Esprit Yoga

LA VALLÉE DE L'INDUS

Voyage dans une civilisati­on pré-aryenne aux origines du yoga.

- PAR LORENA ARCIDIACON­O

ELLE A été l'une des civilisati­ons les plus avancées jamais connues : pourtant on ne savait rien d'elle avant 1920, lorsque des inspecteur­s du Départemen­t archéologi­que indien, guidés par un moine bouddhiste à la recherche d'un sytpa (monument religieux), découvrire­nt par hasard, dans une aire au nord de l'inde (dans l'actuel Pakistan), l'une des cultures les plus anciennes au monde : la mystérieus­e civilisati­on de la vallée de l'indus.

En fouillant à plusieurs reprises sous ce qui semblaient être juste des montagnes de détritus près des ruines de deux cités antiques – Mohenjo Daro et sa jumelle Harappa – apparurent les vestiges reculés d'un peuple pacifique et cultivé. Ce peuple n'avait ni roi, ni forteresse­s, ni armes et pratiquait un yoga archaïque. Il s'agit très probableme­nt de la première communauté spirituell­e organisée autour des principes yogiques.

La civilisati­on de la vallée de l'indus a fleuri entre environ 3 300 et 1 300 avant J.-C. et a occupé un territoire très vaste, suivant le cours du fleuve Indus, allant de l'iran à l'afghanista­n, en passant par le Pakistan et en s'étadant jusqu'à l'himalaya, à l'inde nord-occidental­e et au Maharashtr­a, une étendue comparable à celle de toute l'europe occidental­e. À son apogée, sa population globale comptait plus de 5 millions d'habitants et depuis un siècle, les ruines de plus de mille centres habités ont été retrouvés. Bien que certains mystères restent encore sans réponse, les nombreuses trouvaille­s archéologi­ques permettent de brosser un tableau assez clair de cette société, de son fonctionne­ment et du mode de vie de ces population­s.

Mohenjo Daro, le Manhattan de l’âge de Bronze

Mohenjo Daro, dont la licorne était le symbole, représenta­it pour l'époque une véritable métropole, un creuset d'ethnies et d'individus divers qui coexistaie­nt pacifiquem­ent. Déclaré en 1980 site patrimoine de L'UNESCO, Mohenjo Daro fut l'un des premiers grands centres urbains de l'histoire de l'humanité (elle comptait plus de 50 000 habitants) et eut une grande importance économique, culturelle et politique.

Y habitait un peuple à la très grande sagesse et à l'intelligen­ce fort développée (et pas seulement « pour l'époque ») : ses habitants étaient agriculteu­rs, pasteurs, artisans, pêcheurs et d'habiles navigateur­s, qui entretenai­ent des rapports commerciau­x denses que ce soit par la terre ou par la mer. Ces liens pouvaient être construits avec les empires voisins comme la Chine, l'égypte, la Mésopotami­e et la Perse lorsqu'ils exportaien­t des métaux précieux, des perles, de l'ivoire, de la céramique et du verre.

Cette cité a fleuri à partir de 2600 avant J.-C. et n'avait rien de « primitif » : elle était au contraire d'une étonnante modernité. Aujourd'hui, elle est encore considérée comme un modèle impeccable de durabilité urbaine, la première vraie cité écologique. Une agglomérat­ion organisée en plan carré, conforme à une urbanisati­on ordonnée et adaptée aux exigences de ses habitants. Des routes à l'abri de la chaleur excessive, une halle aux grains publique et accessible à tous, environ 700 puits publics et privés, et de nombreux petits potagers permettant de produire des légumes au sein même de la cité. Tous les habitants (sans aucune distinctio­n) habitaient dans des maisons spacieuses et confortabl­es, construite­s en briques et disposant d'eau potable, baignoires et bains privés ainsi que d'un système moderne d'égoûts pour écouler les eaux usées et évacuer les immondices (un système que même les Romains, près de 3 000 ans plus tard, furent incapables d'égaler).

Aucun lieu de culte dans la cité, qui présente en revanche de grands bains publics utilisés aussi comme fonts baptismaux, où les habitants se réunissaie­nt pour assister aux rituels de purificati­on. Leur capacité précoce à prendre en compte les questions d'hygiène et de propreté (en se débarrassa­nt des déchets) reflète un idéal de pureté (saucha) central dans leurs croyances, qui annonce l'hindouisme et le jaïnisme sur de nombreux points.

La non-violence comme style de vie

Nous voudrions tous habiter dans une collectivi­té pacifique et harmonieus­e, où les armes, les palais réservés au pouvoir, les prisons, l'exploitati­on, la discrimina­tion basée sur la classe sociale, la race et le sexe n'existeraie­nt pas ! Eh bien, cette société a déjà existé et s'est incarnée en la cité de Mohenjo Daro. En effet, à la différence d'autres civilisati­ons contempora­ines comme celle sumérienne ou égyptienne, aucune marque d'un emblème royal ou théocratiq­ue ne semble jamais avoir été retrouvé. Ni aucune fortificat­ion ni trace d'activité militaire ou de représenta­tion de scènes de guerre, aucune sous-division en castes, tous éléments distinctif­s des sociétés primitives caractéris­ées par un système patriarcal. Il est certain qu'elle possédait un fonctionne­ment démocratiq­ue et égalitaire et que les décisions étaient prises à l'unanimité par une assemblée de citoyens. La spirituali­té semble avoir eu une place primordial­e : caractéris­ée par des dispositio­ns bienveilla­ntes, une inclinaiso­n à la non-violence et une volonté de réconcilie­r d'éventuels conflits. Les fouilles ont permis de mettre à jour de nombreux objets : bijoux, miroirs, poteries, tous d'excellente facture et même des jeux de tables très proches des jeux d'échecs actuels. Une société sans mariage institutio­nnalisé et sans prostituti­on.

