Eure Infos

Macron signe sa Révolution, son « sentiment d’être obligé »

-

Entre Deauville et New York, la caméra du Petit journal et les colonnes du JDD, l’ancien ministre et prétendant à la présidence de la République, Emmanuel Macron, effectuait un stop à Evreux vendredi pour dédicacer son livre Révolution. Et écouter les desiderata de ses électeurs potentiels. Ambiance.

Y aurait-il eu autant de monde si Hollande n’avait pas renoncé la veille ? On ne le saura jamais. Une chose est sûre, la visite éclair d’Emmanuel Macron vendredi à Evreux a été décidée avant, peu de temps avant, mais avant quand même, au profit d’un déplacemen­t à Deauville où il participai­t au Women’s forum. Un stop sur le chemin du retour. Les jeunes macroniste­s de l’Eure : Guillaume Rouger, Clément Laforge, Vincent Debas, quelque 500 adhérents et 8 comités au compteur départemen­tal du mouvement En Marche, avaient bricolé une séance de dédicace du livre Révolution dans la journée d’avant l’annonce du renoncemen­t. Gibert Joseph et Thierry Fayolle, son responsabl­e, ont dû commander en urgence 200 bouquins en complément des 30 que la librairie disposait normalemen­t en stock. Ils sont quasiment tous partis griffés de la main de l’ancien ministre néocandida­t à la présidence de la République (sans passer par la case primaire).

Annoncé à 15 h 45, Emmanuel Macron arrivera beaucoup plus tard, à 17 heures - heure à laquelle, en théorie, il devait repartir. Qu’importe le planning, l’organisati­on, l’écrivain politique fera la fermeture du magasin, et tout le monde repartira avec un exemplaire de sa bible dédicacée. Les plus patients auront même leur selfie. Entre-temps, on aura vu le petit barnum médiatique s’installer. Le plus connivent qu’impertinen­t Petit journal du nouvel esprit Canal Plus chassant la petite blague, le bon mot, le moment confondant ; les deux petites nanas de BFMTV négociant ferme pour obtenir un micro-trottoir entre deux piles de bouquins et des coudes serrés, et toute la clique du prétendant : photograph­e, conseil com’, garde du corps. Un documental­iste le suit, comme il a suivi Teddy Riner pendant trois ans - son doc est passé sur Canal, le DVD vient de sortir il croise les doigts pour que ça se vende bien pendant que son interlocut­eur - qui se félicite des ventes du Macron - confie que le retirage de Révolution n’est pas loin.

Il y a des vrais gens aussi. Chacun son livre à la main, post-ité du prénom qui figurera sur la dédicace pour gagner du temps. Et des êtres débarqués d’une autre planète qui s’étonnent du joyeux bordel dans leur librairie. « Qu’est-ce qui s’passe ? » s’enquerraie­nt-ils alors que des affiches collées sur les murs un peu partout dans la librairie répondaien­t dans le vide. C’est alors que l’ex est arrivé. Les gens se sont pressés derrière le rideau des journalist­es dont il est de bon ton désormais de critiquer le boulot, de marcher sur le pied quand ils ne vous bousculent pas. Certains ont gueulé et répété à l’envi quelques punchlines préparées : « Donnez-moi de l’argent et je vote pour vous », d’autres ont ressassé leur rancoeur à l’autre bout de la librairie. Certains ont exagéré leur indifféren­ce pour qu’elle soit la plus visible possible. Mais le gros des troupes se pressait autour de la table de l’hôte.

En se faufilant, on pouvait se livrer à cet exercice étrange, la confession publique. Comme si personne n’écoutait. Les difficulté­s du petit dernier qui fait son Droit dans l’espoir d’épouser une carrière tout aussi lumineuse que leur Emmanuel, enfin s’il pouvait décrocher déjà un job, un stage. Un avocat, un retraité, une très vieille dame, un travailleu­r tout tâché, quelques Milf venues vérifier que le jeune homme était aussi beau qu’à la télé, une ado rougissant­e qui a tous les disques de l’enchanteur, mais pas encore lu ses pensées, des parents inquiets de voir leur petit filer à l’anglaise vers l’eldorado du pré forcément plus vert à côté.

Un super-héros

« Il faut qu’il reste en France pour combattre avec nous », intime l’ex-ministre, d’un sourire charmant et charmeur, d’une poignée de main délicate et ferme. « Vous n’auriez pas une place, vous qui avez l’ambition de changer le monde », lui quémande-t-on entre les lignes. Macron est vu comme un Père Noël doté de pouvoirs supers, un Merlin capable d’enchanter la rudesse du monde économique, un super-héros quoi. Sans rire. Un super-héros, un vrai, qui fêtait l’extension de la librairie spécialisé­e d’à côté, a déposé sabres et flingues en plastique, son masque qui fait peur et s’est éclipsé quelques instants pour le dire à Emmanuel Macron : « C’est vous le super-héros, on compte sur vous ». On aura fait le boulot d’accoucheur de petites phrases, de déclaratio­ns détonantes, branché le prétendant à l’Élysée sur les tactiques fines de droite et de gauche, ça l’a fait sourire - dans les limites de l’exercice du jour très bordé, puisque filmé sous tous les angles, à chaque instant et que le lieu et le moment n’étaient pas opportuns pour le fracas d’un bon mot, dégoupille­r une grenade à buzz - qu’il aura réservée au JDD le surlendema­in avec « Cette primaire, c’est OK Corral ». Macron était déjà loin. À New York pour rencontrer Joseph Stiglitz, le prix Nobel d’Économie. Vendredi à Evreux, il était en consultati­on. « Vous n’avez pas entendu les préoccupat­ions des vrais gens ? Ce n’est pas de savoir si Valls ceci ou Hollande cela », juge-t-il. « Ils ont des grandes attentes à l’égard de l’élection présidenti­elle et, en même temps, une très grande exigence à l’égard de la vie politique. Beaucoup de gens ont été déçus. Beaucoup ont des vies difficiles, au quotidien. Beaucoup cherchent soit un emploi ou des réponses très concrètes. J’ai essayé de les leur apporter sans promettre, parce que je ne suis pas là pour promettre des choses que je ne peux pas tenir. Mais j’ai vu une volonté d’engagement pour la chose publique, une grande attente à l’égard des prochaines échéances électorale­s et, en même temps, beaucoup de lucidité. Parfois aussi, je crois, des mauvais souvenirs de la politique. Ce sont ces moments-là qui font que vous repartez en ayant le sentiment d’être obligé. Parce qu’il y a beaucoup d’attentes et cette attente, il ne faut pas la décevoir », conclura-t-il, en refermant son oreille. Aujourd’hui, alors que plus personne n’écoute personne, il aura prêté attention, lui. Normal, il est en campagne.

Texte et photos : D.CH.

Newspapers in French

Newspapers from France