MCLAREN 12C vs 650S
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En préambule à l’essai de la nouvelle 720S, nous avons repris le volant de ses devancières afin de juger les progrès et les évolutions depuis le lancement de la gamme Super Series.
Les non-initiés ne verront entre elles aucune différence, pas même à la vue de leurs fiches techniques. Alors, en quoi la 650S est-elle une évolution de la 12C ? Et par suite, quelles améliorations attendre de la nouvelle 720S ?
En quoi sont-elles si différentes ? », me demande un ami devant les deux carrosseries, question qu’il applique à la gamme Mclaren tout entière. Et pour être honnête, j’ai dû potasser un peu afin de lui offrir une réponse la plus précise. En 2011, je me souviens avoir conduit celle originelle, la MP4-12C, mais depuis, les modèles se sont multipliés. On trouve désormais la gamme “Sport Series”, la “Super Series”, puis une “Ultimate Series”. Et pour un oeil non avisé, tout se ressemble passablement. Au cours de ce test, trois personnes, pointant du doigt la 650S, viendront même nous demander s’il s’agit bien de la fameuse P1…
Une fois plongé dans les fiches techniques, on découvre que sous des robes assez génériques, les modèles Sports Series et Super Series cachent les mêmes éléments constitutifs : une coque carbone, une double triangulation aux quatre coins, un V8 3.8 biturbo et une transmission à double embrayage et 7 rapports. En revanche, la nature des carrosseries diffère puisque l’entrée de gamme Sports Series s’habille d’un composé moulé et les Super Series de fibre de carbone. Idem côté châssis. Les modèles Sports Series possèdent de véritables barres antiroulis tandis que les Super Series embarquent le “Proactive Chassis Control”, un système de suspension actif qui reproduit en virage l’effet des barres antiroulis tout en laissant chaque roue libre en vertical, pour plus de confort en ligne droite. En matière de puissance, la gamme s’étend ensuite de 540 ch (540C) à 675 ch (675LT) avant introduction de la 720S. Quant aux tarifs, ils évoluent de 164 500 à 340 175 euros. De fait, si toutes sont d’exceptionnelles machines, difficile de blâmer qui que ce soit de ne pas les différencier au premier coup d’oeil. Raison pour laquelle nous sommes ravis de voir la 720S, nouvelle Super Series (voir en page 56), apporter de nouveaux traits au style Mclaren.
La 720S succède à la 650S, descendante de la 12C, qui dérivait elle-même de la toute première supersportive de la marque, la MP4-12C. Du chemin a ainsi été parcouru. Et pour saisir l’ampleur de l’évolution de cette gamme Super Series, ou pour savoir si cette évolution suit une trajectoire précise, nous avons réuni les 650S et 12C, toutes deux Spider, sur certaines de nos routes favorites.
À l’annonce de la MP4-12C, Mclaren déclarait à l’époque ne pas vouloir concurrencer les constructeurs établis, mais leur donner une leçon. Or, ce fut le cas à bien des égards. D’ailleurs, on s’étonne encore aujourd’hui de l’extraordinaire rapidité avec laquelle Mclaren est devenu cet acteur incontournable du segment, ou a étendu sa gamme pour combler de multiples niches. Bien sûr, tout ce temps, la marque a dû apprendre, rectifier, approfondir. Les autos ont évolué. Qu’il s’agisse d’aspirateurs ou de supercars, peu de machines si complexes débarquent sur le marché et connaissent le succès sans subir la moindre évolution au cours de leur commercialisation. Ainsi la MP4-12C a-t-elle connu bien des mises à jour, dès ses premiers mois, avant de devenir simple 12C.
