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Steven Spielberg : "Les échos de l'histoire sont indéniable­s dans notre climat actuel"

- David Mouriquand

"Les échos de l'histoire sont indé‐ niables dans notre climat actuel".

Le légendaire cinéaste Steven

Spielberg a prononcé ces mots lors d'une cérémonie en l'honneur de la USC Shoah Foundation, une organisa‐ tion à but non lucratif qu'il a fondée il y a 30 ans et qui documente les entre‐ tiens avec les survivants et les témoins de l'Holocauste.

Âgé de 77 ans, le réalisateu­r de La liste de Schindler a reçu lundi (25 mars) le USC Medallion, la plus haute distinctio­n de l'université de Californie du Sud.

Dans son discours, il a souligné l'importance d'enrayer la montée de l'antisémiti­sme et des opinions extré‐ mistes dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas qui a débuté en octobre.

Il a également mis l'accent sur les jeunes étudiants victimes de préjugés sur les campus universita­ires : "50 % des étudiants juifs disent avoir été vic‐ times de discrimina­tion antisémite. Ce phénomène s'ajoute aux discrimina‐ tions anti-musulmanes, arabes et si‐ khs".

Abordant directemen­t le conflit à Gaza, il a déclaré : "Je suis de plus en plus inquiet que nous soyons condam‐ nés à répéter l'histoire, à devoir une fois de plus nous battre pour le droit même d'être juif. Face à la brutalité et à la persécutio­n, nous avons toujours été un peuple résilient et compatissa­nt qui comprend le pouvoir de l'empa‐ thie".

"Nous pouvons nous insurger contre les actes odieux commis par les terroriste­s du 7 octobre tout en dé‐ criant le massacre de femmes et d'en‐ fants innocents à Gaza", avance Ste‐ ven Spielberg. "Cela fait de nous une force unique pour le bien dans le monde et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui pour célébrer le travail de la Fondation de la Shoah, qui est plus crucial aujourd'hui qu'il ne l'était en 1994".

Il poursuit : "ce travail est crucial au lendemain de l'horrible massacre du 7 octobre. Il est essentiel pour mettre fin à la violence politique cau‐ sée par la désinforma­tion, les théories du complot et l'ignorance. Elle est cru‐ ciale parce que la lutte contre l'antisé‐ mitisme et la haine sous toutes ses formes est indispensa­ble à la santé de notre république et à l'avenir de la dé‐ mocratie dans l'ensemble du monde ci‐ vilisé".

Voici son discours en intégralit­é :

"Bonjour à tous. Cela me comble, comme disait ma défunte mère Leah, d'être ici aujourd'hui avec vous, 30 ans après la création de la Fondation de la Shoah et 20 ans après que l'Université de Californie du Sud est devenue notre partenaire dévoué dans cette entre‐ prise, pour célébrer ce que nous avons accompli et réfléchir à tout ce que nous espérons encore accomplir. Je suis très reconnaiss­ant à la présidente

(Carol) Folt de nous avoir réunis et d'avoir fait preuve d'un leadership et d'un soutien sans faille. Je vous invite à vous joindre à moi pour la remercier de son engagement constant en faveur de notre mission.

J'ai eu la chance inouïe de passer une grande partie de ma vie profes‐ sionnelle à raconter des histoires. Les histoires sont le fondement de l'His‐ toire. Les histoires peuvent être ma‐ giques. Elles peuvent être inspirante­s, terrifiant­es - elles peuvent être inou‐ bliables. Elles offrent un instantané de l'humanité dans toute sa beauté et sa tragédie. Elles constituen­t l'une de nos armes les plus puissantes dans la lutte contre l'antisémiti­sme et la haine ra‐ ciale et religieuse. L'Holocauste, ou comme mes parents l'appelaient "les grands meurtres", est l'une des his‐ toires que j'ai entendues dans mon en‐ fance.

Dans la maison de mes grands-pa‐ rents, à Cincinnati, dans l'Ohio, où j'ai vécu jusqu'à l'âge de trois ans, ma grand-mère, Jenny, enseignait l'anglais à des survivants hongrois de l'Holo‐ causte. Pendant ces cours, je m'as‐ seyais souvent à table avec elle. C'est là que j'ai appris à compter, non pas à l'école, mais en découvrant les chiffres tatoués sur les bras des survivants.

Un homme a remonté sa manche et m'a montré à quoi ressemblai­t le chiffre cinq, à quoi ressemblai­t le chiffre trois. Il m'a montré un sept. Puis il m'a dit : "Tu veux voir un truc ?

C'est un neuf. Mais quand je fais ça, c'est un six, tu vois, Steve ? Je n'avais que trois ans, mais je ne l'ai jamais ou‐ blié.

Des années plus tard, lorsque j'étais au lycée en Californie, j'étais l'un des rares juifs de l'école. J'ai pu faire l'expérience de ce que c'était que d'être la cible d'antisémiti­sme, à la fois verbalemen­t, physiqueme­nt et par l'ex‐ clusion silencieus­e. Cela m'a rappelé brutalemen­t que, même si des décen‐ nies s'étaient écoulées depuis l'Holo‐ causte, la distance entre la table de ma grand-mère et les couloirs de mon ly‐ cée n'était pas très grande. Et que la discrimina­tion à l'encontre des juifs n'a pas commencé ou pris fin avec la Se‐ conde Guerre mondiale.

Dans les années qui ont précédé la production de "La liste de Schindler" et durant le tournage, il était impératif de me plonger dans les ténèbres de l'Holocauste. Les survivants de la Shoah nous rendaient visite à Craco‐ vie. Je me souviens que chaque survi‐ vant avait une histoire à raconter. Mais je me souviens aussi que je déplorais que leurs histoires ne soient pas docu‐ mentées en tant que preuves de ce qui leur avait été fait, à eux et à tous les juifs d'Europe.

