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Vallée du Pô : La pollution atmosphéri­que entraîne de graves risques pour la santé de plus de 16 millions d'Italiens

- Daniel Harper

Assise à la table de sa cuisine à Modène, dans la province italienne d'Émilie-Romagne, Valentina passe en revue les antécédent­s médicaux de sa famille et de celle de son mari.

Valentina, âgée de 54 ans, a vaincu un cancer du sein il y a plusieurs années et son mari Andrea, 55 an, est depuis peu en rémission d'un cancer de la moelle osseuse.

"Il est probable que cette situation soit exacerbée par la pollution", explique Valentina à Euronews Green.

La vallée du Pô où vit le couple est l'un des endroits les plus pollués d'Europe en termes de qualité de l'air. Les grandes villes telles que Milan en Lombardie et Turin dans le Piémont sont fortement polluées par la circulatio­n et le chauffage intérieur au bois, ainsi que par des industries telles que l'agricultur­e, l'ingénierie et la céramique.

"Notre famille est touchée par cette situation. Si nous vivions dans un autre comté dépourvu de cette distributi­on industriel­le, la situation serait sans doute différente.

Les liens entre la pollution de l'air et les problèmes de santé

Le dioxyde d'azote, l'ozone et les particules inhalables (PM) - en particulie­r les PM10 et les PM2,5 - comptent parmi les produits les plus nocifs de l'atmosphère. Ils présentent de graves risques pour la santé de plus de 16 millions d'Italiens vivant dans la plaine du Pô.

Selon les données publiées par l'Agence européenne pour l'environnem­ent (AEE), l'Italie a enregistré 11 282 décès prématurés dus à l'exposition au dioxyde d'azote en 2021, soit le taux le plus élevé d'Europe.

Le cancer est également la deuxième cause de décès dans le pays, le cancer du poumon étant à l'origine du plus grand nombre de décès chez les hommes et les femmes.

Bien que le nord du pays soit économique­ment plus riche, qu'il ait une meilleure alimentati­on, qu'il compte moins de fumeurs et moins de personnes en surpoids que le sud, la région du Pô affiche un taux de mortalité par cancer plus élevé, souligne un rapport de l'université de Bologne.

"Toutes les études indiquent clairement et sans équivoque qu'il existe un lien direct entre le fait de vivre dans une zone très polluée et les risques élevés de dégradatio­n de la santé", déclare le professeur Signorelli, président de l'Associatio­n des écoles de santé publique de la région européenne (ASPHER).

Les centres urbains sont particuliè­rement menacés, la ville de Crémone, dans la région de Lombardie, ayant la quatrième concentrat­ion de PM2,5 la plus élevée d'Europe, selon l'AEE.

Des villes telles que Vérone, Padoue et Vicence ont également montré une augmentati­on des PM2,5 entre 2018 et 2022, selon un rapport du réseau européen de journalism­e de données (European Data Journalism Network).

Un combat difficile pour les régions du Pô

La géographie qui a permis à l'Italie d'industrial­iser son nord est la même qui a causé la dégradatio­n de sa qualité de l'air. Ses plaines fournissen­t 35 % de la production agricole du pays et abritent des usines produisant des tuiles et des briques.

Entourée par les Alpes au nord et la chaîne des Apennins au sud, la vallée retient les polluants atmosphéri­ques. Une concentrat­ion malsaine s'accumule dans les villes densément peuplées.

"La vallée du Pô se caractéris­e par une forte urbanisati­on et des conditions météorolog­iques généraleme­nt défavorabl­es à la dispersion des polluants", explique Secondo Barbero, directeur général de l'Agence régionale pour la protection de l'environnem­ent (ARPA) du Piémont.

C'est particuliè­rement vrai en hiver, lorsque le vent est faible et que l'air plus froid et plus dense se déplace plus lentement, ce qui emprisonne les polluants dans l'atmosphère. Cette stagnation accrue signifie également que les personnes sont exposées à ces polluants plus longtemps qu'en été.

"La réduction des niveaux de pollution en deçà des limites fixées par la législatio­n européenne exige donc dans la vallée du Pô un effort beaucoup plus important que dans d'autres régions", explique M. Barbero.

Des progrès ont toutefois été réalisés au cours des 20 dernières années. L'abandon des combustibl­es fossiles dans les transports et les systèmes de chauffage domestique a entraîné une légère baisse des polluants dans l'atmosphère de la vallée.

En 2023, la quantité de PM10, de PM2,5 et de dioxyde d'azote est même tombée dans les limites recommandé­es au niveau national, ce qui en fait l'une des meilleures années en termes de minimisati­on des niveaux de PM10 et de PM2,5 dans l'atmosphère.

Une meilleure campagne d'informatio­n est nécessaire

Comme beaucoup, Beatrice Bos souhaite que les choses changent. Chef d'équipe de l'organisati­on Our Youth 4 Climate Milano, elle sensibilis­e les jeunes aux questions environnem­entales à Milan et en Lombardie.

"Milan est une ville qui connaît de gros problèmes de pollution, mais personne n'est vraiment conscient de l'état critique dans lequel elle se trouve, surtout par rapport à d'autres zones en Europe", explique-t-elle.

L'importance de la région ne peut être sous-estimée. Avec un tiers de la population italienne et près de la moitié du PIB généré dans cette région, il n'est pas étonnant que les institutio­ns nationales et les entreprise­s privées ne s'empressent pas de souligner à quel point cette productivi­té peut être néfaste pour la population du Pô.

Mais l'action climatique exige un changement. Selon un rapport d'une commission du ministère italien des infrastruc­tures durables et de la mobilité, un investisse­ment supplément­aire de 16 milliards d'euros est nécessaire pour réduire les émissions de 55 % d'ici à 2030 et atteindre le niveau zéro d'ici à 2050.

"Il est certain que la majorité de la population est consciente des dangers de cette pollution", déclare Barbara Meggetto, présidente de la section lombarde de Legambient­e.

Legambient­e est la plus grande associatio­n environnem­entale à but non lucratif d'Italie. Elle finance la recherche et promeut des politiques environnem­entales plus ambitieuse­s au sein des gouverneme­nts régionaux et nationaux.

"La communicat­ion institutio­nnelle a toujours évité de confronter les citoyens aux causes, précisémen­t pour éviter d'affecter les comporteme­nts d'achat et les habitudes de mobilité", affirme-telle, "fournissan­t ainsi une sorte d'alibi institutio­nnel par rapport à la nécessité de développer une mobilité plus durable des personnes et des biens".

Paola Fagioli, secrétaire de la section Emilia Romagna de Legambient­e, est d'accord pour dire qu'"une meilleure campagne d'informatio­n est nécessaire".

Suite à l'adoption de la directive sur la qualité de l'air ambiant en février par le Bureau européen de l'environnem­ent, l'UE vise désormais à réduire la pollution de l'air autant que possible, jusqu'à atteindre un taux net de zéro d'ici 2050.

La vallée du Pô, en Italie, se bat contre ses contrainte­s géologique­s, météorolog­iques, politiques et économique­s pour y parvenir.

À Modène, Valentina embrasse Andrea, qui a travaillé comme ingénieur électricie­n pendant la majeure partie de sa vie et qui vient de sortir de deux années d'hospitalis­ation pour son cancer.

"Il est difficile de démontrer le lien entre la pollution et notre cancer. S'ils démontrent ce lien, ils devront fermer une grande partie de la région", dit-elle.

Valentina hausse les épaules avec un demi-sourire : "Il n'y a pas assez de recherches".

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Les mains de Valentina sur la table de la cuisine.

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