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Cramps et Macron, chacun ses fans

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L’Ébroïcien Patrick Bainée cosigne avec le Rouennais Patrick Cazengler Le Petit abécédaire de la crampologi­e, chez Camion blanc. Pour fêter la sortie du livre, ils donneront une conférence vendredi 9 décembre à 18 heures à la Médiathèqu­e avant que toute la scène rock locale se retrouve à 20 heures au club de la Smac (entrée gratuite) pour une Lux Lives Evreux, organisée par Venus in fuzz et L’Atelier(s). El Cramped, Ex-next, Golden Romeos, Le Goût acide des conservate­urs, Metro Verlaine, Purr, Swingadjos, Tibia, Tremolo, You Said Strange, Gogo Yubari reprendron­t des chansons du groupe américain.

Tout commence par une rencontre sur le bord d’une route. Erick Lee Purkhiser prend en stop Kristy Marlana Wallace. On est en 1972. Ils ne se quitteront plus, formeront un couple à la ville et deviendron­t Lux Interior et Poison Ivy sur scène, les fondateurs de The Cramps, groupe de rockabilly post-moderne qui écrira quelque 150 chansons, donnera son tout premier concert en 1976. « Parfois, je me dis qu’ils n’ont jamais passé un jour séparés, une heure ».

Novembre 2016. Un pavillon ancien, à l’orée du quartier de La Madeleine, à Evreux. Patrick Bainée ouvre la porte. Son jeanpolo-bleu passe-partout tranche avec l’univers bariolé et spectacula­ire du groupe américain. Rien ne laisse présager qu’il est un des crampologu­es les plus éclairés, les plus érudits. Dans le milieu, on le surnomme le Professeur Von Bee. Passé la cuisine, on découvre au bout d’un couloir son salon/sanctuaire, ses murs de disques, des goodies improbable­s (sac à vomi, boîtes à pilules, Ken et Barbie en Lux et Ivy), de la musique en permanence. « Il possède tout ce qui existe sur les Cramps et même ce qui n’existe pas », résume Cazengler le loser - Patrick Cazengler, on y reviendra.

« Je ne me souviens pas du déclic », dit-il. Quand il est tombé dans le chaudron musical. Peut-être l’influence d’un oncle plus âgé qui sortait en boîte dans un Lisieux pas très rock’n’roll à l’exception de son Monoprix. « J’y allais acheter mes disques. Je me souviens avoir acheté Satisfacti­on quand il est sorti en juillet 1965. Août, peut-être, car juillet, c’était la sortie en Angleterre. Comme les 45 tours des Troggs, les Kinks, les Beatles, les Stones. Pour les gens de mon âge, ceux qui n’habitaient pas dans une grande ville, Monoprix était un endroit où il y avait pas mal de disques. Surtout des 45 tours ».

« Les 45 tours »

C’est l’âge d’or du vinyle. Les 45 tours étaient calibrés pour les bourses des jeunes, leur argent de poche. « Trois EP quatre titres coûtaient moins cher qu’un album », se souvient-il. Puis le CD a tué le vinyle. « En France !, rectifie-t-il. Où on nous a expliqué que c’était désuet, comme le rockabilly quand les Beatles sont arrivés. Sauf que ce n’est pas vrai. Moi, j’ai toujours acheté des vinyles ». Pour ce qui est de la musique, « la France est peut-être rock, mais elle n’est pas rock’n’roll », tranche-t-il. Un coup de pied dans le micro de notre Johnny national. « Hallyday, ça ne me dérange pas. Ça ne me touche pas ».

Pour la première fois, il va prononcer leur nom, s’en référer. « Comme disent les Cramps, la différence entre le rock et le rock’n’roll, c’est que tout est un peu rock aujourd’hui. Tout le monde a le tee-shirt Ramones. Mais le rock’n’roll, au départ, c’était faire l’amour. C’est un état d’esprit. C’est : pas se prendre la tête. Ce n’est pas U2 avec ses discours un peu chiants. Ni Sting ». Bref, pas les années 80. « J’ai bossé pendant un an dans un magasin de disques à Caen. Je me suis rendu compte que j’aimais trop la musique pour en vendre. C’était en 1979-80, les premiers Police, U2, quand le rock vire dans ce que je n’aime pas. Tant mieux si ça se vend par millions. J’avais du mal à vendre des choses que je n’aimais pas ».

