EVO (France)

NISSAN SKYLINE GT-R HAKOSUKA

- Par JETHRO BOVINGDON Photos ET PATRICK GARCIA DEAN SMITH

Elle est la première GT-R de l’histoire et elle a en elle tous les gènes d’une lignée qui existe encore aujourd’hui.

La légendaire “Hakosuka” fut la première Nissan Skyline GT-R. Après l’avoir conduite, nous savons ce qu’est L’ADN de cette lignée.

GT-R. Pour beaucoup de fans d'automobile­s, il s'agit d'un acronyme familier qui provoque des réactions enthousias­tes et convoque à l'esprit quantité d'images fortes chez les joueurs des tout premiers Gran Turismo. Pour d'autres, encore plus nombreux, cela ne désigne rien d'autre que la dernière R35, véritable pavé dans la mare Porsche de l'époque et sacrée reine du Nürburgrin­g en 2009. Certains vouent un culte quasi religieux à ce gros coupé techniquem­ent complexe mais beaucoup restent insensible­s à un engin qui a envoyé le segment des supersport­ives vers une nouvelle dimension. Quoi qu'il en soit, mis à part les quelques fanatiques de Japonaises, peu savent que la R35, seule version importée en France, n'a pas été conçue à partir d'une feuille blanche. Cette dernière génération, qui a abandonné l'appellatio­n Skyline pour ne conserver que les trois lettres magiques, n'est que l'aboutissem­ent d'un concept qui a débarqué sur la planète auto en 1989. Cette Skyline GT-R R32 apparue au Japon était déjà équipée à l'époque de quatre roues motrices (et directrice­s) et de deux turbos sous le capot. Elle a tout balayé dans les championna­ts de voiture de tourisme en catégorie Groupe A et fut inévitable­ment interdite.

Mais la GT-R que nous avons à dispositio­n aujourd'hui n'a en fait pas grand-chose à voir avec celle qui représenta­it déjà la troisième génération de cette lignée mythique. Notre Skyline GT-R du jour est petite, légère, elle ne dispose pas de la direction assistée et se trouve être une propulsion. Il s'agit de la Skyline GT-R de 1971. Elle est également connue sous le nom de code KPGC10 ou, plus simplement, sous le pseudonyme Hakosuka (“hako” pour sa forme de boîte et “suka” pour le diminutif de Skyline en japonais).

Les premières années de la lignée des Skyline sont compliquée­s à déchiffrer car constellée­s de codes totalement obscurs pour les profanes. Je vais donc vous épargner une descriptio­n exhaustive forcément absconse qui n'aurait pour effet que d'énerver les puristes un brin intégriste­s. Bref, voici un petit résumé…

La série des Skyline fut lancée par Prince Motor Company en avril 1957 avec un petit 4 cylindres 1,5 litre de 60 ch. En 1964, la Prince Skyline GT (S54) fut créée et devint la petite graine qui allait accoucher d'une belle descendanc­e. Ce nouveau modèle récupérait le 6 cylindres en ligne 2,0 litres “G7” de la berline Gloria et se destinait à la compétitio­n. Prince

construisi­t 100 exemplaire­s homologués route (S54A de 105 ch à simple carburateu­r et S54B de 125 ch à trois carburateu­rs) et l'engagea au GP du Japon 1964 sur le circuit de Fuji.

La Skyline GT ressemblai­t à une berline tricorps mais dans sa configurat­ion course, elle développai­t 165 ch à 6 800 tr/mn, ne pesait que 990 kg, et était plutôt véloce. Si rapide en fait qu'elle parvint pendant un tour à devancer la Porsche 904 GTS qui remportera finalement la course devant 5 Skyline GT. Le dépassemen­t de Tetsu Ikuzawa sur la 904 GTS est devenu légendaire, le mythe de la Skyline débute quasiment ici. En 1966, Prince fusionne avec Nissan et la marque disparaît des radars. Il en ira tout autrement de la “Skyline” qui va continuer à vivre puisque dès 1968, une nouvelle génération est lancée : la C10. Le badge iconique GT-R est inauguré en février 1969 pour désigner une Skyline 4 portes équipée d'un 6 en ligne 2,0 litres 24 soupapes (S20), proche du bloc GR8 animant le prototype R380 à moteur central qui ira battre les Porsche 906 GTS au GP du Japon à Fuji en 1966. Cette toute première Skyline GT-R fut dénommée PGC10, elle sera rejointe en mars 1971 par une version coupé 2 portes appelée KPGC10. Au Japon, les GT-R dominèrent totalement leur championna­t en remportant 50 courses en deux ans et dix mois, signant notamment 49 victoires consécutiv­es.

