ROAD-BOOK CATERHAM 165 SPRINT & 485S
Cantal, Auvergne, Saint-nectaire, Chavignol, Selles-sur-cher… avec plus de 1 000 km de départementales arpentées en plein coeur de la France, nous avons eu l’occasion ce mois-ci de profiter de l’authenticité du savoir-faire Anglais allié à la richesse du
Traverser la France en Caterham, c’est douloureusement jouissif. Arnaud Taquet, qui aime se faire du bien en se faisant mal, a testé.
un 3008, un Duster ou tout ce qui ressemble de près ou de loin à une voiture faite avant tout pour être utile. La nuit tombe, l’orage gronde et alors qu’à vive allure je parvenais jusqu’à maintenant à éviter les rideaux de pluie, la 485S que j’ai prise en main quelques heures plus tôt revêt des airs de baignoire à mesure que le rythme ralentit. Dans mon malheur je m’en sors bien, mon modèle d’essai étant particulièrement bien équipé je dispose par chance du pare-brise et des portières optionnels (!). En revanche, pour la capote on repassera. Je suis en rase campagne, l’averse s’intensifie et il ne semble pas plus intéressant de s’arrêter cinq minutes pour enlever le coffre et remettre le toit que de maintenir une allure constante jusqu’à l’arrivée.
Le bruit des flaques dans les arches de roues n’est pas plus rassurant que les minuscules essuie-glaces peinant à évacuer le flux d’eau. Le cache-moyeu du volant vient de me tomber sur les genoux et Alex, qui me suit dans la 165 Sprint, me signale que les feux stop ne fonctionnent plus, imitant les indicateurs de changement de rapport qui eux, n’ont de toute façon jamais fonctionné. De la situation découlent des questions existentielles : « Qu’estce que je fais là ? », « Quand est-ce qu’on arrive ? »,
« Quand est-ce qu’on mange ? ». Après pourtant plusieurs heures de route qui nous ont menés jusqu’à Bourges, je ne sais toujours pas quoi penser, ni de la voiture que je n’ai pas pu jauger ni de la situation dans son ensemble. Mon esprit oscille entre excitation et exaspération. Il faut maintenant en pleine nuit s’atteler à remettre le toit de chacune de nos voitures après en être sorti à… Cat’pattes. Mais je n’ai pas à me plaindre puisqu’alex, incapable de conduire chaussé avec ce pédalier beaucoup trop étroit (écraser l’accélérateur en même temps que le frein n’est jamais rassurant), vient de poser ses pieds nus dans les rigoles gorgées d’eau qui serpentent entre les pavés du parvis de la cathédrale.
Le lendemain matin, après une nuit bien agitée, les capotes courbent sous le poids du liquide céleste avant que tout ne se déverse à l’intérieur. Après avoir longuement échangé la veille sur nos premiers ressentis à bord des deux voitures, je sais déjà sans l’avoir conduite que la 165 manque de moteur.
« Elle est tellement molle qu’elle mériterait d’être jolie… mais non.
- En même temps, la 485S lui ressemble beaucoup, non ?
- Ah non, elle est moche, mais pas autant…»
EN MODE RACE, L’ÉCHAPPEMENT SE LIBÈRE PRESQUE TOTALEMENT, IL CRÉPITE ET VIOLENTE LES TYMPANS.