En ayant le courage de partager ces histoires devant une caméra, ils ont laissé un témoignage permanent pour les familles, pour l'histoire, pour l'édu‐ cation et pour toutes les génération­s futures. C'est devenu ma mission. C'est devenu notre travail et c'est ce qui a donné naissance à la Fondation Shoah.

Et nous voici 30 ans plus tard, toujours déterminés à donner à ces voix toutes les chances d'être entendues. Les 56 000 témoignage­s que nous avons enre‐ gistrés sont inestimabl­es pour ensei‐ gner aux nouvelles génération­s ce que les survivants ont répété pendant 80 ans. Plus jamais ça. Plus jamais ça. Plus jamais ça.

En les écoutant, les échos de l'his‐ toire sont indéniable­s dans notre climat actuel. La montée des extrémisme­s a créé un environnem­ent dangereux et une intoléranc­e radicale (qui) conduit à une société qui ne célèbre plus les différence­s, mais conspire au contraire à diaboliser ceux qui sont différents au point de créer le concept de "l'autre".

L'idée de "l'autre" est un concept qui empoisonne le discours et crée un dangereux fossé dans nos communau‐ tés. L'"altérité" rationalis­e les préju‐ gés. Elle encourage le déni et la distor‐ sion volontaire­s de la réalité pour ren‐ forcer les idées préconçues. L'altérité est le ferment qui alimente l'extré‐ misme et l'anti-libéralism­e. Nous voyons tous les jours comment les mé‐ canismes de l'extrémisme sont utilisés sur les campus universita­ires, où au‐ jourd'hui 50 % des étudiants juifs disent avoir été victimes de discrimina‐ tion antisémite. Ce phénomène s'ajoute aux discrimina­tions anti-musulmanes, arabes et sikhs. La création de "l'autre" et la déshumanis­ation de tout groupe sur la base de ses différence­s sont les fondements du fascisme. Il s'agit d'un vieux manuel qui a été dé‐ poussiéré et qui est largement diffusé aujourd'hui. Ceux qui ne se sou‐ viennent pas du passé sont condamnés à le répéter.

Et je crains de plus en plus que nous soyons condamnés à répéter l'his‐ toire, à devoir une fois de plus nous battre pour le droit même d'être juif. Face à la brutalité et à la persécutio­n, nous avons toujours été un peuple rési‐ lient et compatissa­nt qui comprend le pouvoir de l'empathie.

Nous pouvons nous insurger contre les actes odieux commis par les terro‐ ristes du 7 octobre tout en décriant le massacre de femmes et d'enfants inno‐ cents à Gaza. Cela fait de nous une force unique pour le bien dans le monde et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui pour célébrer le travail de la Fondation de la Shoah, qui est plus crucial aujourd'hui qu'il ne l'était en 1994.

Ce travail est crucial au lendemain de l'horrible massacre du 7 octobre. Il est essentiel pour mettre fin à la vio‐ lence politique causée par la désinfor‐ mation, les théories du complot et l'ignorance. Elle est cruciale parce que la lutte contre l'antisémiti­sme et la haine sous toutes ses formes est indis‐ pensable à la santé de notre république et à l'avenir de la démocratie dans l'ensemble du monde civilisé.

Cela me ramène à notre célébra‐ tion de ces 30 ans de collecte d'his‐ toires que le monde ne doit jamais ou‐ blier. Ces 56 000 témoignage­s que nous avons enregistré­s constituen­t une base sur laquelle des ponts peuvent être construits, et nous, ici à la USC

Shoah Foundation, nous construiso­ns ces ponts.

Il y a quelques mois, lors d'un ras‐ semblement de survivants, une femme de 82 ans, Hana Rychik, a partagé ce que beaucoup d'entre nous souhaitent, à savoir que les personnes actuelle‐ ment retenues en otage à Gaza soient en sécurité et qu'elles aient l'espoir de rentrer chez elles. Elle a ensuite ajouté quelque chose qui, je le sais, a une si‐ gnificatio­n pour chacun d'entre nous : "Nous avons besoin de paix. De paix et de compréhens­ion. Nous devons nous respecter les uns les autres".

Je veux que les génération­s futures entendent l'histoire de Hana lors‐ qu'elles s'assiéront à la table de la cui‐ sine de leurs grands-parents, comme je l'ai fait il y a tant d'années, parce que je veux qu'elles entendent les histoires de courage du passé que la Fondation de la Shoah continuera d'enregistre­r. Je veux aussi qu'ils sachent que nous avons lutté contre la répétition de l'his‐ toire en célébrant la survie et la vitalité juives. Je veux qu'ils sachent que nous croyons en un monde juste pour tous et que nous ferons toujours nôtre le sou‐ hait éternel de Hana pour la paix, la compréhens­ion et la dignité humaine.

Lorsque son souhait deviendra réa‐ lité, nous pourrons vivre dans un monde où nos libertés essentiell­es se‐ ront communes à tous les pays, à tous les peuples et à toutes les religions. Et ce sera l'histoire la plus joyeuse jamais racontée".

 ?? ?? Steven Spielberg serre dans ses bras Daisy Miller, de Studio City, survivante de l'Holocauste, lors d'une remise de médailles à l'Université de Californie du Sud.
Steven Spielberg serre dans ses bras Daisy Miller, de Studio City, survivante de l'Holocauste, lors d'une remise de médailles à l'Université de Californie du Sud.
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