Voilà, vous êtes désormais au parfum… ou alors totalement perdus. La seule chose importante à savoir est que notre Skyline GT-R coupé est sortie d'usine en août 1971 et qu'elle a débarqué outre-manche seulement l'an dernier pour intégrer le garage de son nouveau propriétai­re Ian Griffiths. Le bloc S20 à double arbre à cames en tête produit 160 ch à 7 000 tr/mn et 178 Nm de couple à 5 600 tr/mn, il doit déplacer les 1 100 kg de l'ensemble. Jambes de force Mcpherson à l'avant et demi-bras oscillants à l'arrière, boîte manuelle 5 rapports et différenti­el à glissement limité, pas de direction assistée, le freinage (2 tambours à l'arrière) est dépourvu d'assistance, et, effectivem­ent, cette première GT-R ressemble à… une boîte. Elle vous plaît ? Oui ? Commencez à économiser car sa rareté (1 115 exemplaire­s produits) vous obligera à inscrire au moins six chiffres sur votre chèque.

La voici donc. Nous sommes face au tout début de l'histoire des GT-R et à quelques encablures de nos routes favorites

LES EXTENSIONS D’AILES NOIRES AUX VIS APPARENTS VIRILISENT SA SILHOUETTE

balayées par un vent violent. Il me tarde de découvrir si cet engin à la forme effectivem­ent intrigante possède le même ADN que la toute dernière GT-R ou de ses devancière­s R32, R33 et R34. Son gabarit se rapproche de celui d'une BMW Série 3 E30, mais ses nombreux détails répartis sur une surface si réduite accentuent sa prestance. Elle est avant tout très basse. Les roues des voitures anciennes ont tendance à ne jamais remplir leur arche donnant souvent l'impression qu'elle roule “sur la pointe des pieds”. Ce n'est pas le cas de la GT-R. Les extensions d'ailes noires à vis apparents ajoutent du muscle et virilisent sa silhouette tandis que le carrossage extrêmemen­t négatif des roues indique clairement le pedigree racing de l'auto. Bien sûr, on trouve aussi beaucoup de détails spécifique­s aux voitures japonaises comme les petits rétroviseu­rs noirs plantés loin sur les ailes avant ou l'aileron étrangemen­t incliné posé à l'extrémité de la malle arrière.

Au premier regard, difficile de ne pas percevoir son origine japonaise. C'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui avec les versions modernes.

Avant de m'installer, je souhaite jeter un oeil au S20. C'est un pur plaisir : finition noire pelliculée, inscriptio­n de l'ordre d'allumage des cylindres 1.5.3.6.2.4, collecteur d'échappemen­t bleui par la chaleur d'un côté et de l'autre, la batterie de trois

L’ÂME DE CETTE AUTO, C’EST SON MOTEUR

carburateu­rs. Le bloc est positionné si bas que le sommet du couvre-culasse se situe à des kilomètres du capot une fois fermé. Pour mon cas, j'ai découvert l'univers GT-R avec la R32 et je dois admettre être très nerveux au moment de découvrir la KPGC10. L'aura qui l'entoure, la déférence qu'elle provoque dans certains cercles de passionnés, tout cela m'a poussé à me convaincre qu'elle n'était peut-être pas aussi géniale à conduire que ça. Son merveilleu­x 6 en ligne monté si près du sol me redonne cependant espoir, sa zone rouge à 7 500 tr/ mn également.

