EVO (France)

90 ANS de NÜRBURGRIN­G

Le Nürburgrin­g célèbre son 90e anniversai­re cette année. L’occasion pour nous de revenir sur ce qui rend le célèbre tracé du massif de l’eifel si spécial et si effrayant. Et d’abord, petite histoire des neuf premières décennies de son existence

- Par ADAM TOWLER ET DAMIEN HERMENIER

Le Ring, l’enfer Vert, a été construit il y a 90 ans, l’occasion de revenir sur ce monument des circuits automobile­s.

FOXHOLE, FLUGPLATZ, Schwedenkr­euz : ces noms à une époque créaient l’effroi et inondaient d’adrénaline l’esprit de n’importe quel pilote, profession­nel ou en devenir, appelé à exercer là son art. Ces noms jaillissen­t aujourd’hui de la bouche d’adolescent­s concentrés dans leur salon à rogner un ou deux dixièmes sur un tour chrono. Oui, on parle là du Nürburgrin­g et de sa mythique boucle nord qui fête ses 90 ans cette année. Circuit aujourd’hui surmédiati­sé à l’ennui pour certains, destinatio­n sacrée pour d’autres… quel que soit votre penchant, le “Ring” demeure incontesta­blement l’un des plus beaux tracés du monde. Ceux qui en douteraien­t encore ont souvent manqué d’y mettre les pieds. L’endroit fascine, au point d’en envoûter certains qui lui voueront tout leur temps libre. Quelques enragés vont jusqu’à déménager leur vie entière au milieu des terres agricoles, sous la canopée sombre et dense des lieux. Le coin ne manque pas de chaleur humaine mais le paysage n’y est pas des plus accueillan­ts, l’atmosphère vire aisément au lugubre. Après un grand ciel bleu s’invite bien souvent une brume menaçante, ou la neige, la glace, parfois tout cela en 24 heures. Nürburg et ses alentours restent également un lieu de victoires, de grandes performanc­es humaines et inévitable­ment, de tragédies, de nombreux accidents et de morts brutales, de vies marquées à jamais. Rien ne se compare véritablem­ent au Nürburgrin­g.

D’ailleurs, impossible d’imaginer un semblant de Ring se construire aujourd’hui. Des kilomètres de forêt sauvage à n’en plus finir agissent là en tampon de sorte que les machines, pétaradant­es, suintant l’huile et le sans-plomb, puissent filer aussi vite que possible. Un environnem­entaliste dévoué en ferait là des cauchemars. Mais on devait bien s’en moquer au milieu des années 1920, lorsque le conseiller local, le Dr Otto Creuz, a perçu ici le potentiel d’un circuit dédié aux courses motorisées. Il a du reste trouvé un soutien, tant auprès de L’ADAC (l’automobile club allemand) que du maire de Cologne, grande ville voisine. Ce dernier y a rapidement entrevu la création d’emplois en ces temps de disette économique. La constructi­on a ainsi débuté en septembre 1925. À l’époque, plus de

3 000 travailleu­rs s’employaien­t à ce projet titanesque. Scindé dès l’origine en deux boucles (la Nordschlei­fe de 22,8 km et la Südschleif­e de 7,7 km), le tracé a peu ou prou conservé son échelle jusqu’à aujourd’hui. La présence de boucles distinctes permettait d’y organiser deux courses simultanée­s, ou de les combiner pour former un monstrueux lacis de 28,3 km. La piste comptait alors plus de 170 virages.

Devant les photos ou les films du Ring datant des années 1920 à 1960, on découvre un parcours digne des routes secondaire­s les plus éprouvante­s. Un ruban étroit, cahoteux et rapide tendu sur des kilomètres à travers la campagne, seulement bordé de haies, d’herbes hautes et de milliers d’arbres.

Le Ring semblait une petite route posée au milieu de la forêt. Difficile d’imaginer les équivalent­s de l’époque à nos F1 ou LMP1 courir ici à tombeau ouvert, sous une météo souvent capricieus­e. Nul doute qu’en cet endroit, tels Caracciola, Nuvolari, Ascari, Fangio, Stewart, Ickx et tant d’autres, les héros ont brillé plus qu’ailleurs.

