Difficile de construire de nouveaux projets éoliens et solaires ? Ce village allemand pourrait avoir la solution
Le vent qui souffle en rafales sur les terres agricoles du nord de l'Allemagne apporte beaucoup au village de Sprake‐ buell : le brouillard et la pluie venant de la mer, les cigognes migratrices oc‐ casionnelles et la faible odeur de fu‐ mier dans les champs nouvellement fertilisés.
Et surtout, de l'argent, grâce à la vente de l'électricité produite par les éoliennes installées dans les champs verts et plats qui s'étendent jusqu'à la mer du Nord. Une partie de l'argent re‐ vient aux villageois eux-mêmes, l'en‐ gagement local faisant de cette enclave agricole venteuse située près de la frontière avec le Danemark une vitrine des moyens de faire avancer les projets d'énergie renouvelable.
Ce n'est pas facile lorsque les vents contraires de l'économie mondiale post-pandémique - notamment les taux d'intérêt élevés et l'inflation - freinent les investissements souvent coûteux dans l'éolien, le solaire et d'autres formes d'énergie propre.
Cette situation ralentit la croissance des énergies renouvelables nécessaire pour lutter contre le changement clima‐ tique, alors qu'elle doit s'accélérer pour atteindre l'objectif ambitieux fixé lors du sommet des Nations unies sur le cli‐ mat (COP28), à savoir renforcer les ca‐ pacités en matière d'énergies propres.
L'énergie renouvelable finance des projets communautaires
Sprakebuell, un groupe de trois rues de maisons soignées à un étage où les tracteurs circulent en plus grand nombre que les voitures, a connu une nouvelle vie et une prospérité accrue grâce à l'énergie renouvelable.
Malgré sa petite taille, certaines des pratiques de cette ville allemande offrent des enseignements qui pour‐ raient trouver un écho à l'échelle mon‐ diale.
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Les dividendes des parcs éoliens appartenant aux citoyens ne rendent pas les bénéficiaires riches. Au contraire, l'argent constitue un petit plus, un tampon financier "très impor‐ tant pour nous car il nous donne une certaine liberté", confie Astrid Nissen, 44 ans, qui gère avec son mari une ferme laitière de 150 vaches à la péri‐ phérie du village.
Le prix du lait fluctue énormément, mais les revenus plus réguliers des parcs éoliens sont "quelque chose sur lequel nous pouvons compter, quelque chose que nous pouvons utiliser pour planifier", explique-t-elle, des meugle‐ ments occasionnels provenant de l'étable derrière elle.
Le bruit des éoliennes - inaudible dans le centre du village mais bruyant à proximité - rapporte quelque 400 000 euros de taxes par an. Cette somme a permis de financer une nouvelle aire de jeux, une piste cyclable et même des cours de piano gratuits pour les enfants de Sprakebuell.
Lorsqu'il s'agit de nouveaux pro‐ jets, les obstacles mondiaux com‐ prennent la hausse des coûts d'emprunt qui rend leur financement plus coû‐ teux, les prix élevés et les chaînes d'ap‐ provisionnement engorgées pour les éoliennes, ainsi que la résistance aux
parcs éoliens "pas dans mon jardin".
Les hausses de taux d'intérêt de la Réserve fédérale américaine, de la Banque centrale européenne et d'autres institutions ont amené des économistes de l'University College London à mettre en garde contre les "dommages
collatéraux verts" et à qualifier les coûts d'emprunt élevés destinés à lutter
contre l'inflation de "mauvaises nou‐ velles pour la transition verte".
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La société de conseil Wood Mac‐ kenzie a constaté que "l'énergie propre a connu l'une des années les plus diffi‐ ciles de sa courte histoire", les appels
des gouvernements en faveur d'une augmentation de la capacité de produc‐
tion n'étant pas satisfaits en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni et en Ita‐ lie.
La situation est encore plus grave pour les pays à faible revenu dans des régions comme l'Afrique, où les coûts d'emprunt pour les investissements ini‐ tiaux plus élevés nécessaires pour les énergies renouvelables étaient déjà éle‐ vés et ont encore augmenté.
Comment fonctionnent les parcs éoliens communautaires de Sprakebuell ?
À Sprakebuell, le nombre d'exploita‐ tions agricoles familiales est passé de 26, en 1960, à 3 plus grandes aujour‐
d'hui. Il y a 30 ans, le village était sur le point de fusionner avec un village voisin. Aujourd'hui, il abrite non seule‐ ment des agriculteurs, mais aussi des personnes qui travaillent à une demiheure de là, dans la ville de Flensburg.
Les habitants de Sprakebuell ont versé un acompte de 20 % pour la construction d'un parc éolien et les banques locales ont prêté les 80 % res‐ tants. Le premier parc éolien comptait 24 participants. Le dernier en date en compte plus de 150, la nouvelle s'étant répandue.
Astrid Nissen et son mari ont com‐ mencé par investir l'équivalent d'un peu plus de 5 000 euros, il y a plus de 20 ans. Les dividendes ont permis de
payer une nouvelle stalle pour les veaux, un chargeur frontal pour déver‐ ser les aliments pour animaux et deux ouvriers.
"Cela signifie que nous avons par‐ fois un week-end libre, parfois des va‐ cances - et sans employés, c'est impos‐ sible", confie-t-elle.
Tout le monde ne participe pas, mais tous les habitants y trouvent leur compte. Il y a une voiture électrique partagée au centre de la ville que tout le monde peut réserver pour 2,50 euros de l'heure via une application sur smartphone.
