettent une ouverture thoracique. La salutation au soleil est également intéressante car elle sollicite aussi bien les muscles dentelés que les pectoraux tout comme les muscles scalènes et sterno-cléido-mastoïdien impliqués dans les mouvements du diaphragme. Aussi, les kriyas, comme par exemple, Jala Neti, Sutra Neti, Nauli Kriya, Kapalabhati permettent aux apnéistes de nettoyer certaines régions respiratoires et de faciliter la compensation lors des apnées (équilibrer la pression dans les oreilles). Uddhiyana banda est aussi très utilisé : il permet la contraction abdominale et simule les sensations du diaphragme lors des apnées. Il peut être travaillé assis, debout ou allongé, ce qui fait varier le ressenti de la force de gravité.
Concernant le pranayama et les prana vyayamas, ils entraînent le système respiratoire à la réception et l'expulsion de volumes d'air plus importants que ceux engagés lors de la respiration « spontanée ». La respiration dite complète sollicite l'abdomen, le thorax et la région claviculaire : l'oxygène de l'air inhalé s'infiltre dans la circulation sanguine pour être distribué aux cellules du corps. Cependant, dans le milieu de l'apnée, l'accent est davantage mis sur l'expiration afin de débarrasser le corps du dioxyde de carbone et encore plus d'éviter l'hyperventilation, qui retarde le moment où l'apnéiste ressent l'envie de respirer et le mettrait donc en danger (risque de syncope).
« Pour s’élever, il faut d’abord descendre en soi »
Voltaire
Au-delà de la performance
Qu'est-ce qui pousse cette poignée de plongeurs profonds à s'exposer au risque lors des descentes ? Est-il nécessaire de « se retrouver » dans un milieu aussi hostile (profondeurs, courants, absence de lumière) pour plonger en soi ? Se confronter au danger, à l'extrême, permettrait de se retrouver enfin face à soi-même, afin de s'accepter avec ses forces et ses faiblesses, en lâchant prise. Certains apnéistes auraient besoin de verticalité : alors que le grimpeur défie la gravité pour s'élever toujours plus haut, l'apnéiste défie Archimède et vise toujours plus bas, plus profond, en se privant de respirer. D'autres parlent de revivre des moments passés, enveloppés du liquide amniotique. Ils vivraient leur expérience d'homme au travers de l'eau par le biais de la respiration, où la première inspiration et le premier contact avec l'air seraient vécus comme une nouvelle naissance contrôlée.