Cette M3 n’est clairement pas là pour plaisanter.
Le grondement du 6 cylindres en ligne évoque le mythique bloc atmo de la M3 E46
Il aura fallu du temps à la génération F80 pour devenir enfin satisfaisante, mais après deux jours au volant de cette M3 Pack Competition (19 ch de plus, suspensions retouchées et modes de conduites reparamétrés), elle retrouve clairement son meilleur niveau. Son pilotage va de pair avec son style, agressif, tendu et volontaire. La bande sonore aussi, avec ce grondement vous accompagnant en permanence qui rappelle parfois le mythique six en ligne atmosphérique de la M3 E46. Je ne vois aucun défaut dans ce tableau, mais la Giulia Quadrifoglio s’avance pour objecter.
Couverte de louanges, l’alfa ravive la foi dans la marque italienne. Sortie de nulle part pour battre les meilleures autos du segment, elle détient le record chronométrique des berlines ultra-sportives sur la Nordschleife. Mais posée à côté de la M3, elle paraîtrait presque trop gentille. Ses jolies jantes de 19 pouces ressemblent à des 18 pouces comparées aux grosses roues 20 pouces de la BMW aux ailes généreusement élargies. La Giulia joue plutôt les élégantes et préfère verser dans la relative discrétion.
Sa pièce maîtresse demeure évidemment son V6 biturbo de 2,9 litres de cylindrée, qui bat, sur le papier, très largement le 6 cylindres en ligne biturbo de 3,0 litres poussé à 450 ch de la M3 Pack Competition. L’italienne revendique en effet
510 ch, et entretient cette belle tradition des V6 suralimentés italiens, souvent connus pour leur caractère explosif. Vous vous souvenez du bloc de la Maserati 3200 GT ? Si le V6 de l’alfa brille par ses performances, il surprend pourtant par ses bonnes manières même dans son mode de conduite le plus sportif. étonnant. La Giulia peut-elle offrir un toucher de route raffiné et confortable, tout en se montrant excitante à pousser sur circuit ? Pour le savoir, nous irons sur les routes magnifiques mais parfois très abîmées du Pays de Galles, avant de chasser le chrono sur le circuit de Bedford.
La différence du ressenti de direction entre ces deux machines vous impressionne immédiatement. Celle de la M3 offre une consistance bien costaude, même en mode Confort. Elle cadre exactement avec les gros baquets sculptés très fermes, le bruit qu’elle fait au démarrage ou la dureté de son amortissement. Vous pouvez paramétrer individuellement la direction, l’amortissement et la réponse moteur (position Sport, Sport+ et Confort), mais l’auto conserve son caractère radical même dans le mode le plus tranquille. Elle paraît aussi plus grosse que sa taille réelle, mais vous êtes déjà accoutumé au bout de quelques kilomètres. Au passage, l’amortissement ferme reste supportable sur de longs trajets et s’améliore lorsque vous haussez la vitesse. Le haut niveau de grip donne l’impression d’une auto collée au bitume en virage, mais vous sentez que le moteur pourrait facilement décrocher le train arrière du bitume à la moindre accélération franche. écrasez la pédale de droite en seconde, et le son devient magnifique avec une tonalité métallique, profonde et menaçante, surtout à partir de 4 000 tr/mn lorsque l’échappement ouvre ses clapets. L’escalade des performances suit celle du son, ce qui donne l’illusion troublante d’un moteur atmosphérique avec une poussée suffisante à bas régime, un mi-régime intéressant et un crescendo frissonnant jusqu’au rupteur. Le clignotement du témoin des aides à la conduite, systématique dès que vous jouez de l’accélérateur sur le sec, laisse augurer d’un train arrière très sensible. Je préfère donc attendre prudemment la session sur circuit pour juger plus précisément son caractère.
Quel contraste avec l’alfa Romeo ! Sa direction offre un ressenti diamétralement opposé. Légère, rapide et tellement sensible que vous devez réduire dramatiquement vos impulsions. Mais comme avec la BMW, vous vous adaptez très vite. Et même si la voiture paraît souple en amortissement, le train avant mord lorsque vous braquez. Le cockpit regorge de fibres de carbone, mais l’ambiance générale flatte moins malgré les baquets optionnels Sparco à coque carbone (3 700 euros). Moins impressionnants que ceux de la BMW, ils offrent au passage un excellent maintien.
