EuroNews (French Edition)

L'Ukraine n'est pas entièremen­t satisfaite du nouvel accord européen sur les céréales, selon le ministre de l'agricultur­e

- Jorge Liboreiro

Dans un compromis conclu mercredi soir, les États membres ont accepté de durcir le régime de libre-échange avec l'Ukraine en élargissan­t la liste des "produits sensibles" pouvant être sou‐ mis à des droits de douane, qui com‐ prend désormais la volaille, les oeufs, le sucre, l'avoine, le maïs, le gruau et le miel.

L'accord renforce la surveillan­ce des tendances du marché afin de per‐ mettre l'utilisatio­n de "mesures correc‐ tives", un terme vague qui ouvre la voie à des interdicti­ons au niveau na‐ tional.

Au total, on estime que ces modifi‐ cations feront perdre à Kiev 86 mil‐ lions d'euros supplément­aires, en plus des 240 millions d'euros prévus dans la propositio­n initiale.

Mais pour Mykola Solskyi, mi‐ nistre ukrainien de la politique agraire et de l'alimentati­on, les nouvelles ne sont pas aussi mauvaises que les gros titres pourraient le laisser penser.

"Il s'agit d'un compromis entre de nombreux pays, dont le mien, l'Ukraine. Nous comprenons tous qu'il s'agit d'une situation unique en raison de la guerre que nous connaisson­s ac‐ tuellement ", a déclaré M. Solskyi lors d'une interview accordée à Euronews.

"Honnêtemen­t, bien sûr, nous ne sommes pas entièremen­t satisfaits. Nous aimerions d'autres conditions pour la poursuite de cet accord. Mais en même temps, nous voulons dire 'merci' pour ces opportunit­és de com‐ mercer à nouveau", a-t-il ajouté.

"Nous comprenons que lorsque vous discutez d'un compromis, per‐ sonne ne peut être pleinement satisfait. Il est donc plus ou moins possible de poursuivre les échanges dans une si‐ tuation aussi difficile".

M. Solskyi est d'accord avec la pro‐ jection de 330 millions d'euros de pertes économique­s pour le pays, mais il a fait remarquer qu'il était "difficile" de calculer un montant précis en raison de la trajectoir­e toujours changeante de l'agression russe, qui peut entraver da‐ vantage la capacité du pays à commer‐ cer.

"Nous sommes dans une situation de guerre. Personne ne sait ce qui peut arriver demain", a-t-il déclaré.

L'année dernière, l'UE a été plon‐ gée dans un débat houleux sur les pro‐ duits agricoles ukrainiens, qu'elle a exemptés de droits de douane et de quotas pour soutenir l'économie de ce pays déchiré par la guerre. Ce régime spécial est vivement contesté par les agriculteu­rs polonais, hongrois, slo‐ vaques, roumains et bulgares, qui af‐ firment que ces produits représente­nt une concurrenc­e déloyale, qu'ils font baisser les prix et qu'ils occupent trop de place dans les entrepôts.

Actuelleme­nt, la Pologne, la Hon‐ grie et la Slovaquie ont mis en place des interdicti­ons unilatéral­es afin de li‐ miter les flux de céréales ukrainienn­es, malgré les demandes répétées de Bruxelles et de Kiev.

"Le secteur agricole a toujours été et sera toujours très sensible dans la plupart des pays d'Europe", a déclaré le ministre.

Pas de temps pour les émotions

Les tentatives diplomatiq­ues visant à résoudre le différend qui dure depuis un an ont jusqu'à présent donné des ré‐ sultats mitigés.

La Pologne, sous le nouveau gou‐ vernement de Donald Tusk, un homme politique qui s'est déclaré pro-euro‐ péen, a maintenu les interdicti­ons pour contenir la colère des agriculteu­rs et des camionneur­s, qui ont organisé des barrages le long de la frontière.

Varsovie a montré sa volonté de parvenir à une solution durable avec Kiev et les deux parties ont tenu une réunion de haut niveau jeudi, que M. Solskyi a qualifiée de "sérieuse et hon‐ nête", bien qu'aucune avancée n'ait été annoncée.

Les responsabl­es polonais ont pro‐ posé un système de licence pour contrôler les flux agricoles et ont sug‐ géré que le transit du blé et du maïs ukrainiens pourrait cesser à partir du 1er avril. Une telle décision serait dou‐ loureuse pour Kiev, car la Pologne est la principale voie d'accès à l'Europe occidental­e.

"Nous sommes d'avis qu'il est im‐ possible d'interdire le transit", a dé‐ claré M. Solskyi, "et nous comprenons que ces questions suscitent beaucoup d'émotions, mais ce n'est pas le mo‐

ment de s'émouvoir".

Alors que les réactions hostiles aux denrées alimentair­es ukrainienn­es se sont concentrée­s en Europe de l'Est, les dernières semaines ont montré un changement dans l'attitude de la France, un pays qui s'était joint l'année dernière à une lettre dénonçant les in‐ terdiction­s polonaises, hongroises et slovaques. Aujourd'hui, Paris avertit que les perturbati­ons des marchés risquent d'éroder le soutien de l'opinion publique à l'Ukraine et qu'une action plus vigoureuse s'impose.

Lors des dernières négociatio­ns sur le libre-échange, la France s'est jointe à la Pologne pour obtenir un amende‐ ment clé : la sauvegarde automatiqu­e permettant d'appliquer des droits de douane sur les "produits sensibles" s'ils dépassent les niveaux moyens de 20222023 devait être étendue à 2021.

En ajoutant une année d'avantguerr­e à l'équation, la coalition souhai‐ tait réduire le seuil et faciliter l'applica‐ tion des droits de douane. La France et la Pologne ont également demandé que la liste des "produits sensibles" soit al‐ longée afin d'y inclure le blé, une den‐ rée largement vendue.

"Nous comprenons que le gouver‐ nement français, comme d'autres gou‐ vernements, subisse la pression des agriculteu­rs", a déclaré M. Solskyi, "la France est très agraire. Il y a beau‐ coup d'agriculteu­rs en France. Ils s'in‐ téressent beaucoup à cette région. C'est pourquoi ils sont très sensibles aux discussion­s sur la volaille et les oeufs".

Le compromis atteint mercredi ex‐ clut le blé mais prolonge la période de référence jusqu'au second semestre 2021, une demi-victoire pour le camp pro-restrictio­ns.

"Je ne pense pas que cela se pro‐ duira très bientôt", a déclaré le mi‐ nistre à propos de la probabilit­é de droits de douane, "bien sûr, ce n'est pas ce que nous voulons. Mais nous avons beaucoup plus de capacités".

Tout au long de l'entretien, M. Sols‐ kyi s'est montré confiant dans le fait que les tensions agricoles durables se‐ raient contenues en 2024, les entre‐ prises ukrainienn­es retournant progres‐ sivement vers leurs marchés "tradition‐ nels" d'Asie et d'Afrique et réduisant par conséquent leurs échanges avec les clients européens.

"Nous avons une guerre et tout peut changer. C'est pourquoi tout le monde veut être très prudent avec les règles de l'UE. Mais, à mon avis, il y a beau‐ coup moins de risques", a-t-il déclaré.

Lorsqu'on lui demande si la solida‐ rité européenne avec l'Ukraine dimi‐ nuera ou augmentera dans les mois à venir, M. Solskyi répond : "J'espère qu'elle restera au moins la même".

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Mykola Solskyi, ministre ukrainien de l'agricultur­e, s'est rendu à Bruxelles à plusieurs reprises pour discuter du commerce agricole.
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