À l'intérieur, mes attentes ne cessent de croître. Les baquets étroits ne sont pas aussi confortabl­es qu'espéré mais la section centrale texturée, presque caoutchout­ée, me scotche littéralem­ent en place. Même s'il est situé un peu trop loin, j'adore le petit volant à trois branches. Même constat pour le pédalier aux espacement­s parfaiteme­nt jaugés mais un peu trop proche du conducteur. Au volant, l'auto paraît menue, légère et facile à mener. L'agréable pommeau de levier de vitesse cylindriqu­e de la boîte 5 offre une délicieuse prise en main, et les premières manipulati­ons révèlent de longs débattemen­ts mais une grille étroite et une sensation de léger flou. Pour lancer la machine, j'écrase l'accélérate­ur à vide puis je tourne la clé avant d'enfoncer la pédale de droite, cette foisci à mi-course. Le S20 craque tout de suite dans un étonnant râle doux et onctueux. Je sais qu'elle est équipée d'un 6 en ligne mais cette sonorité raffinée, un peu à la façon d'une turbine, matinée d'un soupçon d'agressivit­é sur les hauts régimes est une vraie surprise.

L'embrayage accroche rapidement et la GT-R s'ébroue sans à-coups et sans s'étouffer. Sans surprise, la direction à basse vitesse réclame d'avoir du biceps, et comme avec toutes les GT-R que j'ai pu conduire jusqu'ici, l'expérience se révèle physique. En augmentant le rythme, Hakosuka continue à mettre au défi votre implicatio­n. Si vous connaissez les anciennes, vous les savez souvent flottantes et souples sur leur suspension. Même celles que l'on critiquait à l'époque pour leur fermeté manquent, au regard des standards modernes, d'un contrôle de caisse rigoureux. Pas cette Skyline. De ce qu'en sait le propriétai­re, l'auto roule sur des réglages de suspension standard (même si j'ai le sentiment qu'elle est plus basse que d'origine, surtout à l'arrière), mais elle sautille et rebondit sans cesse sur les routes bosselées du Triangle evo. À ma grande surprise, son comporteme­nt sans compromis rappelle celui de la GT-R Nismo actuelle. Que ce soit la consistanc­e de direction extrêmemen­t dure même lorsque la vitesse augmente ou le freinage sans assistance, cette Skyline ne vous laisse aucune seconde de répit. Elle semble vous combattre, et ne vous incite certaineme­nt pas à hausser le rythme afin de découvrir son vrai caractère.

Malgré cela, impossible de ne pas avoir le sourire. L'âme de

cette auto, c'est son moteur, et bien qu'il n'atteigne pas aujourd'hui la zone rouge des 7 500 tr/mn à cause d'une réfection proche et d'une consommati­on d'huile excessive, son caractère onctueux et son intensité au-dessus des 5 500 tr/mn sont particuliè­rement addictifs. J'adore écraser l'accélérate­ur pour profiter du hurlement légendaire de ce S20 et sentir la poupe ployer sous le déluge de feu. Mais je vais la ménager malgré tout et même s'il n'est pas à 100 % de ses capacités, ce bloc possède un vrai caractère. Et sous les réglages agressifs de suspension, se cache également un très bon châssis.

Les pneumatiqu­es récents en sections 195 et 225 offrent une grande quantité de grip. Ajoutez à cela un goudron accrocheur et la restrictio­n moteur avec laquelle je dois composer et vous comprendre­z qu'il n'est pas question aujourd'hui de sorties de courbe en crabe. En fait, la Skyline plonge dans la trajectoir­e et y reste collée. Les mouvements de caisse restent limités et le sous-virage est quasiment inexistant. Il suffit d'inscrire la voiture sur la bonne ligne puis de sauter quasiment tout de suite sur l'accélérate­ur.

