BENTLEY MULSANNE SPEED
Un engin pesant 2610 kg peut-il se montrer sportif ? Les 1100 Nm de la Speed lui laissent une petite chance de bien figurer.
Je me sens toujours mal à l’aise à l’idée de violenter une Bentley, même équipée de la version la plus puissante du légendaire V8 “six litres trois quarts” de la marque (avec deux turbos). Sérieusement. Qui oserait demander à une masse de 2 610 kg d’aluminium, de bois, de peau de vache, de laine d’agneau, et pourvue d’un frigo à champagne entre les sièges arrière, d’adopter le rythme d’une Mclaren ?
Bentley possède un avis différent sur la question, ou la marque ne perdrait pas 400 heures à construire chaque Mulsanne Speed. Ces 400 heures comprennent 5 800 soudures et 37 heures passées à assembler les finitions de l’habitacle. Ah oui, le redoutable moteur demande à lui tout seul 10 heures et demie de travail. Les chiffres parlent de 537 ch mais surtout de 1 100 Nm de couple. Ils se transmettent aux roues arrière via une boîte automatique ZF à 8 rapports, recalibrée par rapport à la Mulsanne normale pour s’accorder à la hausse des performances moteur. La Speed dispose même d’un mode “S” qui devrait aider la chaîne de transmission à mouvoir une bête de près de trois tonnes. On note également de nouveaux supports moteur actifs, et des silentblocs de suspension modifiés pour accompagner le Drive Dynamics Control de Bentley et le Continuous Damping Control Systems. Le premier nommé gère la cartographie de la boîte, de la direction et du moteur, le second s’occupe de la suspension pneumatique et permet de passer d’une conduite “avec chauffeur” à un mode plus dynamique (abaissant notamment la garde au sol), optimisé pour le conducteur. Vous en conviendrez, les discrets ne privilégieront pas la Mulsanne Speed. Je connais des appartements parisiens moins spacieux que cette énorme limousine. Notez au passage que la version Extended Wheelbase rajoute sur sa longueur 250 mm de surface habitable supplémentaire. Depuis le restylage de l’année dernière, tout a encore grossi sur la Mulsanne. La grille de calandre s’élargit de 80 mm, le bouclier avant de 53 mm, le bouclier arrière de 26 mm. En revanche, la hauteur de caisse diminue. Avec ses jantes chromées de 21 pouces, elle paraît monstrueuse et en parfaite adéquation avec la petite phrase d’ettore Bugatti, qui déclarait jadis que Bentley fabriquait les camions les plus rapides du monde. À l’intérieur, un nouveau système d’infodivertissement à écran tactile permet de rentrer enfin dans le
XXIE siècle. Pour un peu plus de 20 000 euros, Bentley intégrera des ipad dans les tablettes arrière, une stéréo Naim, des télés et un hot-spot Wifi. Vous pourriez vous acheter une BMW M3 E36 rien qu’avec cet argent, et même quelques pièces de rechange. Utilisez la Speed comme une voiture normale (je veux dire, une limousine de 300 000 euros plus abordable, et de moins de deux tonnes), et vous pourriez vous demander “pourquoi la payer si cher ?”. Elle est très silencieuse ; le degré de raffinement dépasse l’entendement et elle ne vous demande jamais aucun effort à bord. Conduisez-la avec un passager à l’arrière, et vous aurez cette désagréable impression de vivre une moins belle expérience que lui. Surmontez donc votre politesse en la paramétrant enfin en Sport. À 1 750 tr/mn, le V8 atteint déjà son pic de couple et le conserve jusqu’à 3 000 tr/mn. Vous notez ensuite une légère accalmie, avant l’arrivée de la puissance maximale à 4 000 tr/mn. Vous n’aurez jamais la sensation de manquer de réserve ici. Et si la direction paraissait totalement déconnectée en mode Confort ou Bentley, elle s’améliore suffisamment en Sport pour vous permettre d’exploiter correctement le monstrueux V8. Le confort d’amortissement n’y perd pas vraiment, d’ailleurs.
Alors, cette Bentley Mulsanne Speed ? Elle est parfaite pour se faire conduire et, lorsque vous lui demandez de troquer sa paire de Richelieu mondaine pour des baskets New Balance, meilleure qu’avant à conduire.