« Le coup de foudre »

Il trace des lignes de démarcatio­n. Précise : « J’ai jamais été musicien. Bon, maintenant, je chante… si on veut [on le verra plus loin]. Mais je ne connais pas la musique. Un pote a commencé à m’apprendre la guitare et, assez vite, je me suis dit : Non. J’ai eu peur de perdre… Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’émotion, la sincérité et je ne veux surtout pas avoir une oreille technique. J’ai une chaîne, je l’ai achetée avec mes premières payes de travail de vacances, j’avais 18 ans. C’est un matos correct, mais je n’ai jamais voulu avoir un super matos. On n’écoute pas un disque pour régler sa chaîne ».

Quand arrivent les Cramps. « J’étais fan des Stones. Puis The Flamin’ Groovies - je suis pote avec eux, c’est un groupe que j’adore depuis 30/35 ans. Puis Iggy Pop. Au lycée, on m’appelait Iggy. Il y avait une boutique, rue Rodier, à Paris. Elle s’appelait Fun. C’était la boutique du fan-club d’Iggy Pop. On y trouvait des 45 tours américains, de nouveaux arrivages réguliers. Et, un jour, je vois cette première pochette de Surfin’ Bird, des Cramps. J’achète le disque. Le coup de foudre. J’achète le deuxième : Human Fly, morceau emblématiq­ue, en tout cas, mon préféré. Ils passent en concert, je vais les voir à L’Exo 7, à Rouen, puis au Palace, deux jours après ». Le virus est inoculé, il va faire son oeuvre : « J’ai commencé à garder à peu près tout ce que je pouvais lire sur eux, les enregistre­ments, les posters - que j’ai refilés depuis - 6 ou 7 ans plus tard ».

Pour être tout à fait honnête, il rend hommage à Philippe Garnier, « un type du Havre qui avait écrit un truc sur eux. Il a peut-être joué aussi un rôle. Il habitait Los Angeles, c’est le premier à avoir parlé des Cramps dans un magazine français - dans Rock & Folk, en 1977. Le déclic, c’est quand j’ai trouvé le 45 tours ». Rien ne sera plus jamais comme avant, désormais. Sur scène, Brian Gregory - premier guitariste des Cramps - subjugue Patrick. « Il avait une frange, comme ça. Il faisait rentrer et sortir les clopes de sa bouche sans les mains. Il les crachait sur le public. Il y avait un côté malsain, mais dans le bon sens du terme », résumet-il, tout en appelant sa femme à la rescousse. « Qu’est-ce que tu dirais du premier concert des Cramps ? »

« Mon groupe favori »

« Époustoufl­ant ! Une classe folle ! La grande claque ! C’était quelque chose qu’on n’avait pas vu avant. Dans la fougue, l’énergie. Une rage un peu contenue, je ne sais pas comment dire ». Sylvie est fan. « Forcément, mais pas autant que Patrick. J’y suis venue. Je suis rentrée dedans, et comme on monte un groupe [on va le voir] ». Alors que Sylvie se classe plus dans la catégorie soul, Patrick assure qu’il n’est pas monomaniaq­ue pour autant. « Les Cramps, c’est mon groupe favori, dans l’absolu et sur la durée. Mais j’écoute beaucoup d’autres choses, j’adore Jonathan Richman, par exemple ».

De la même manière, l’excentrici­té des Cramps ne leur a pas donné l’envie d’envoyer dinguer leur garde-robe pour jouer les ersatz ridicules. « On ne les singe pas. Les fringues, ça n’a jamais été mon truc. Je vous reçois, je suis en chaussons. Je mets des tongs l’été. On a des potes qui n’enlèveraie­nt jamais leurs santiags ou leur blouson de cuir, même s’il fait 40°. On n’a jamais été marque. Il y a une phrase des Cramps qui dit : « I dont know about art, but I know what I like », ça résume assez bien le truc. On se fout de l’art ou des marques, on sait ce qu’on aime ». (suite page 18)

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