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Tel (est) Lescop

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Lescop sera à l’affiche de Rock In Évreux. Il jouera samedi 24 juin sur l’hippodrome de Navarre. Derrière l’imagerie un peu sombre et froide, on a découvert un artiste engagé, au-delà des mots.

Je vous ai vu il y a une dizaine d’années, à l’Abordage, à Évreux. Vous étiez alors chanteur du groupe Asyl. Et, après, j’ai revu les musiciens d’Asyl avec Daniel Darc. Vous n’étiez plus là, que s’est-il passé ?

Mathieu Peudupin aka Lescop : Euh, pff, c’était les musiciens de Daniel, à ce moment-là. Il n’y a pas d’explicatio­ns.

C’était la fin d’Asyl ?

Il y a eu un album après. C’était une pause. Daniel cherchait des musiciens plus jeunes, plus rock. Comme on s’entendait bien - il nous avait vus en concert -, il avait proposé à Asyl de l’accompagne­r. Et, comme à ce moment-là, on était encore un petit peu en studio pour préparer le deuxième album, en même temps ils ont fait leur tournée. Bon, ça s’est fait comme ça.

Comment l’avez-vous vécu ? Bien ou vous vous êtes senti un peu mis sur la touche ?

Non, non. C’était prévu comme ça.

Daniel Darc, c’était quelqu’un que vous appréciiez déjà à l’époque.

Oui, bien sûr.

Vous êtes né en 1978, vous êtes marqué par cette cold wave des années 80, comment y êtes-vous venu ?

De la même manière que tout le monde, par la radio. Après, je ne fais pas de la cold wave, je fais de la musique. Je laisse les gens penser ce qu’ils veulent de ce que c’est pour eux, et de quoi c’est influencé. De toute façon, j’ai toujours trouvé ça bizarre quand un artiste dit : « Moi, je fais du punk ou je fais de la cold wave ».

Sans parler de cold wave, Daniel Darc, par exemple, comment l’avez-vous découvert ? Par la radio, la télé, quelqu’un vous a mis un disque entre les mains ?

Non, je suis quelqu’un de curieux (rire). Je vais moi-même trouver les infos. Je ne sais pas. Je ne pourrais pas vous dire. La première fois que j’ai entendu « Cherchez le garçon », c’était quand j’étais petit. À la radio. Après… Moi, je fais partie de la génération Nirvana. C’était ma porte d’entrée vers le punk. De là, après on fait son chemin. Après, on se rend compte qu’avant le punk, il y a eu David Bowie. Après le punk, il y a eu Depeche Mode. Moi, j’écoute toutes sortes de musique.

« Être radical sans être un con »

Vous citez souvent cette «école créative» qu’est le punk, le Do It Yourself. C’est votre mode de fonctionne­ment ? Vous faites tout vous-même ?

Je ne fais pas tout moimême… Ce qui est important dans le DIY, c’est l’idée de la démarche. Ça ne veut pas dire qu’on doit être soi-même auteur compositeu­r producteur tourneur éditeur et-je-ne-sais-pasquoi. Ça veut dire que quand on a une envie, il ne faut pas attendre qu’il y ait des gens reconnus dans la profession qui valident ce que vous faites pour avoir le sentiment d’être légitime et pour le faire. Moi, c’est ça l’idée que j’ai retenue du punk. C’est cette espèce de truc un petit peu nietzschée­n, dire : je pense, donc je suis ; j’agis donc je suis. Et j’achète une guitare, donc je suis musicien - et même si je ne connais que trois notes. On peut écrire une chanson avec trois notes.

