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« Je veux que les choses restent toujours un jeu »

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Les conditions de la production étaient simples. Ok pour une interview, mais celle-ci se déroulerai­t à l’issue d’un spectacle qui durera 2 h 30. Une façon de repousser les moins motivés. Aussi parce que beaucoup de réponses figuraient entre les chansons ; Hugues Aufray ne s’est pas contenté de chanter de 1957 à nos jours mardi soir. Il a remonté le Cadran, confié ses souvenirs. Et, à 86 ans (il ne cache pas son âge, il précisera même sa date de naissance - le 18 août 1929), il en a vécu et connu des choses. Devant la porte de la loge, une grappe des plus ultras des fans de l’artiste attend pour un selfie, une griffe sur un papier, un disque ou un livre. L’une d’elles, Ébroïcienn­e, a sur elle une photo qu’elle a prise à Evreux en 1961. «Il ne m’avait pas rendu mon stylo», se souvient-elle. «J’espère qu’il va me le rendre», souritelle. La porte de la loge s’ouvre. Hugues Aufray apparaît. Déjà le temps presse. L’interview se fera debout. Les questions iront à l’essentiel.

Comment avez-vous vé l’accueil, ce soir ? trou-

Hugues Aufray : C’est une très belle salle ; elle était pleine. Pour un artiste, il y a deux choses importante­s : que la salle soit pleine et qu’elle soit belle. La décentrali­sation, c’est important. Tout le monde ne peut pas aller voir un concert à Paris, à l’Olympia. Moi, je tiens absolument à venir ici - je m’en fous pas mal du prestige qui consiste à se faire plus rare et passer dans des grandes salles, comme le Palais des sports ou le Stade de France. D’abord, faut être capable de les remplir, mais ce n’est pas mon truc.

« Je n’ai pas le droit à la retraite » Vous avez offert un spectacle de 2 h 30 alors que vous pourriez très bien, comme le font certains, faire une tournée tiroircais­se, plier l’affaire en 1 h 30, rappels compris…

Je dis tout le temps que je n’ai pas le droit à la retraite parce que je n’ai jamais travaillé. Ma définition du travail, c’est quand on fait quelque chose qui vous ennuie pour gagner sa vie. Moi, ce qui m’ennuie, c’est de ne pas chanter. Autrefois, je chantais pour mes amis. Et puis un beau jour, on m’a payé. C’était la même chose. Donc, aujourd’hui, quand je suis sur scène, je veux m’amuser. Or, si je fais un spectacle d’une heure sur scène, je ne m’amuse pas. Parce que je n’ai pas le temps de dire ce que j’ai à communique­r, comme lorsque vous êtes avec des amis, vous passez une soirée, il y en a un qui raconte des histoires drôles, il fait le spectacle. Moi, je suis sur scène. Et, ce soir, ce que j’ai fait, ce n’est pas la même chose que j’ai faite la semaine dernière. C’est ça qui m’amuse. Si c’était tous les soirs pareils, ça ne m’amuserait sûrement pas. À cause de ça, je me donne une amplitude de 2 h 30. Ce n’est pas pour tenir les gens plus longtemps, c’est parce que si je ne chantais que les chansons connues que les gens veulent, ça ne m’amuserait plus. Comme je mélange les chansons anciennes, comme Céline, des chansons qui ont 40 ans, Stewball, qui ont 60 ans presque, les mélanger avec d’autres choses, c’est ça qui m’amuse.

Est-ce que vous avez un «secret» pour la longévité ?

Non. Pas du tout. On peut dire qu’il ya très longtemps que j’ai arrêté de fumer. Je pense que c’est quand même quelque chose d’assez important. Je ne bois pratiqueme­nt pas d’alcool. Je bois un peu de vin avec les copains quand on est en goguette.

Dans toutes vos interviews, vous parlez de la sculpture, de la peinture. Ce soir, vous les avez à peine évoquées - même si vous étiez entouré de peintures et d’une sculpture.

Hier, je voulais remercier quelqu’un, un type adorable. Il est riche, il ne lui manque rien. Je voulais lui faire un cadeau pour le remercier. Je lui ai donné une petite toile que j’avais faite. Il m’a dit : «Pourquoi tu ne les vends pas ?» Pour les vendre… Une fois, j’ai fait une exposition, je voyais les gens qui regardaien­t les toiles ; j’étais derrière, j’avais honte. J’avais honte de mes toiles. Je me disais : celle-là, ça ne va pas, celle- là j’aurais dû refaire ceci ou cela. Je n’avais pas assez confiance en moi. Et en plus de ça, les vendre, ça va un peu contre mon truc, parce que je peignais pour m’amuser. Donc, j’ai un problème. Pas avec l’argent, mais… comment dirais-je ? Je veux que les choses restent toujours un jeu. À un moment, peut-être que je me déciderai à faire une exposition. J’en ai fait une de mes sculptures au musée Maillol à Banyuls, j’en ai vendu deux.

Qu’est-ce qui vous a donné le goût de la sculpture ?

Oh, rien. C’est naturel.

Ce n’est pas possible, il y a forcément un élément déclencheu­r, un artiste, une oeuvre ?

Ben oui. Quand j’étais enfant, j’ai vu les sculptures d’Henry Moore, l’Anglais. Et Maillol. J’avais vu, évidemment les Grecques, toutes les sculp- tures égyptienne­s, tout ce qui est gréco-romain, voilà. Après, c’est instinctif.

« Pour la réforme permanente » Dans votre spectacle, en revanche, on sent bien que la politique vous titille, vous avez des choses à dire sur la situation du pays.

La définition que j’ai donnée de la dictature…

D’Aldous Huxley

C’est formidable ! C’est exactement ce que nous vivons. Moi, je prétends que la démocratie est impossible. C’est une utopie, comme l’anarchie. On dirait que le seul régime qui soit réaliste, c’est la dictature. On prétend être en démocratie sous prétexte qu’on vote alors qu’en réalité ça ne sert à rien puisqu’aucun gouverneme­nt en France ne peut faire de réformes. Or, la politique, c’est des compromis, s’adapter aux situations au fur et à mesure qu’elles se présentent. Forcément, il devrait y avoir un esprit de réformes qui devrait être permanent. Mitterrand disait : La révolution permanente. Mitterrand, c’était un opportunis­te. Je déteste Mitterrand car il incarne tout ce que je déteste. La politique politicien­ne. Alors que je serais pour une politique humaniste, basée sur la logique, la morale, etc. Et donc je serais pour la réforme permanente. Il faut changer sans arrêt. Parce que c’est ça qui est naturel. Nous avons hérité de l’esprit de la Révolution française, mais c’est une catastroph­e, un désastre la Révolution française. On ne peut pas dire que le niveau social a été élevé par la Révolution française. Regardez dans les monarchies, il y en a 7 ou 8 en Europe, ils sont même plus socialiste­s que nous… Donc, il n’y a aucune relation entre la monarchie et la dictature. Louis XVI était prêt à faire une monarchie qui évolue, mais on n’a pas voulu le laisser se réformer. Ils ont voulu la révolution. Et la révolution, ça détruit tout. Donc, je suis pour la réforme. Et, lorsque vous voyez ce qui se passe aujourd’hui, vous voyez que ni la droite ni la gauche ne peuvent mettre une nouvelle loi en place, parce qu’immédiatem­ent il y a une minorité qui dirige. Si en démocratie, c’est la minorité qui dirige, il faut le dire. C’est une nouvelle forme de dictature. Le texte que j’ai lu ce soir, c’est ça. (suite page 16)

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