De notre côté, nous avions intégré la MP4-12C dès notre élection de la sportive
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de l’année 2011 organisée au Portugal, autour de Portimão. Et la nouvelle venue nous avait été livrée avec une étrange option : une équipe de développement. Mclaren a littéralement poursuivi sa mise au point durant l’essai. Chaque jour,
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empruntait la MP4 pour la tester et réaliser des photos, et chaque jour sa dynamique conservait quelques défauts. La direction manquait de feedback et de consistance. Ou bien le comportement et l’amortissement se contrariaient l’un l’autre. La qualité d’amortissement se révélait en effet remarquable (trop peut-être), en particulier pour une supersportive, mais le comportement pâtissait malheureusement de cette souplesse. Il semblait comme détaché de la route et générait parfois une sensation de tangage diagonal. C’est finalement le dernier jour d’essai que les ingénieurs ont modifié quelques réglages châssis qui, instantanément, ont transformé l’auto. Celle-ci était devenue si efficace qu’elle aurait pu voler la victoire à la 911 GT3 RS 4.0, si l’amélioration était survenue un peu plus tôt. La suspension continuait de neutraliser les pires cassures du revêtement. La MP4 négociait toujours sans un bruit les bosses ou les creux, là où la Porsche et la Ferrari FF frottaient allègrement le bitume. Et dans le même temps, le pilote se retrouvait maintenant connecté à l’auto, à la route. On pouvait désormais exploiter toutes les capacités de la MP4 et ses 600 ch la plupart du temps, et guider l’auto avec confiance. De quoi mettre en lumière l’excellente position de conduite et la vue panoramique offerte par le large pare-brise implanté très bas.
Depuis ce moment, la MP4 est devenue celle que Mclaren nous avait promise. Une auto tout aussi capable de traverser un continent dans un confort remarquable, que de rouler sur piste plus fort qu’aucune autre. À l’exception près qu’à l’époque, son comportement paraissait encore un peu gauche sur certains délestages et virages particulièrement exigeants de Portimão. L’attaque des freins en carbone-céramique restait terriblement agressive elle aussi. Sans oublier quelques couacs, dont le système d’info-divertissement IRIS sur base Android, resté inopérant durant tout le test.
Six ans après, Mclaren n’a clairement jamais cessé le principe du développement continu. Cela dit, l’ergonomie intérieure n’est toujours pas le point fort de la marque. Cinq minutes d’apprentissage seront bienvenues avant de démarrer, en particulier pour les non-initiés. Au sein d’un cockpit Mclaren, tout n’est pas intuitif, pour le moins (la 720S tient là un vaste champ de progression). Le système de navigation, par exemple, est à écran tactile. Or on y accède via un bouton physique. Rien d’affolant direz-vous, encore faut-il le savoir. Pour modifier l’heure, on doit ensuite trouver un sous-menu particulièrement bien caché, accessible sur le tableau de bord, non via les innombrables réglages du menu de l’écran tactile comme on pouvait l’envisager. Et s’agissant des rétroviseurs extérieurs ? Cela m’a pris une heure tout en roulant. La commande se trouve coincée derrière le volant, éclairée en rouge avec un “P” marqué dessus. Évident. J’ai également toujours été agacé par les molettes centrales destinées à ajuster la nature du châssis et de la mécanique. Tout d’abord elles ont un air bas de gamme, puis il vous faut appuyer sur le bouton central “Active” pour les rendre opérantes, ce qui ne m’a jamais paru très logique. Cependant, me voilà désormais acclimaté.
Je le suis également à la dynamique de la 650S après des heures passées à son volant. À ce sujet, c’est au départ la souplesse de l’amortissement qui étonne, et la manière dont il isole des irrégularités de la route et facilite ainsi les longs parcours. On retrouve encore chez la 650S beaucoup de L’ADN de la MP412C. Et les quarante dernières minutes du trajet ont pourtant été redoutables : revêtement criblé de trous, délestages abrupts et crêtes imposantes. Qu’importe, la 650S ne lutte quasiment pas face à la route. Elle la survole, elle neutralise les impacts. Certes, on sent par moments quelques réactions et mouvements étranges rappelant la MP4. Mais il suffit de régler le châssis sur “Sport” et les bizarreries du comportement s’effacent. On gagne alors en confiance.
