Avec Il a déjà tes yeux, « on est dans une faille extraordinaire »
Le film « Il a déjà tes yeux » sort sur les écrans mercredi. Le réalisateur et comédien Lucien Jean-Baptiste (La Première étoile, Dieu Merci) était à Evreux avec Vincent Elbaz (Primaire, Tellement proches, Les Randonneurs) pour le présenter en avant-première au début du mois de décembre. Ils nous avaient accordé un long entretien. Extraits. À l’origine de ce projet, il y a une histoire que vous lisez dans un journal. Et un scénario qui préexistait, c’est ça ?
Lucien Jean-Baptiste : En gros, si vous voulez, il y avait d’un côté un scénario qui était là depuis une quinzaine d’années et moi qui tombe sur un fait divers où un couple de Noirs a vraiment donné naissance à un petit blond. Ça m’a donné envie de travailler là-dessus. Pas tant sur l’adoption, mais sur la transmission, la différence, pour aller sur les préjugés, etc. Mes thèmes de prédilection. J’ai rencontré Dominique Farrugia qui avait ce scénario depuis une quinzaine d’années, écrit par Marie-Françoise Colombani, qui s’appelait Black Adoption. Mais le film n’était pas drôle.
Pourquoi dormait-il depuis 15 ans dans un tiroir ?
Parce qu’elle n’y arrivait pas. Ça ne marchait pas.
Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas ?
Ce n’était pas drôle. Ça m’ennuie de dire : J’ai repris le scénario qui avant n’était pas drôle. Mais c’est la vérité. Je n’ai pas très envie d’insister là-dessus.
Oui, mais on peut traiter cette histoire de mille façons.
Bien sûr, bien sûr ! Mais elle, comme elle avait adopté un petit Vietnamien, c’était un scénario qui était très porté sur l’adoption. Mais parlons du film qui est là ! Il a déjà tes yeux ! Si vous voulez qu’on parle de l’autre scénario, il faut qu’on en parle deux heures, vous ouvrez un autre chapitre.
Donc, vous récupérez cette histoire, qu’est-ce que vous apportez de drôle.
Non, justement, ce n’est pas ça. Ce n’est pas un scénario que j’ai pris et auquel j’ai ajouté des trucs. Il y avait cette histoire, qui n’était pas drôle. En fait, ce que j’ai gardé, c’est juste le pitch. Je l’ai pris et après on s’est mis à bosser avec Sébastien Mounier qui est un des co-scénaristes du truc. Là, on a créé Il a déjà tes yeux. Déjà, tu ne peux pas faire un film sur l’adoption, avec un couple de Noirs qui adoptent un enfant blond et appeler ce film : Black adoption. Rien que le titre, déjà, me donnait mal à la tête. C’est tout l’inverse de ce dont je veux parler. C’est Il a déjà tes yeux, ce n’est pas Black adoption. C’est une histoire d’amour, c’est des gens qui s’aiment qui essaient d’avoir un enfant, on leur donne un petit blond ; eux n’en ont rien à foutre qu’il soit blanc, jaune, vert, comme nous, nos enfants naissent, tu ne sais pas, c’est un garçon, une fille, blond, brune…
« Là, ça devient ouf ! »
Vincent Elbaz : Black adoption, c’est Adoption à la noire (rire). Comment les Noirs adoptent ? On part dans un film… On ne rit plus. Il y a autre chose, qui moi me choque. Ça me fait penser au pitch. Quand je disais, Ouais, on m’a proposé un film, Lucien Jean-Baptiste ; Lucien, je connais. J’adore Lucien. Et quand on me demandait ce que c’était, je disais : Ben, c’est un couple qui adopte un enfant ; donc, là, les gens me disaient : Ouais, bon, ok, un film sur l’adoption. Je disais : Mais non, pardon, c’est un couple de Noirs qui adoptent un enfant blanc. Et, là, les gens explosaient de rire. Là, je trouvais ça super bizarre. Je me disais : Ce n’est pas normal que ça fasse rire. Si j’avais dit : En fait, c’est un couple de Blancs qui adoptent un enfant noir. Ça fait pas du tout rire.
L.J.-B. : C’est ça qui est intéressant.
V. E. : Là, je me suis dit : OK, on est dans une faille extraordinaire. Comment est-ce qu’il va traiter ça ? Et j’adore le film, le résultat.
Justement, le traitement : votre rôle, Vincent, est très cartoonesque, très dessin animé, Zabou est très méchante Disney… L. J.-B. : C’est un conte.
Ouais, ouais. Le film commence, (il module sa voix) Il était une fois… Paul et Salli qui s’aiment. Un petit ange est arrivé dans leur maison. À partir de là…
V. E. : Ça a foutu le bordel ! (rire).
L.J.-B. : Là, ça devient ouf ! Ce qui est bien, c’est que ça met vraiment en relief (rire) - c’est le nouveau mot que j’ai appris…
C’est les éléments de langage que vous venez de recevoir sur votre téléphone à l’instant ?
… ouais, ouais, nan, nan (rires). Donc, ça met vraiment en relief tout ce qui est préjugé : intolérance, sexisme ; ça met en avant plein de choses. Les problèmes de famille avec ta bellemère, d’amitié, ton meilleur pote qui est à l’opposé de toi, mais il est là, et c’est lui que tu vas nommer parrain. Parce que lui est prêt à mourir pour mon fils. C’est tout ça. Et c’est beau. Et j’aime ce film (rires). Si vous saviez tout ce qu’on pourrait vous dire.
Vincent Elbaz, c’est la première fois que je vous rencontre, mais ce n’est pas la première fois qu’on me parle de vous. En interview, plusieurs personnes, acteurs et réalisateurs, m’ont dit Elbaz, c’est un acteur entier, pas le genre à s’engager à la légère sur un projet, à jouer n’importe quoi pour payer ses impôts. Donc, vous êtes à fond pour ce film.
J’ose croire que oui. J’espère. Après, je suis comme tous les acteurs, il y a des moments où on perd toujours un peu sa dignité. Où on va faire des trucs qu’on aime moins, etc. Là, nan, ce n’est pas le cas, effectivement. J’ai adoré le propos du scénario. Le fait qu’on soit tous des adoptés. Au fond ; l’adoption, c’est une histoire de rencontres. Et j’ai adoré la façon dont il riait de tous les préjugés. J’ai trouvé ça très tendre. Ce que j’ai adoré dans le traitement du pitch, du couple, de ce bébé blanc qu’adopte un couple de Noirs, c’est qu’il a réussi à faire un film hilarant, une comédie super-drôle, sans méchanceté, sans cynisme. Avec beaucoup d’amour, d’espoir, de compréhension. Lucien, il a une capacité à se mettre à la place de l’autre. Et presque à comprendre le personnage de Zabou. D’ailleurs son mari lui dit : T’as des préjugés jusqu’à ce que ça change, jusqu’à ce que la modernité arrive dans ta vie et que tu l’acceptes.
C’est là qu’on voit qu’il s’agit d’un conte puisqu’ils finissent tous par devenir raisonnables, alors que dans la réalité, ça n’est pas le cas. Il n’y a pas ce fameux personnage de conte, le méchant qui, quoi
qu’il arrive, ne changera pas. L.J.-B. : Nan, c’est fait exprès.