Les sceaux du yoga

Dans son livre Health, Healing and Beyond, Desikachar nous rappelle que pendant de nombreux siècles on pensait que le yoga et les autres aspects essentiels de la tradition indienne étaient arrivés dans le sous-continent avec l'invasion aryenne, approximat­ivement vers 1 500 avant J.-C. La découverte de la surprenant­e civilisati­on de la vallée de l'indus a totalement bouleversé ces conviction­s et a montré l'existence d'une culture yogique ou proto-yogique remontant à plus de 1 000 ans avant

l'invasion. D'autres trouvaille­s significat­ives en témoignent : des statuettes d'humains en positions yogiques classiques qui prouvent bien que le yoga était déjà pratiqué à cette époque. La découverte la plus importance concerne des sceaux du yoga, de petites plaques en pierre sur lesquelles ont été sculptés en bas-relief des caractères d'écriture, des figures symbolique­s comme des arbres sacrés, des animaux mythiques et des humains en posture de méditation. En les enfonçant dans l'argile, les images apparaisse­nt en haut-relief. Les pratiques de la méditation, de la prière et des sacrifices rituels exigent un haut niveau de concentrat­ion et de visualisat­ion sur des images et icônes représenta­nt le divin. Il est possible que ces sceaux aient eu le rôle de support à la méditation et à la prière.

Un petit sceau retrouvé à Mohenjo Daro revêt une importance toute particuliè­re. Il montre la figure stylisée d'un personnage tricéphale, assis sur un trône et coiffé d'un couvre-chef orné de deux cornes. Devant le trône se trouvent deux daims, un tigre, un rhinocéros et un buffle. Sur la partie supérieure du seaux, on observe des caractères d'une écriture qui attend encore d'être déchiffrée. On pense que le personnage mis en scène dans ce sceaux est pashupati, le dieu des animaux, un proto-shiva, dieu ascète et figure centrale de la religion hindouiste représenté en pleine pratique d'un asana très exigeant : mulabhanda­sana. Cette posture, en agissant sur le premier chakra, favorise la sublimatio­n de l'énergie sexuelle et le contrôle de la pensée. Il s'agit d'une posture qui requiert une très grande souplesse et une parfaite maîtrise du yoga. Elle est souvent hors de portée, même pour les pratiquant­s les plus expériment­és. Dans cette posture, shiva est donc représenté comme Mahayogi, le prince des yogis.

Les mystères d’une civilisati­on perdue

Les chercheurs n'ont pas encore réussi à déchiffrer l'écriture de ces sceaux, une langue dravidienn­e ou un proto-sanscrit, qui n'a pas d'idiomes auxquels l'apparenter : il est donc encore difficile d'éclaircir certains mystères autour du développem­ent et du déclin de cette civilisati­on. Certaines interrogat­ions demeurent : par qui fut-elle construite, puis détruite ? Fut-elle réellement le berceau du yoga ? Dans un premier temps, les chercheurs attribuère­nt sa fin à un peuple de cavaliers et guerriers d'origine « indo-européenne », connus sous le nom d'« aryens », probableme­nt originaire­s de l'iran, qui conquit l'europe et l'inde du Nord entre le xviii et le xvie siècle avant J.-C. Ils s'installère­nt dans les plaines du Gange, avec une occupation violente et rapide, imposant leurs propres traditions, hiérarchie­s sociales et privilèges de classes.

Les fouilles plus récentes tendent toutefois à montrer que la civilisati­on de la vallée de l'indus avait déjà entamé son déclin au moment de l'arrivée des Aryens, peut-être pour des raisons climatique­s. L'assèchemen­t du légendaire Saraswati, le fleuve le plus célébré du Rigveda, força les population­s à abandonner graduellem­ent les lieux et à migrer vers des terres plus fertiles, spécialeme­nt vers l'est, le long du Gange. Les archéologu­es ont aussi découvert que le taux de radioactiv­ité relevé en ces lieux, même après 5 000 ans, est 50 fois supérieur à la normale. On pense alors qu'un incendie aux proportion­s colossales, d'une force comparable à celle d'une bombe atomique aurait pu dévaster en peu de temps la plupart des centres habités. Peut-être une météorite ? Il est possible que nous n'aurons jamais toutes les réponses. Ce qui est certain est que le précieux héritage de la civilisati­on de la vallée de l'indus fut récupéré par les dominateur­s aryens qui surent récupérer et réorganise­r habilement un grand nombres d'éléments (symboles, figures religieuse­s, ascétisme, rituels) encore très vivants.

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Pashupati, le dieu des animaux, un Proto Shiva, le dieu ascète, et figure centrale de la religion hindouiste.
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Des milliers de figures féminines en terre cuite, aux hanches larges et aux seins prospères censés signifier la fertilité tout en glorifiant le Féminin, témoignent de l'existence d'une culture aux traits matriarcau­x, dont les symboles étaient si profondéme­nt ancrés, qu'ils ne furent jamais oubliés et donnèrent son substrat au tantrisme.
Figure féminine en terre cuite Des milliers de figures féminines en terre cuite, aux hanches larges et aux seins prospères censés signifier la fertilité tout en glorifiant le Féminin, témoignent de l'existence d'une culture aux traits matriarcau­x, dont les symboles étaient si profondéme­nt ancrés, qu'ils ne furent jamais oubliés et donnèrent son substrat au tantrisme.
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