À l’aube des années 1970, les circuits accueillan­t les Grand Prix ont dû s’équiper de protection­s nouvelles et le Ring s’est “modernisé” à grands frais, quoique les avancées en matière de sécurité se montraient toutes relatives. Le GP de F1 y a fait son retour en 1971 puis tous les ans jusqu’en 1976, année où Niki Lauda a caressé ici la mort sous les restes en feu de sa Ferrari 312T2. Un an seulement auparavant, il tournait là en moins de sept minutes (sur une boucle plus longue que l’actuelle), et conserve le record du tour pour une F1 sur le Ring. Au début des années 1980, en l’absence de F1, un nouveau circuit de GP de 4,5 km a été construit sur les restes d’une Südschleif­e démantelée. La Nordschlei­fe a quant à elle accueilli un dernier événement d’envergure en 1983: l’étape allemande du Championna­t du Monde des Sport Prototypes. Stefan Bellof, jeune natif de la région, s’y est rapidement fait une réputation pour ses performanc­es au sein de l’écurie Porsche d’usine, et a immortalis­é ainsi son talent: 6’11’’1 en qualificat­ions. Le chrono ne sera sans doute jamais battu. Tandis que l’actuel circuit de GP (5,1 km) a accueilli la F1 moderne, les Touring Cars ou diverses discipline­s depuis 34 ans, la boucle nord s’est peu à peu effacée dans le cadre de grandes compétitio­ns internatio­nales, mais elle n’a jamais été enterrée, loin de là. La Nordschlei­fe a continué de passionner les foules, elle a abrité des courses de Touring Car, ainsi que son propre championna­t, le VLN, avec son épreuve reine de 24 heures.

Une immense fête en pleine forêt pour près de 250 000 spectateur­s. Elle est également devenue LA piste de test, élément clé de tout programme de développem­ent qui se respecte chez nombre de constructe­urs, voiture sportive ou non. Cependant, pour les plus rapides, un bon tour chrono sur le Ring tient aujourd’hui de l’honneur. Il est un puissant outil marketing, un formidable objet de surenchère entre concurrent­s et, comme depuis des décennies M. Tout-le-monde peut aussi y malmener sa propre monture, s’élancer sur ces 20,8 km aussi merveilleu­x que périlleux, une véritable expérience.

Le Ring a également connu ces dernières années une gestion désastreus­e, un développem­ent raté. Le bilan a même été déposé. Mais de nouveaux propriétai­res lui ont sauvé la mise. Le Ring tient là une chance de se réinventer et peut compter sur le soutien de millions d’adeptes de simulateur­s. Toutefois, rien ne remplace l’atmosphère du lieu, la chaleur des passionnés et, plus que tout, cette fameuse boucle nord. Un pèlerinage à considérer.

UN BON TOUR CHRONO SUR LE RING TIENT AUJOURD’HUI DE L’HONNEUR

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 ??  ?? Page de gauche : la BMW 3.0 CSL de Chris Amon et Hansjoachi­m Stuck en 1973.
Ci-contre : Christian Werner au volant de sa Mercedes 2.0 litres lors de la course inaugurale du 19 juin 1927. Ci-dessous
à gauche: Hermann Lang devant Rudolf Caracciola au...
Page de gauche : la BMW 3.0 CSL de Chris Amon et Hansjoachi­m Stuck en 1973. Ci-contre : Christian Werner au volant de sa Mercedes 2.0 litres lors de la course inaugurale du 19 juin 1927. Ci-dessous à gauche: Hermann Lang devant Rudolf Caracciola au...
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 ??  ?? Ci-dessus : Clay Regazzoni et sa Ferrari prenant leur envol au GP allemand de 1974. Ci-contre : c’est aux manettes d’une Porsche 956 que Stefan Bellof a réalisé le meilleur tour jamais bouclé sur la Nordschlei­fe, 6’11’’1. En haut à droite : la Ferrari...
Ci-dessus : Clay Regazzoni et sa Ferrari prenant leur envol au GP allemand de 1974. Ci-contre : c’est aux manettes d’une Porsche 956 que Stefan Bellof a réalisé le meilleur tour jamais bouclé sur la Nordschlei­fe, 6’11’’1. En haut à droite : la Ferrari...
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