Surprise, le bloc de la Giulia ne se montre pas plus délicat à exploiter que celui de la BMW malgré ses 60 ch de plus. Tout l’inverse même, avec une plus grande force à bas
régime et une montée plus progressive vers la zone rouge, égrainant les 8 rapports de la boîte auto ZF avec une douceur impressionnante. Pour découvrir le plein potentiel de ce moteur, il faut cependant placer le sélecteur de mode sur sa position la plus sportive. Ce qui désactive en grande partie les béquilles électroniques…
En route vers le Pays de Galles sur des routes trempées et bosselées, je m’y refuse. Dans son mode le plus tranquille, la Giulia se comporte presque comme une limousine de luxe. Seules les bosses les plus méchantes se font ressentir, avec un joli bourdonnement de V6 en fond sonore, qui gagne en discrétion lorsque le système de désactivation partielle des cylindres s’active. Voilà un outil de locomotion très serein, qu’on imagine mal boucler un tour de Nordschleife en 7’32’’. Seul le freinage trahit la vocation extrême de la berline, avec ses disques carbone-céramique optionnels (comme ceux de la BMW) puissants mais difficiles à doser. Qu’importe, les 4 heures de route vers la vallée d’elan s’avalent sans fatigue. La Giulia attendra pour sortir ses griffes.
Retrouver ces deux petites berlines surpuissantes sous un temps froid et humide présente quelque chose d’excitant, et une parfaite opportunité pour tester leurs limites d’adhérence à basse vitesse. L’alfa complique les choses sans une gestion du contrôle de stabilité réglable indépendamment. Pour le désactiver, il faut obligatoirement placer la molette de sélection “DNA” sur Race (qui radicalise réponse moteur, direction et amortissement). Comme sur les Ferrari équipées d’une molette similaire, un bouton au-dessus permet cependant d’assouplir la suspension en Race. Les réglages ne sont pas aussi personnalisables que dans la BMW.
En Race, vous profitez d’une belle bande sonore à base de hurlements raffinés, à peine moins intenses et pointus que ceux de la M3. La Giulia devient plus ferme, mais elle encaisse toujours les bosses avec une belle abnégation. L’accélérateur plus réactif met à l’épreuve la motricité, et peut entraîner un patinage de la roue intérieure au sortir des intersections dès que vous accélérez un peu. Le différentiel arrière possède des embrayages pilotés électroniquement à l’image de l’e-diff Jaguar, et peut donc se verrouiller pour gérer ce genre de situation. Une accélération plus franche fait patiner les deux roues, et le couple généreux à basse vitesse permet de générer de la glisse en ouvrant un peu l’accélérateur. Vous pouvez faire la même chose à plus haute vitesse, mais alors que la route s’assèche par endroits et que le rythme augmente vraiment, je reviens prudemment en “D” pour réactiver le contrôle de stabilité. Dès lors, vous regrettez de ne pas pouvoir disposer de la meilleure sonorité et des meilleures performances avec les aides à la conduite.
Curieusement, aucune des deux machines ne délivre un ressenti de direction parfaitement naturel. Autre surprise, la M3 ne se montre pas si sauvage dans ces conditions délicates et piégeuses. Alors qu’elle semblait prête à glisser tout le temps sur le sec, elle se tient très correctement avec la direction et l’amortissement en Confort, et le groupe motopropulseur en Sport.
Le train arrière de la BMW paraît plus généreux en grip mécanique, même s’il décolle parfois de la chaussée. Il rendra évidemment les armes si vous le provoquez trop, mais il s’équilibre alors relativement facilement à l’accélérateur même si les transitions peuvent manquer de fluidité. Allez, direction le circuit.
