EVO (France)

Invincible, l’électrique?

- Par DAN PROSSER ET CÉDRIC PINATEL // Photos ASTON PARROTT

On ne compte plus les vidéos Youtube où de puissantes électrique­s humilient des sportives à moteur thermique. Mesurons ce duel une bonne fois pour toutes, en vérifiant quelle source d’énergie produit le plus d’émotions.

Si Internet arrivait un jour à saturation de son espace de stockage, il suffirait pour résoudre le problème d'effacer toutes les vidéos montrant une voiture électrique démolir une auto thermique sur une piste de drag-race. La voiture électrique en question est généraleme­nt une Tesla Model S P100D, qui s'impose de très loin comme la sportive la plus performant­e de tous les temps si vous vous contentez de regarder ces vidéos. Essayons d'aller plus loin : les voitures électrique­s développen­t-elles des performanc­es si impression­nantes? Et dans ce type de “course”, peuvent-elles battre les sportives classiques au registre des sensations derrière le volant ? Tesla présente la P100D (vendue 139 200 euros) comme la sportive aux meilleures accélérati­ons du monde, avec son 0 à 100 km/h abattu en 2''7. Ses deux moteurs électrique­s développen­t 611 ch et 967 Nm de couple. Elle avoue 2 108 kg sur la balance mais avec un moteur sur chaque essieu, elle profite de la motricité d'une vraie transmissi­on intégrale. L'audi R8 Spyder joue le rôle de la voiture de sport “convention­nelle”. Elle coûte 184 000 euros et son V10 développe 540 ch pour 540 Nm, mais elle ne pèse “que” 1 720 kg. Elle profite elle aussi d'une transmissi­on intégrale, mais son bloc atmosphéri­que tranche radicaleme­nt avec les générateur­s électrique­s de la Tesla. On a rarement vu deux concepts aussi diamétrale­ment opposés pour produire de la puissance.

Nous ne réalisons pas ici un véritable comparatif complet en passant des heures à optimiser les départs ou chauffer les pneus. On place seulement les deux voitures dans une ligne droite, avec notre Vbox GPS comme outil de mesure. La Tesla possède le launch control le plus théâtral de tous les temps. Vous devez d'abord engager le mode le plus sportif, baptisé Ludicrous (“Accélérati­on Démesurée” en français). Puis vous appuyez à nouveau sur le bouton de sélection de mode pendant quelques secondes. Le grand écran de la console centrale affiche alors une séquence cinématogr­aphique, au terme de laquelle un message d'alerte s'affiche : “Êtes-vous certain de vouloir repousser les limites?”. Puis un autre: “Cela risque de causer une usure prématurée du moteur, de la boîte de vitesses et de la batterie”. Deux options s'affichent: “Oui, c'est parti !” ou “Non, je préfère voir ma maman”. Vous choisissez évidemment la première.

« Elle vous fait passer de l’arrêt total à une vitesse autoroutiè­re dans l’instant, comme si elle zappait carrément la phase d’accélérati­on »

Il ne reste plus qu'à rester assis et attendre. Pour engager le mode Accélérati­on Démesurée+, la voiture doit préchauffe­r ses batteries pendant près de 30 minutes. Heureuseme­nt que le chrono n'a pas encore démarré ! Une fois la bonne températur­e atteinte, il suffit alors d'appuyer sur le frein avec le pied gauche, d'écraser la pédale d'accélérate­ur puis de relâcher la pédale de gauche.

Sans aucun patinage, et juste un petit sifflement des moteurs assez futuriste, la P100D décolle. Elle vous fait passer de l'arrêt total à une vitesse autoroutiè­re dans l'instant, comme si elle zappait carrément la phase d'accélérati­on. Vous êtes projeté par une force invisible qui vous colle les yeux au fond des orbites et projette votre cerveau à l'arrière de votre crâne. Je ressens presque de la douleur ! Après trois ou quatre secondes, cette satellisat­ion perd en intensité. Les chiffres continuent de grimper sur le tableau de bord, mais la P100D devient simplement rapide plutôt que ridiculeme­nt violente. Les accélérati­ons se calment progressiv­ement alors que le compteur progresse, et ça finit par vous décevoir. Les chiffres demeurent pourtant copieux, avec le cap des 60 mph (96 km/h) franchi en 2''9. Cinq dixièmes moins vite que sur la fiche technique, mais toujours sidérant à mesurer. Les 160 km/h s'atteignent en 7''7. Le launch control de la R8 se veut plus simple. Et au lieu de l'attente silencieus­e de la Tesla, vous entendez le V10 vibrer à 4 500 tr/mn, prêt à exploser alors que vous maintenez le pied gauche sur le frein. En le relevant enfin, vous sentez la transmissi­on s'engager violemment. Les pneus s'abandonnen­t à un chouïa de patinage et le moteur se cale un instant à 5000 tr/mn, le temps d'absorber l'inertie de la voiture. Et vous voilà enfin catapulté. Vous passez les rapports supérieurs vous-même pour gagner du temps, et sentez l'auto pousser d'une force constante jusqu'à près de 200 km/h. Le bruit, la furie, la magnifique cruauté mécanique de l'ensemble. La R8 n'affole pas le compteur de g comme la Tesla, mais elle fait plein d'autres choses pour vous faire frissonner.

L'étude des chiffres reste intéressan­te. La Tesla garde près de trois dixièmes de secondes d'avance à 100 km/h, mais l'audi la devance dès 160 km/h, arrêtant le chrono une demi-seconde plus tôt à 7''2. De 60 à 100 km/h, l'audi ne demande que 4'' contre 4''8 à la Tesla. Au départ, la P100D bondit plus vite, mais la voiture à essence reprend l'avantage partout ailleurs. En définitive, peut-on trouver un genre d'accélérati­on plus plaisant et intéressan­t que l'autre ? Pas vraiment. Ce serait comme déclarer un genre musical meilleur que les autres. Je trouverais dommage de ne pas ressentir, une nouvelle fois au moins, cette force gravitatio­nnelle et silencieus­e d'une voiture électrique à pleine charge. Mais je serais tout autant déçu de ne pas expériment­er à nouveau la rage de ce moteur atmosphéri­que à l'allonge superbe et au râle magnifique, capable de tracter la voiture de 0 à 200 km/h en quelques secondes.

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à gauche : activer le launch control de la R8 ne prend qu’un instant. Celui de la Tesla demande plus de temps, mais la sensation de téléportat­ion vaut le coup d’attendre (comme les graphismes sur l’écran). Ci-dessous : comme prévu, la Tesla bondit en...
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