En vérité, l’idée était de prendre conscience de la plage d’utilisation possible d’une Caterham, en récupérant la plus sage de la gamme et la plus puissante disponible sur le marché français. De surcroît, notre 165 est une série anniversaire 165 Sprint agissant en véritable appel à la nostalgie, d’où un ensemble voulu plus rétro que typé sport. Conçue à l’origine par Colin Chapman et produite depuis 44 ans par Caterham, celle que l’on appelait la Lotus Seven renaît aujourd’hui grâce aux pouvoirs du marketing. Mais pour être honnête, on s’y croirait, au vu du soin apporté aux matériaux et à la finition comme au regard de l’assemblage résultant visiblement des mêmes méthodes qu’à l’époque. La 165 Sprint récupère ainsi des jantes tôle peintes couleur crème et affublées d’enjoliveurs chromés, retrouve des feux arrière ronds comme à l’origine et se pare des anciens logos de la marque. Les éléments présents en noir sur la gamme actuelle sont remplacés eux aussi par du chrome, tandis que seuls six choix de couleurs sont disponibles. Bien évidemment, six couleurs historiques et déjà disponibles en 1966. À l’intérieur, la sellerie rouge “Muirhead Scottish” côtoie le bois et les chromes du tableau de bord tandis que le reste est composé d’un assemblage de plaques d’aluminium rivetées façon fuselage d’avion d’avant-guerre. Autrement dit, mis à part le gain en fiabilité dû au moteur troiscylindres Suzuki, pas de tromperie sur la marchandise et on retrouve bien sur tous les plans ce qui fait de la 165 Sprint une voiture se voulant authentique. L’idée de pouvoir acheter neuve une auto conçue et assemblée comme en 1966 avec les avantages de la modernité en ravira sûrement. D’autres, moins au fait de l’histoire, n’y verront probablement qu’une tentative de concrétiser à l’échelle 1 la voiture de Oui-oui. Chacun est juge, pour l’heure, notre intérêt se porte davantage sur la 485S. Essayer une Caterham exige le même type de concentration que celle requise lorsqu’il faut goûter un grand cru au restaurant devant un parterre d’oenologues amateurs. En d’autres termes, le risque de paraître ridicule est trop grand pour ne pas prendre la situation au sérieux, d’autant que l’auto intimide. On passe sur la sensation perturbante de vulnérabilité, l’absence d’insonorisants (à quoi bon d’ailleurs), pour se focaliser sur la sonorité et ce qu’il y a sur le papier. 240 ch pour moins de 600 kg lorsque le mode Race est activé, dans le cas contraire la cartographie limite le moteur à 200 ch. En revanche, le poids lui, ne change pas. Évidemment. Dans ce mode Race, l’échappement se libère presque totalement et grimpe en intensité, crépite et violente les tympans.
Paradoxalement, grâce au châssis SV élargi et au plancher bas (deux options), l’accès à bord de la 485 se fait plus facilement que dans la Sprint et, une fois installé, il est difficile d’avoir à redire sur la position de conduite. Rien à redire non plus en termes de confort. J’abrège. Désormais les conditions sont idéales pour faire connaissance avec les deux Anglaises et, comme le disait un ancien ex-futur président à une dame de petite vertu lilloise, « je crois que ce bavardage est une insulte à notre désir ».
Alors que le soleil se met à briller, tout en roulant j’enlève les portières de la 165 Sprint que je pose sur le siège passager, puis tente de maintenir un rythme relativement élevé avant de voir la 485S me doubler puis disparaître presque aussitôt. Si la différence à la conduite entre les 165 et 485 se faisait ténue sous la pluie, elle se veut aujourd’hui évidente. Les fins pneus route de la 165 et son comportement plus civilisé la rapprochaient alors de la 485 bien plus coupleuse et chaussée en semi-slicks. Donc plus intimidante.
ÇA C’EST DONC LE RESSENTI D’ALEX, BOMBARDÉ SECOND ESSAYEUR SUR CE ROAD-BOOK ET
PLUS ADEPTE DE TRACK DAYS QUE DE RALLYES TOURISTIQUES EN VOITURES ANCIENNES.
SOUS LA PLUIE, LA 485 EN SEMISLICKS NE DISTANCE PAS SI FACILEMENT LA 165 AUX PNEUS FINS.
LES VOITURES CAPABLES DE DÉLIVRER AUTANT DE SENSATIONS, QUELLE QUE SOIT L’ALLURE, SONT EXTRÊMEMENT RARES.
DE PLUS, LA FAIBLE INERTIE DE L’AUTO TOUT COMME LE BRUIT DE L’ÉCHAPPEMENT SITUÉ DU CÔTÉ CONDUCTEUR (À L’INVERSE DE LA 485) AJOUTENT ENCORE AU PLAISIR.