Avant de chasser le chrono sur le circuit ouest de Bedford, nous tentons de pousser les autos au-delà de leurs limites tout en préservant au minimum les pneus pour l’exercice à venir. Contrairement à leur comportement expérimenté sur route mouillée, l’alfa combat farouchement vos tentatives pour la déséquilibrer (pour les glisses parfaites, on repassera) alors que la BMW se met tout de suite en dérive, avant que la puissance maximale ne déboule et complique les choses. Dans les deux cas, vous devrez vous employer sérieusement pour parvenir à un magnifique passage par les portières. Bien sûr, pour réaliser un tour rapide ce point n’a aucune importance. Commençons par la BMW. Lorsque vous ne cherchez pas à la mettre en glisse, elle reste efficace et plus facile à lire. En Sport+ avec L’ESP OFF, vous sentez la limite de grip (qui se franchit entre chaque ligne droite avec un moteur aussi vigoureux). L’inscription est bonne, et le tour excite tout du long grâce à un bel équilibre qui permet de toujours garder une légère glisse en courbe, tout en confiance. Les freins carbone finissent par couiner mais stoppent toujours l’auto avec force. Le meilleur tour indique 1’24’’7.
Et l’alfa ? Eh bien les choses commencent mal avec une poupe trop chatouilleuse au premier virage (une épingle), mais elle trouve énormément de grip au même virage du premier vrai tour rapide. Dès qu’elle revient en ligne droite, elle pousse avec une force impressionnante. La tenue de caisse semble un peu plus souple que chez BMW, mais l’alfa répond bien grâce à sa direction tranchante et ses freins. Le survirage apparaît tôt dans les virages mais, dès le point de corde, vous trouvez une once de sous-virage bienveillante pour vous aider. Surtout dans les courbes rapides. Sur le troisième tour rapide, la puissance se réduit d’un coup, la faute au différentiel trop éprouvé qui a réactivé le contrôle de stabilité. Game over.
Peu importe, la Giulia aura eu le temps de faire le job : 1’23"6. Les deux autos se valent en termes de vitesse maximale avant les
zones de freinage, mais l’alfa garde plus de vitesse en courbe, reprend le grip plus tôt et autorise à jouer de l’accélérateur dans les zones rapides. Sa boîte paraît aussi rapide que celle de la DCT BMW. Peut-être que les performances de l’alfa s’expliquent en partie par une monte pneumatique plus radicale. Le pneu avant droit qui subit les pires contraintes souffre déjà beaucoup, et les trois autres montrent des signes de fatigue. Un coup d’oeil aux flancs des pneus montre d’ailleurs que si les Michelin Pilot Super Sport de la M3 affichent un indice d’usure de 300 (un pneu “éco” revendique 400), les Pirelli P Zero Corsa n’indiquent que 60. En principe, les Michelin dureraient donc cinq fois plus… Elles visent la même clientèle, mais ces deux autos répondent à une philosophie diamétralement opposée. Dans une échelle qui va du confort jusqu’au sport, elles ne s’accordent que très peu entre elles. L’alfa dans son réglage le plus sportif équivaut à peu près à la BMW dans son mode le plus confortable. Choisissez donc votre berline ultra-sportive en fonction de vos priorités. La M3 devient enfin l’auto qu’elle aurait dû être depuis le départ. Par rapport à la Giulia, elle se montre plus ferme à basse vitesse et un peu moins raffinée. Mais en prenant du rythme, elle affiche un superbe équilibre et un amortissement très bien calibré. Elle paraîtra peut-être trop radicale pour certains, mais il s’agit bien d’une sportive extraordinaire avec un joli son et un caractère moteur excitant, qui favorise les envolées au rupteur. Son look correspond tout à fait à cet esprit.
L’alfa apporte plus de nuances et de subtilité, avec son amortissement résolument souple et un excellent confort pour les longs trajets. Sa direction très sensible donne cependant une belle impression d’agilité, son moteur marche fort et profite d’une excellente gestion de boîte. Et ce même si vous regrettez un accès limité à son plein potentiel de performances, à cause de la spécificité du mode Race que certains n’utiliseront jamais parce qu’il désactive le contrôle de stabilité. Par ailleurs, je me demande combien de temps dureraient ces Pirelli Corsa. Malgré tout ça, difficile de ne pas tomber sous le charme de la Giulia.