Et, en même temps, ce n’est pas l’anarchie ; au contraire, c’est une autodiscip­line assez stricte. À un moment, vous vous êtes imposé d’écrire une chanson par jour. Vous écrivez quasiment tous les jours…

L’anarchie, c’est l’ordre. Je crois que c’est [Pierre-Joseph] Proudhon qui disait ça [« L’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir », ndlr]. Après, l’anarchie, c’est un des clichés du punk. Moi, je ne suis pas anarchiste. Je ne pense pas que les Sex Pistols l’étaient non plus. Je pense qu’à partir du moment où on fait les choses soi-même et où on vient d’un milieu qui n’est pas spécialeme­nt connecté avec les gens influents, où on n’a pas forcément d’argent, on est obligé de faire avec ce qu’on a. Ce que j’avais, moi, c’était de la rigueur, de l’autodiscip­line et de l’abnégation. Après, ça ne m’empêchait pas de faire tout un tas de conneries. David Bowie disait : «La discipline, c’est se fixer un objectif et prendre le chemin le plus court pour y arriver». C’est ça, la discipline. Ça ne veut pas forcément dire qu’on se lève à 8 h du mat’ et qu’on mange des légumes bio.

Écrire tous les jours, c’est de l’autodiscip­line. Vous dites que c’est un conseil que vous avait donné Daniel Darc.

Oui. De toute manière, il faut être en travail. Daniel, s’il lui est arrivé ce qui lui est arrivé, malgré son parcours chaotique et tous ses excès, s’il a réussi à revenir à 45 ans dans le métier, à être reconnu pour ce qu’il écrivait, c’est parce qu’il n’a jamais arrêté de travailler. Parce qu’il y a un moment, quand on a du talent et qu’on travaille, normalemen­t, ça paye.

« L’idée que j’ai retenue du punk »

Que vous a-t-il enseigné d’autre ? J’ai lu qu’il vous avait conseillé d’être «radical»…

Oui, mais il n’y a pas que lui qui me l’a dit. Ce n’est pas lui qui le disait, il le disait par ce qu’il faisait, son existence prouvait ça. Déjà qu’on peut être radical sans être un con, sans être agressif. C’est René Char qui disait : «Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience», je pense qu’il faut troubler les choses. Il faut être un petit peu devant, voir plus loin. Et surtout, être artiste, c’est raisonner dans son époque. On dit toujours, les artistes, ce sont des gens qui s’expriment. Oui, effectivem­ent, s’exprimer… Mais dans son époque. Sinon, je peux écrire des chansons et les chanter dans la forêt, dans la montagne, pour les étoiles. Ça n’a aucun intérêt. Il faut être entendu. Parler un langage compréhens­ible. D’ailleurs, tous les grands artistes sont des gens qui ont raisonné dans leur époque, que ce soit dans n’importe quel domaine : David Bowie, Picasso, Brecht…

C’est drôle, vous avez fait plusieurs références jusque-là, mais aucune en rapport avec la photo, alors que d’ordinaire…

Oui, j’aurais pu vous parler de Man Ray ou d’autres, mais ce n’est pas venu, comme ça. La photograph­ie m’a toujours intéressé. Mais au-delà du simple support photograph­ique. Pour moi, une oeuvre d’art est une photograph­ie d’une époque et d’un moment. Même si c’est un poème, un tableau, un film, une chanson. C’est ça qui m’intéresse dans l’écriture, c’est figer des instants et, quelque part, de les cristallis­er, de leur donner une existence sublimée. Je pense que la création, d’une manière générale et en ce qui me concerne écrire des chansons -, c’est une manière d’augmenter la réalité, de rendre la réalité encore plus réelle. Ou le rêve encore plus onirique. Ça fait partie de la même démarche - je ne sais pas si je suis très clair (rire). Je suis un peu ésotérique.

Pourquoi avoir choisi la chanson, vous le dites vous-même, ç’aurait pu être de l’image, de l’écrit, du film ?

Parce que c’est ça que je sais faire.

Vous n’avez jamais eu envie de sortir de ce cadrelà ?

Si. J’en ai eu envie comme on a envie d’être pompier quand on a 8 ans. J’essaie d’élargir mon éventail au fur et à mesure. C’est un travail de tous les instants. J’ai travaillé en premier lieu ce vers quoi je me sentais appelé et ce pour quoi je me sentais plutôt doué. C’était monter sur scène et écrire. Je suis passé petit à petit à la compositio­n. Là, j’essaie de passer à l’écriture de scénario. (…/…)

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