Pour sa part, le V8 biturbo ne développe pas les vocalises de celui d’une Ferrari 488. Le moteur à vilebrequin plat offre là une note assez discrète. Et si l’on perçoit clairement la nature suralimentée du V8, c’est sous l’effet d’une poussée crescendo, non par un quelconque retard des turbos (on note bien un léger temps de réaction, mais la boîte à double embrayage ultra-réactive agit en compensation). Mclaren annonce une puissance de 650 ch, ce dont je ne doute pas un instant : lorsque l’on met gaz la première fois, l’intensité de l’accélération vous saisit. La puissance déboule avec une force stupéfiante et la motricité est telle qu’on imagine les flancs des pneus se déformer comme ceux d’un dragster, sensations accentuées par le léger déhanchement du train arrière.
Quelques minutes plus tard, sur le parking, la 12C arrive à son tour. L’occasion de comparer. À noter que cette 12C, l’une des toutes dernières (année 2013), est une édition spéciale 50e anniversaire. Elle s’avère donc généreusement équipée. L’auto présente notamment les mêmes freins céramique que la 650S, et des jantes inédites chaussées de Pirelli P Zero de même taille : 235 mm à l’avant, 305 mm à l’arrière. On note aussi une lame avant redessinée qui augmente l’appui aérodynamique. Dans l’ensemble, le dessin demeure plus classique que celui de la 650S, mais cette édition limitée a davantage l’allure de supercar que la MP4 originelle. Selon moi, la MP4 ressemblait
La 650S ne lutte quasiment pas face à la route pourtant accidentée, elle la survole, elle neutralise les impacts
un peu trop au portrait-robot de la supercar que l’on voit sur les publicités de compagnies d’assurances. Heureusement, le chef du design de Mclaren, Frank Stephenson, a rectifié ensuite le tir en renouvelant complètement le dessin des feux par de petits arcs rappelant le logo de la marque. Du reste, il est encore plus difficile de différencier les 12C et 650S depuis l’habitacle. En fait, l’avantage principal de la 650S sur son aînée ne tient là qu’à sa radio numérique. Cependant, les véritables différences devraient avant tout concerner le principal, la dynamique, n’est-ce pas ?
Certes. Quoique, dans ce domaine, la 12C tient plus de la 650S que de la MP4-12C. Ce qui n’a rien de surprenant, cela dit, puisque Mclaren a continué de développer la 12C jusqu’à la fin de sa carrière et offre encore aujourd’hui des mises à jour aux possesseurs de versions antérieures. Toutes ces améliorations se retrouvent d’ailleurs dans notre 12C de 2013, dernier millésime, parmi lesquelles l’augmentation de la puissance de 600 à 620 ch. Et pour tout dire, entre 6 000 et 8 000 tr/mn, cette 12C apparaît presque aussi balistique que la 650S.
Les deux voitures partagent sans conteste un même caractère. Pourtant, quelques kilomètres suffisent à réaliser l’étendue de leurs différences. Après quelques jours, on perçoit même l’importance et tout le détail des évolutions apportées à la 650S. On discerne ce qui rend l’auto toujours plus exploitable et agréable à mener. Aussi, si l’on étend l’analyse et se projette un peu dans l’avenir, on saisit assez bien dans quels domaines la 720S doit à son tour évoluer afin de repousser encore les capacités de la gamme Super Series.
Contrairement à la douceur inattendue de la 650S, c’est au premier abord une forme de mollesse qui se ressent en 12C. Et tandis que le phénomène procure le sentiment de nous isoler encore mieux des imperfections de la route, cela génère quelques secousses sur les pires bosses. On note aussi une accentuation de certains effets négatifs ressentis dans la 650S, comme ces mouvements de caisse longitudinaux ou diagonaux aléatoires. Or, même sur son mode “Sport”, la 12C ne se raffermit guère. Un peu comme si l’auto reposait sur des ressorts pneumatiques. Résultat, on se sent un peu moins en confiance pour exploiter la poussée brutale du moteur.
Autre élément qui contribue à laisser la 12C un peu en retrait, la direction. Moins consistante, elle se montre également moins riche en feedback. À vrai dire, beaucoup de ce qui remonte à travers la direction de la 650S n’est pas d’une extrême subtilité, on ne perd donc pas grand-chose en retour d’informations. En revanche, la direction de la 12C se montre clairement moins réactive. Lorsque l’on tourne le volant de la 12C, rien ne se passe pendant un court instant.
