BTP, les réfugiés au pied du mur
Le 26 octobre, Évreux accueillait les premiers migrants de Calais. Pour faciliter leur régularisation, la préfecture et Pôle Emploi ont initié une expérience originale et jeté les bases d’un retour au travail…
Ils ont entre 18 et 30 ans, possèdent un passeport afghan, somalien, éthiopien, syrien, tchadien ou érythréen. Tous ont fui leur pays, chassés par la guerre, la famine ou des régimes autoritaires.
Aujourd’hui, ils se retrouvent dans les murs de Pôle Emploi, à Évreux, après un long périple à travers l’Afrique et le MoyenOrient, et une étape douloureuse dans la jungle de Calais.
« Le département de l’Eure a accueilli quatre-vingt-dix de ces malheureux, dont une trentaine à Évreux. Désormais, il importe de les accompagner dans leurs démarches administratives et professionnelles » détaille le préfet Thierry Coudert, à l’initiative d’un projet original et séduisant : évaluer «l’employabilité» des migrants sur des secteurs en tension dans le domaine de l’emploi, en l’occurrence le BTP…
« Comment aider cette population ? »
Menée de concert avec plusieurs associations humanitaires (Ysos, Accueil Service, Adoma, Coallia), l’opération a pour cadre les locaux de Pôle Emploi. Où, lors de notre passage, une quinzaine de personnes se familiarisait avec la MRS, comprenez la Méthode de Recrutement par Simulation.
« Concrètement, il s’agit de tester la représentation spatiale - comment passer d’un plan à une maquette -, et la capacité de prise de décision. Par exemple, on va vérifier si un individu est «employable» dans le métier de maçon » décrypte Mohamed Slimani.
Le directeur territorial de Pôle Emploi voit, dans cette expérience unique en Normandie et deuxième du nom dans l’Hexagone, un superbe outil pédagogique pour répondre à LA question essentielle : « comment aider cette populationlà et, par extension, favoriser son insertion dans le tissu économique et social ? »…
Étudiants, maçons, bergers
Dans la salle de cours, phosphorent tous les profils : agriculteurs, maçons, hôteliers, étudiants, mécaniciens, chauffeurs de taxi et même… bergers !
« A priori, on recherche plus d’hommes du bâtiment que de gardiens de troupeaux » ironise le préfet. « Mais bien sûr, chaque cas est étudié avec le plus grand soin. »
Une certitude : pour Khaleid, Omar, Basir, Moussa, Bilal et ses frères d’exil, le recours aux métiers du BTP constitue une belle opportunité, voire un appel d’air dans la mesure où la profession est plutôt sinistrée.
« Mais là, avec les 90 migrants à qui on a ouvert nos portes, on reste sur des métiers manuels de premier niveau. On ne demande pas des notions techniques éprouvées » développe M. Slimani alors que ses «élèves» plébiscitent un projet motivant.
Ainsi Tara, qui a quitté ses moutons et les hauts plateaux d’Érythrée : « comme mes amis, je veux trouver un travail en France. »
« On répond au marché »
Pour Hélène Lecouvez, conseillère en MRS, l’expérience s’avère positive.
« On a développé la même méthode que pour n’importe quel chercheur d’emploi. Mais dans le cas présent, elle démontre la capacité des migrants à intégrer ce type d’activité » convient notre interlocutrice… sur la même longueur d’onde que Mohamed Slimani.
« Malgré la barrière de la langue - nous utilisons les services d’un interprète -, les migrants sont extrêmement attentifs, motivés et volontaires. Et qu’on ne se méprenne pas sur la nature de notre action. On répond au marché, en aucun cas, on ne veut être en dichotomie avec la montée en compétences de nos concitoyens. » Le rappel n’est pas fortuit à l’heure où la crispation (la xénophobie ?) essaime l’Hexagone.
Le préfet, lui, veut croire en une accélération du processus de reconnaissance sociale et professionnelle. « Ces personnes peuvent obtenir le statut de réfugié, ou régulariser leur situation sur la foi d’une promesse d’embauche. » Comme une lueur d’espoir après des mois de galère…