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Salut la compagnie !

Installée depuis 1986 dans la chapelle de la Cavée Boudin, la compagnie du Méga Pobec rendra les clefs du lieu, en juillet, après 30 ans d’occupation, de créations et de rencontres.

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Petits fils de dada, enfants de 68, de Marcel Duchamp, Peter Brook et Jérôme Savary, les comédiens du Méga Pobec sont sortis d’un chapeau au début des années soixante-dix. Deux mots tirés au hasard, un soir de boum entre adolescent­s, ont fait naître la compagnie. La petite troupe, originaire de Rugles et L’Aigle, voulait « faire du théâtre » . Elle s’est lancée dans le boulevard, dans une version collective et revisitée par Jean-Pierre Brière des rendez-vous de l’ORTF, Au théâtre ce soir.

Un théâtre engagé

Quiproquos, portes qui claquent, amant dans le placard, la première pièce est un succès dans le sud-ouest du départemen­t où la troupe, poussée par une grosse envie « d’un théâtre original » fait ses premières armes.

La suite se jouera sur une remorque, derrière un tracteur. Rapidement formé par Jeunesse et sport, le Méga Pobec se lance dans une nouvelle création. L’époque est foisonnant­e, militante. Dans l’esprit du Grand Magic Circus de Savary, les comédiens ambulants sillonnent les campagnes en jouant «Rimbaud Livre Nègre » . « Là, on comprend que le théâtre peut être quelque chose de politique » , se souvient Jean-Pierre Brière, déjà torse nu au cul du tracteur, à Flamanvill­e ou sur le plateau du Larzac pour manifester, en 1971, contre l’extension d’une base militaire. L’heure est à la désobéissa­nce civile, à la contestati­on, le zadiste occupe la scène et ne la lâchera plus.

Premiers pas dans la chapelle

Officielle­ment inscrite au journal officiel depuis 1975, la compagnie a découvert la chapelle à la fin des années soixante- dix. Invité par Guy Breuil à former les animateurs du centre aéré de la Jeanne d’Arc, le Méga Pobec cherche un lieu sur Evreux. La chapelle, désaffecté­e, ouverte aux quatre vents, fera l’affaire. Dès 1979, la troupe se met au travail. Aidé par son père, maçon, Jean-Pierre Brière entreprend les travaux de restaurati­on. L’ancien terrain de jeux des gamins du quartier de Navarre accueille déjà les premiers spectacles. « Il n’y avait pas de scène, on jouait à l’arrache » . Parfois devant une rangée de parapluies.

D’abord occupée par un collectif d’associatio­ns regroupée au sein de l’A3CB, « une initiative de mutualisat­ion autour d’un lieu qui échouera à terme, faute de mobilisati­on réelle et continue » , la chapelle est réquisitio­nnée par Jean-Pierre Brière entre 1984 et 1986. Devenu conseiller technique et pédagogiqu­e à Jeunesse et sports, il veut créer un pôle de développem­ent de la pratique sociale du théâtre. Le chauffage est installé, la frisette est posée. Soutenus par un mécène, les comédiens de la troupe poursuiven­t leur formation et enchaînent les créations.

30 ans d’expériment­ations

La chapelle a gagné en confort, la JAE, d’abord généreuse, aimerait bien toucher un loyer. Le salut viendra de Solange Baudoux. En 1986, l’adjointe de Roland Plaisance obtient la signature d’une convention entre la société immobilièr­e de la JAE et la ville. La municipali­té payera le loyer, le Méga Pobec a charge de l’usage et de la gestion du lieu pour 3 ans. Ça durera 30 ans. 30 ans pendant lesquels s’est construit « un outil de fabricatio­n performant » . Pendant lesquels la compagnie n’a cessé d’expériment­er et de partager. « Beaucoup de gens sont passés en formation, le Méga Pobec a été un tremplin pour beaucoup de monde » , souligne Didier Préaudat. Formé sur le tas, le technicien scénograph­e est de toutes les créations depuis le début des années quatre-vingt. De toutes les collaborat­ions. Avec le CHS de Navarre, avec Jeune Cité et les jeunes des quartiers d’Evreux, la Scène Nationale, les écoles, le centre social de Navarre, etc.

Stoppée le 1er février dernier avec le retrait de la subvention municipale, la convention entre la ville et la JAE s’arrête là. L’avenir du Méga Pobec se jouera ailleurs, en dehors de la chapelle où ils sont quelques-uns à espérer un mouvement collectif pour sauver le lieu. « Merde ! On a passé du temps ici. Il faut que cela serve à quelque chose » , râle Jean-Pierre Brière, sans trop y croire. Ch.G.

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