Une petite épicerie a ouvert avec un café attenant, et un restaurant sert le déjeuner tous les jours - signes d'un nouveau pouvoir d'achat. Certains vil‐ lages de taille similaire dans la région n'ont ni l'un ni l'autre.
"Les projets d'énergie renouvelable sont visibles dans le paysage et, pour moi, il est très important que la popu‐ lation locale puisse s'identifier à ces projets", affirme Christian Andresen, dont l'entreprise, Solar-Energie Andre‐ sen GmbH, a développé les parcs éo‐ liens et les installations solaires.
Qu'est-ce qui freine les projets d'énergie renouvelable ?
Les projets de Christian Andresen illustrent les facteurs qui peuvent faire avancer les énergies renouvelables. L'un d'eux est le prix garanti par le gouvernement allemand pour l'électri‐ cité sur 20 ans, qui donne aux banques la certitude qu'elles peuvent prêter et être remboursées.
D'autre part, les prêts à faible taux d'intérêt accordés par la banque gou‐ vernementale de développement, la KfW. Mais même ces taux ont aug‐ menté, passant de 1 % il y a quelques années à plus de 5 %, selon Christian Andresen.
Les taux d'intérêt élevés freinent les projets d'énergies renouvelables bien plus que les projets de combustibles fossiles. La majeure partie du coût des énergies renouvelables se situe au dé‐ part, dans le prix d'achat des éoliennes ou des panneaux solaires, tandis que les coûts d'exploitation à long terme sont négligeables : le vent souffle et le soleil brille gratuitement.
Le coût de l'emprunt est donc un facteur beaucoup plus important pour déterminer si le projet sera rentable.
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C'est l'inverse pour les combus‐ tibles fossiles: la construction d'une centrale électrique au gaz naturel est relativement moins coûteuse, alors que les coûts réels sont liés à l'achat du gaz.
À cela s'ajoutent l'inflation, qui a fait grimper le coût de construction des installations, et les pénuries d'équipe‐ ment dues à l'engorgement des chaînes d'approvisionnement.
Ce sont là quelques-unes des rai‐ sons invoquées par la société danoise, "Orsted", pour annuler deux grandes installations éoliennes au large du New Jersey. L'entreprise suédoise, "Vatten‐ fall", a également interrompu un projet offshore au Royaume-Uni.
L'indice "S&P Global Clean Energy", qui regroupe les actions des entreprises actives dans le domaine des énergies propres, a chuté de 26 % au cours de l'année écoulée, alors même que les indices boursiers plus larges ont atteint des records.
Aux États-Unis, la hausse des taux d'intérêt a constitué un "ralentisseur" pour certains projets d'énergies renou‐ velables, affirme David Shepheard, as‐ socié nord-américain pour l'énergie et les services publics au sein de la so‐ ciété de conseil internationale "Ba‐ ringa".
"Les rendements sont réduits dans le contexte actuel des taux, mais ils sont en train de s'améliorer", ajoute-til, alors que la Réserve fédérale devrait réduire ses taux à trois reprises cette année.
Le tableau d'ensemble est nuancé, avec un ralentissement des énergies re‐ nouvelables par les majors pétrolières, ce qui facilite les blocages des fournis‐ seurs, tandis que les exigences en ma‐ tière de contenu national pour les sub‐ ventions américaines entraînent des re‐ tards dans la chaîne d'approvisionne‐ ment pour certains projets.
"Quand j'ai une part, c'est un beau bruit et une belle vue".
En Afrique subsaharienne, où la moitié de la population n'a pas accès à l'élec‐ tricité, les projets d'énergie renouve‐ lable sont confrontés à des difficultés de financement encore plus grandes. Avec un ensoleillement important, l'énergie solaire est une option évi‐ dente, mais les 1,2 milliard d'habitants de l'Afrique n'ont qu'un cinquième de l'énergie solaire de l'Allemagne, où le ciel est nuageux.
Les coûts d'emprunt y sont bien plus élevés que dans les pays riches, tandis que les subventions publiques sont incertaines en raison des boulever‐ sements politiques et des pays déjà très endettés.
Au Nigeria, où les pannes d'électri‐ cité font partie du quotidien d'environ la moitié des 213 millions d'habitants du pays, quelque 14 projets d'énergie solaire sont au point mort parce que les finances ne sont pas au rendez-vous.
Le gouvernement s'est montré pru‐ dent face aux garanties de crédit de la Banque mondiale qui rendraient les projets bancables, craignant d'être obligé de payer l'électricité même si le réseau ne peut pas la fournir.
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Mais sans cela, "personne ne déve‐ loppera ou ne financera un projet avec une subvention gouvernementale parce qu'elle peut se tarir", précise Edu Okeke, directeur général de la société d'énergie, "Azura", partie prenante du projet solaire Nova dans l'État de Kat‐ sina, au nord du Nigéria.
La solution peut consister à aug‐ menter le prix de l'électricité, ce que le gouvernement allemand a fait, l'année dernière, en augmentant le prix de 25 %. Cette mesure contribue également à garantir le financement. Une autre so‐ lution consiste à accorder des taux d'in‐ térêt bonifiés ou des garanties de crédit dans le cadre des efforts déployés par les pays développés pour aider les pays pauvres à lutter contre le changement climatique.
Et lorsque les propriétaires sont des habitants et non de grandes entreprises énergétiques, les objections concernant l'apparence des parcs éoliens, les ombres ou le sifflement tendent à s'es‐ tomper, déclare Christian Andresen, le promoteur éolien.
"Quand j'ai une part dans le projet, c'est un bruit agréable et une belle vue", confie-t-il.