Dans les enchaînements, le châssis étant bien moins rigoureux, suivre Alex se révèle compliqué mais pas autant que l’écart de puissance le laissait suggérer. En revanche, lorsqu’il est question d’allonge, les performances se montrent à tel point éloignées que j’en viens à me demander si je ne freine pas en même temps que j’accélère à cause de la taille du pédalier. La course du levier de vitesse est particulièrement courte, trop même, pour une fois. À chaque passage de rapport, dans le doute, je relève doucement le pied de l’embrayage. Aussi, l’étagement des rapports est incompréhensible. La troisième et la quatrième sont très proches. À défaut de se montrer joueuse en sortie de courbe, la 165 parvient à se placer au train avant en entrée tout en permettant un léger pivot de l’essieu arrière dont on ressent, de par la position de conduite, le moindre mouvement. La suspension trop souple ne permet pas vraiment d’être optimiste sur les vitesses de passage en courbes. Mais encore une fois, ce qui finit par agacer réside dans la gestion d’un pédalier bien trop étroit pour se sentir en confiance, sans compter que la conduite pieds nus impose d’emblée une conduite moins agressive. Seulement après avoir quitté le centre de Massages puis passé Evaux (pas le magazine, le village), Hérisson et Monaco (lieu-dit), le tracé devient de plus en plus sinueux et je ne parviens pas à me résoudre à le parcourir avec la 165. Alors que nous entrons en Auvergne et prenons la direction du Puy-de-dôme malgré les nuages menaçants, je récupère la 485S dont j’aimerais profiter avant que les conditions météo n’en viennent à ressembler à celles de la veille. En plus de découvrir une auto dont je ne savais presque rien jusqu’alors, je souhaitais essayer de comprendre un ami qui m’a récemment avoué avoir dépensé quelque 80 000 euros pour une 485S neuve. Mis à part quelques pièces en carbone je ne vois rien, ni à l’extérieur ni à l’intérieur, qui puisse indiquer “où passe l’argent”. Encore plus incompréhensible que les tarifs appliqués, je reste circonspect sur la demande et le statut d’objet de désir qui permet à Caterham de conserver une cote relativement haute et stable. Il ne m’aura fallu qu’une route sèche et 50 km de tracé sinueux (mais jamais lassant) pour m’apercevoir de la situation de monopole de la marque : le plaisir éprouvé au volant est unique et introuvable ailleurs, encore moins sur le marché du neuf. Très vite je comprends que j’ai sous-estimé l’impact singulier de la conduite Caterham. Objectivement, la 485S apparaît comme l’achat automobile le plus stupide qui soit. L’effet d’un tarif dissuasif et d’une combinaison alliant un assemblage et une finition aléatoires ainsi que l’absence d’éléments de confort, de sécurité et de technologie. Seulement, une fois derrière le volant, la 485S devient particulièrement bon marché. Au-delà de la quasi-immersion dans le monde de la monoplace et de l’ambiance créée par les explosions à l’échappement, on comprend rapidement que les voitures capables de délivrer autant de sensations, quelle que soit l’allure, restent extrêmement rares. La vitesse, justement, devient toute relative dès lors que l’on prend conscience que rouler à 50 % du potentiel d’une Caterham permet déjà de s’approcher des limites de performance de n’importe quelle supersportive. La différence étant qu’ici, l’erreur ne peut exister. D’ailleurs je viens de m’en rendre compte en bloquant les roues au freinage. Exit L’ABS, L’ESP et tout ce qui pourrait faire que le conducteur puisse compter sur autre chose que son expérience et ses attributs. Puis il faut oublier la possibilité d’un accident même mineur, qui, au vu de la conception de l’auto, prendrait des proportions vite dramatiques.
Le petit levier de vitesse qui dépasse à peine du soufflet demande une manipulation décidément virile. La première est particulièrement longue et permet des départs arrêtés étonnamment rapides pour une voiture aussi légère. La présence du moteur toujours plein quel que soit le régime ravit dans les enchaînements, mais celui-ci explose littéralement une fois passé les 5 500 tr/mn, au point de devoir s’accrocher fort au minuscule volant, ce qui rend compliqué de maintenir une trajectoire correcte.
SURPUISSANTE, LA 485 L’EST. ELLE SE MONTRE POURTANT À L’AISE MÊME LORSQU’IL EST QUESTION DE FAIRE PLUS QUE HAUSSER LE RYTHME.
Le freinage nécessite d’être finement dosé pour éviter les blocages, le lever de pied n’est en aucun cas toléré tant le frein moteur perturbe l’assiette, tandis qu’une reprise des gaz trop précoce ne pardonnera pas. Ici, aller vite, très vite même, demande de ne compter que sur soimême et force à adopter un pilotage plus fin, plus propre, et de doser précisément la moindre impulsion sur les pédales. Jamais la conduite n’aura été aussi gratifiante. Une fois assimilée, la 485S donne toute sa mesure. Sur route sèche, s’entend. Nous prenons la direction de Cahors, puis de Toulouse depuis Clermont-ferrand pour une dernière journée de route, sans pluie une fois encore. Nous nous abandonnons à quelques détours et découvrons toujours plus de routes vallonnées, sinueuses et désertes. Au coeur de nos régions que nous pensions striées de nationales interminables, des kilomètres de routes sublimes ne cessent de nous régaler. Contre toute attente, après 1 100 km parcourus, ni le dos ni les nerfs ne lâchent, et seul un brin de raison m’empêche de me renseigner sur une éventuelle commande. Si les Caterham sont aussi désirables, c’est donc uniquement et précisément grâce à l’adrénaline qu’elles procurent, et ce quelle que soit la vitesse à laquelle vous vous déplacez. Le coup de foudre défiant toute espèce de raison et pourtant si facilement justifiable n’aura jamais été si bien représenté.l