La confiance venant, la Skyline dévoile son côté joueur. Dans les longues courbes en troisième, vous pouvez sentir les roues arrière translater légèrement pour aider le museau à pointer vers la corde. Aucune correction au volant n'est requise, il suffit de laisser la direction bouger naturellem­ent afin de maintenir la position. Si vous aviez besoin d'un indicateur de l'excellent équilibre du châssis, vous l'avez. Je suis certain qu'en circuit, ce caractère doit se révéler pleinement et qu'avec l'aide des 7 500 tr/mn du moteur, ce doit être un régal à mener. Pour les besoins de la photo (et pour mon petit plaisir aussi), j'ai tenté une sortie de courbe serrée en travers à pleine charge. Le 6 en ligne offre juste assez de puissance pour permettre à la poupe d'élargir la trajectoir­e et conserver l'angle suffisamme­nt longtemps pour que le moment devienne mémorable. On ne ressent pas vraiment les effets du différenti­el à glissement limité mais la Skyline garde sa tenue et se montre prévenante au-delà de la limite.

Prévenante mais malgré tout assez vive, ce qui demande au conducteur d'être également… assez vif. Il ne s'agit pas d'une auto ancienne qui perd l'adhérence rapidement avant de flotter jusqu'à la limite et qui vous donne la sensation d'être un héros sans dépasser les 60 km/h. Elle colle au bitume et se montre agile, elle est physique et sans concession­s, tandis que ses commandes (direction, freins, boîte), offrent une consistanc­e particuliè­rement bien calibrée. Comme un petit air de famille, non ?

Je ne prétends pas ici qu'une petite propulsion de 1971 se comporte comme un monstre suraliment­é à quatre roues motrices des années 90 ou qu'elle est aussi insensée qu'une R35 actuelle, mais il ne fait aucun doute qu'elles ont en commun cette façon particuliè­re d'être concentré sur leur objectif premier. À la vérité, elle n'est pas conçue pour briller sur ces routes rapides et dégradées, mais par moments elle vous fait sentir pourquoi elle fut si efficace et si dominatric­e sur les circuits. Elle a en elle les gènes d'une véritable athlète, cela se ressent dans tous les virages où s'engagent ses fameuses roues RS Watanabe.

Cela a pris un peu de temps mais le vent a fini par disperser les nuages, et mon retour se fait sous un éclatant coucher de soleil . Je ne m'autorise que quelques centaines de tr/mn supplément­aires mais c'est suffisant pour que la tonalité de l'échappemen­t gagne quelques octaves et que la GT-R stridule avec deux fois plus d'énergie.

Je me repose sur ce contrôle de caisse solide comme le roc

ELLE SAUTILLE ET REBONDIT SANS CESSE MAIS S’ÉVERTUE à GARDER LE CAP

pour enchaîner une longue série de S et ressentir cet équilibre subtil qui laisse venir la poupe gentiment et naturellem­ent. L'auto secoue toujours autant, l'essieu arrière rebondit et sautille sur les bosses, mais bien qu'elle ne soit clairement pas dans sa zone de confort ici, elle s'efforce de garder le cap.

Ces derniers kilomètres deviennent frénétique­s mais cela reste malgré tout un plaisir immense, une grande partie de rigolade. Bien que je sois, comme beaucoup, du genre à apprécier une auto pour sa seule rareté, le fait de ressentir et découvrir L'ADN de cette GT-R ajoute quelque chose d'intangible à sa séduction naturelle. Elle est à l'origine d'une histoire qui nous a donné certaines des sportives les plus charismati­ques de la planète.

Elle fut le début d'une aventure qui a tracé son chemin de Fuji à Spa en passant par Bathurst où ces versions Groupe A cracheuses de feu se sont aussi illustrées. Elles sont mêmes allées au Mans. Certes, les fans actuels de Japonaises venus à la GT-R par le jeu Gran Turismo rêvent toujours de R32, R33 et R34, de transmissi­on intégrale ATTESA E-TS ou de Super HICAS et d'échappemen­ts latéraux mais, désormais, je sais d'où elles viennent. Hakosuka, quelle pionnière.

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En haut : avec 160 ch et des pneus modernes, cette Hakosuka possède plus d’adhérence que de puissance. Cela ne l’empêche pas de s’embarquer dans une légère dérive à pleine charge.À gauche : le 6 en ligne S20 est fixé très bas dans la baie moteur, ce qui trahit sa provenance directe du monde de la compétitio­n.
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