Professeur
Peu de gens comprennent le fonctionnement d’un moteur à combustion interne comme le professeur Jamie Turner, nous lui avons donc demandé comment les constructeurs allaient parvenir à trouver encore plus de puissance dans le futur, avant de nous attarder pour tous ceux qui ne peuvent pas attendre sur les trucs et astuces des préparateurs.
Il existe des professeurs spécialisés dans les moteurs. C’est le cas de Jamie Turner qui occupe un poste de professeur spécialisé dans les moteurs et les systèmes de production d’énergie à l’université de Bath. Cela fait des années que je le connais, notre première rencontre eut lieu lorsqu’il travaillait chez Lotus sur le bloc-moteur de la future Corvette ZR1, le V8 Lotus et d’autres projets plus exotiques dont notamment un moteur baptisé Omnivore capable de fonctionner avec tous les types de carburant, ou encore un “moteur optique” qui permettait d’observer le processus de combustion à travers des cylindres transparents. Jamie Turner a également oeuvré pour Cosworth F1 et, avant de rejoindre l’université de Bath, il dirigeait une section du département moteur chez Jaguar Land Rover spécialisée dans la combustion.
Le professeur Turner possède sans doute le bureau le plus cool de tout le campus. Cela ressemble à un sanctuaire du moteur à combustion interne et, dans une moindre mesure, des moteurs Lotus. Sur un classeur trône un cylindre énorme. Il s’agit de l’un des 18 éléments qui équipaient le Bristol Centaurus, un moteur en étoile destiné à l’aviation. Sur un rebord de fenêtre sont posés un rotor et son vilebrequin en provenance d’un moteur Wankel ainsi qu’un compresseur Roots coupé en deux. Bien que notre homme ait aidé au développement des moteurs rotatifs Norton (il adore les motos), il n’est pas pour autant prisonnier du passé. C’est même tout le contraire. « J’ai récemment pu conduire une Tesla et j’ai vraiment adoré, admet-il sans souci. Il ajoute : je me suis même senti un peu coupable… »
Mais pas de quiproquo, Jamie Turner prédit encore une longue vie aux moteurs à combustion interne. « La réduction des rejets de CO2 fut une vraie bénédiction pour les ingénieurs, explique-t-il. Cet objectif a rendu la recherche et l’ingénierie moteur très importantes et cela nous a amenés à relever des challenges fantastiques. » En fait, en discutant et en évoquant avec notre invité des choses aussi amusantes que l’intérêt des compresseurs ou l’étonnant 12 cylindres à plat diesel deux temps Napier Nomad (son moteur préféré), je me rends compte que le plus fascinant chez lui vient de sa vision du futur des moteurs à combustion interne et de la façon dont nous allons pouvoir en tirer toujours plus de puissance.
« Je pense que ce qui va très vite apparaître sont les carburants à haut indice d’octane. Si l’on se réfère aux 30 % de réduction des émissions de CO2 que l’industrie automobile a réalisés depuis l’an 2000, on constate que l’industrie pétrolière n’y a pas joué un grand rôle. Mais elle va le faire. Ils ont admis que les carburants à haut indice d’octane allaient permettre aux ingénieurs motoristes d’utiliser des taux de compression beaucoup plus importants afin d’améliorer la combustion. De mon point de vue de motoriste, je pense que le principal élément qui permettra d’améliorer ce taux de compression sera le développement de l’injection d’eau afin de réduire la température de combustion. Tout est question en fait de contrôle précis du cliquetis et de l’autoallumage. BMW utilise l’injection d’eau sur sa BMW M4 GTS mais de façon assez simpliste comparée à d’autres systèmes optimisés récents qui introduisent l’eau avec l’essence à partir du système d’injection directe. »
« La seconde technologie que nous devrions rapidement voir arriver sur nos autos est, selon moi, les moteurs à taux de compression variable. Nissan vient de produire un tel moteur, même s’il ne s’agit pas d’un concept récent. Pas plus que l’injection d’eau d’ailleurs, ces deux technologies n’ont rien de véritablement nouveau. »
Si selon Jamie Turner l’injection d’eau et le taux de compression variable restent les deux technologies les plus importantes qui apparaîtront à court terme, il en existe d’autres comme la hausse des pressions d’essence (350 bars ou plus) ou la suralimentation électrique (turbo ou compresseur). « Beaucoup d’autos vont adopter des systèmes électriques 48 volts afin de pouvoir alimenter
toutes ces nouvelles technologies, affirme Turner. Pour réduire la consommation, les autos en mouvement seront très bientôt capables de couper leur moteur et de désengager l’embrayage en phase de non accélération. C’est le mode roues-libres. » Un des dadas actuels du professeur Turner consiste à dire que les moteurs modernes n’ont plus d’âme. Les courbes de couple plates et le manque d’effet turbo ont notablement réduit l’excitation que l’on éprouvait autrefois avec des blocs qui grimpaient haut dans les tours et dont on sentait très clairement l’arrivée de la puissance. On ne retrouve plus ce potentiel “dramatique”, cette façon de s’exprimer si marquante qu’avaient (ou ont) des moteurs aussi exotiques que le flat-6 4,0 litres atmosphérique Porsche ou le V12 6,3 litres Ferrari, ou même le V12 de la Lamborghini Aventador. Est-ce que ce supplément d’âme a définitivement disparu ?
« Les courbes de couple plates existent essentiellement pour des raisons d’émissions de CO2 car elles conviennent bien aux tests des cycles d’homologation, explique Jamie Turner. Elles encouragent également le conducteur à passer le rapport supérieur plus rapidement. Idem pour les boîtes automatiques qui peuvent également passer leurs rapports plus précocement, ce qui a un effet direct sur la consommation d’essence et donc les émissions. » Il ne fait aucun doute pour le professeur Turner qu’avec la poursuite de la carrière des groupes thermiques, la solution des hybrides rechargeables deviendra une tendance forte. Tendance qui va nous amener clairement vers une ère plus sexy faite de turbines et de générateurs de puissance. Même si ce concept de supercar n’a finalement pas existé, c’est ce que Jaguar a montré avec l’étonnant C-X75 de 2010 qui utilisait des micro-turbines pour recharger les batteries de son système hybride. « Sans aucun doute, il y a un avenir pour ces technologies, clame Turner. Elles sont très efficaces à vitesse stabilisée, mais l’intérêt principal est qu’elles ne requièrent pas de refroidissement et qu’elles sont très légères. Ce sont des avantages considérables qui les rendent très attractives et qui en font d’excellents prolongateurs d’autonomie pour des véhicules à moteurs électriques. De nos jours, on utilise des moteurs à combustion interne pour cela, qu’il faut également refroidir indépendamment de la motorisation électrique et, par-dessus tout, il faut le transporter tout le temps à bord de l’auto alors même que vous n’en avez besoin qu’épisodiquement. »
Jamie Turner n’étant lié aujourd’hui à aucune marque, tous les sujets sont abordés sans arrière-pensées. Lorsque j’évoque la renaissance possible du moteur deux-temps, il m’explique qu’il ne pense pas que cela se produira mais il aime malgré tout en parler. Car il continue à travailler dessus aujourd’hui. « Thermodynamiquement, ces moteurs sont simplement meilleurs. Et tout est question de thermodynamique en matière de moteur. On pourrait même dire qu’il est malheureux d’avoir passé 120 ans à construire des moteurs fonctionnant sur le mauvais cycle… »
« Les turbines à gaz ont un avenir: elles ne requièrent pas de refroidissement et sont légères »