Ensuite, en 650S ou 12C, l’adhérence latérale et la motricité demeurent ici exceptionnelles. La motricité en particulier. Surtout lorsque l’on mesure la poussée massue du V8 biturbo et l’absence de différentiel mécanique à glissement limité. La manière dont ces deux voitures collent au bitume en virage balaye d’ailleurs l’envie de désactiver l’antipatinage. Lorsque les limites d’adhérence sont franchies en milieu de courbe, le patinage et la dérive peuvent en effet survenir brutalement. La 650S négocie les virages à plat et à une telle vitesse qu’elle donne en effet le sentiment de repousser à l’infini les limites d’adhérence. Néanmoins, en vaillant professionnel, je place
le châssis et le moteur sur “Track”. Alors, un voyant s’allume, annonçant l’absence d’antipatinage. Et après quelques runs, je crois avoir trouvé le “truc” pour engager proprement une dérive. Je serre donc les fesses et me lance, quand soudain, en plein virage, l’électronique coupe momentanément le couple du V8 afin de conserver la motricité nécessaire. Finalement, impossible de désactiver totalement l’antipatinage, même sur “Track”. Ce qui me rassure, pour être tout à fait honnête… Et c’est maintenant que je prends conscience de la logique derrière le bouton “Active” niché entre les deux molettes. Le système n’a rien du manettino d’une Ferrari. Cela tient davantage du bouton M des BMW. On peut préprogrammer soi-même divers réglages, comme “Track” pour le châssis et “Sport” pour le moteur, et presser “Active” afin de les enclencher (ou de les désactiver) tous deux en même temps au moment opportun.
En plus de se montrer dynamiquement plus sereine que la 12C, la 650S surpasse son aînée dans d’autres domaines. Tandis que les deux versions du V8 biturbo grimpent volontiers dans les tours sans la moindre inertie, le bloc de la 650S déploie davantage de muscle à mi-régime et réaccélère donc plus tôt, plus fort. Il génère aussi moins de vibrations et s’avère plus savoureux à hauts régimes, plus souple au ralenti. À flâner en ville, les deux voitures font ensuite tourner les têtes avant même d’être aperçues. Malgré une certaine discrétion, elles possèdent une véritable bande-son de supercar, cette profondeur, ce grognement qui évoquent indéniablement la puissance. Avec son échappement sport optionnel, la 650S présente même une harmonique supplémentaire et me rappelle un V8 dérivé de la compétition, ce qui renforce largement ses qualités vocales. Par ailleurs, les bruits de turbo se font plus présents chez la 12C, mais peut-être est-ce le fait d’un échappement moins sonore. L’expérience de conduite s’avère donc assez distincte chez l’une et l’autre. La 12C a largement progressé depuis les premières MP4, devenant peu à peu plus aiguisée, un peu moins souple, tout en offrant toujours une expérience inédite propre à Mclaren. La 650S pousse quant à elle le concept plus loin. Le tranchant de son comportement et la mise au point subtile opérée rendent la 650S bien plus gratifiante et accomplie en tant que supersportive. Certaines améliorations sont encore possibles, et seront certainement abordées sous l’ère 720S au fil du temps. Cela a d’ailleurs déjà commencé, notamment avec le nouveau placement des boutons de commande de boîte, sur la console centrale. Peu ergonomiques, ils étaient positionnés très en arrière dans les 12C et 650S, et ont maintenant été déplacés vers l’avant. Espérons qu’ils se montrent plus réactifs et fluides ; passer de D à R puis de nouveau à D en pleine circulation… les manoeuvres pouvaient se révéler stressantes en 12C. De plus, à froid, les 12C et 650S donnent souvent l’impression d’avoir des embrayages fatigués qui patinent, on donne du gaz sans vraiment avancer. Une mise à jour serait bienvenue là aussi. Toutefois, la plus grande évolution attendue chez la 720S concerne la suspension Proactive, avec un compromis inégalé entre confort et précision du comportement, nous a-t-on promis. Alors, mission accomplie ? Tournez la page pour le découvrir…l
La 650S négocie les virages à une telle vitesse qu’elle donne le sentiment de repousser à l’infini les limites d’adhérence