EVO (France)

ENFER VERT ET MAGIE NOIRE

Envoûtante, excitante, intimidant­e… La Nordschlei­fe vous met au défi comme aucun autre circuit. Seulement, au-delà des moments forts, tout n’est pas rose à braver l’enfer vert.

- Texte RICHARD MEADEN ET DAMIEN HERMENIER

LA SIRÈNE M’Y REPLONGE. Ce gémissemen­t discordant, aigu, qui avertit l’entrée d’une voiture dans la pit-lane. Il continue de provoquer mes glandes surrénales et mon inconscien­t plusieurs années encore après ma décision de rompre avec la Nordschlei­fe. Souvenirs très agréables, sentiments traumatiqu­es, ce charivari d’émotions reste profondéme­nt gravé. Beaucoup d’entre vous ont déjà parcouru la boucle nord du Nürburgrin­g. Mais que vous l’ayez arpenté virtuellem­ent ou en personne, rien n’égale l’expérience d’une authentiqu­e course disputée sur le Ring.

J’ai couru ici pour la première fois en 2006. Je partageais une Maserati avec le légendaire Jacques Laffite et un journalist­e américain, Patrick Hong, lors des 24 heures. Ma première visite remonte cependant à la fin des années 1980, lors de vacances avec quelques amis. Je me souviens encore notre fascinatio­n naïve à notre arrivée, pointant du doigt le château au sommet de la colline. J’avais le sentiment de m’être téléporté au coeur du grand livre de l’histoire des sports mécaniques.

À cette époque précédant Internet, Youtube et les Gopro, les livres ou quelques VHS éraillées nous en apprenaien­t un peu sur le Ring. Les Flèches d’argent. Le Marathon de la Route. Hans Stuck et sa CSL “Batmobile” immortalis­és dans les airs. Stefan Bellof et son chrono. Autour de cela flottait comme un mystère, sans parler de la réputation sinistre et malveillan­te du circuit. Dix ans à peine s’étaient écoulés depuis le terrible accident de Niki Lauda en 1976, et nous n’étions que quelques années après la fin du Groupe C. Le Ring demeurait dans mon esprit comme une créature mythique. De celles que j’ai finalement pu approcher.

Et ce que j’ai vu depuis la banquette arrière de notre Série 5 E34 m’a stupéfié. C’est ici que tous ces héros, dont j’avais lu les aventures, avaient couru et triomphé. C’est ici que certains étaient morts. À l’époque, le circuit n’était déjà plus cette vieille route d’antan, mais le tracé restait unique en son genre. Étroit, bosselé, bordé d’arbres, presque interminab­le et plein d’énigmes. Pas une minute je n’avais imaginé courir ici un jour. Je ne faisais que rêver, et cela me suffisait.

Après avoir débuté dans la presse auto, j’y suis retourné plusieurs fois, j’ai parcouru la boucle nord. Mais c’est une chose de s’élancer en voiture, même performant­e et bien menée, c’en est une autre de se retrouver harnaché à une machine de compétitio­n, chaussée de slicks, et de piloter aussi fort que possible aux côtés de 200 guerriers.

Cette course de 2006 était une parfaite première fois. Ignorant quant à l’ampleur du défi, j’étais soutenu par toute une écurie d’usine. Puis la météo était idéale, l’auto n’a jamais flanché, et la seule pression qui me dominait était celle que je m’imposais. La folie d’une telle course restait bien présente, mais c’était une folie douce, enivrante. D’abord totalement intimidé, j’ai très vite été happé tout entier. J’ai adoré.

Ficelé dans votre voiture de course, vous êtes alors conscient de la fête qui se déroule de l’autre côté des glissières (la foule, les tribunes de bric et de broc en pleine forêt, les feux de camp, l’ivresse générale), mais uniquement lors de brefs moments de distractio­n. Plus que tout, le pilote se retrouve isolé dans un monde de concentrat­ion absolue et d’hyper-stimulatio­n. Chaque tour devient une aventure en soi qui se déplie à l’horizon, parfois presque au ralenti, et qui passe pourtant en un éclair. Le temps se découd. On croirait un run de deux heures bouclé en vingt minutes.

Quand ce rythme, cette quasi-transe, vous atteint, rien n’égale une course sur le Nordschlei­fe. Plus que sur n’importe quel autre tracé, la réussite repose ici sur une confiance totale et constante de soi, de ses gestes, et lorsqu’on ne fait plus qu’un avec l’auto et la piste, l’expérience devient magique, addictive.

On ne veut plus s’arrêter. Le revers, c’est qu’au moment où cette confiance vous échappe, l’endroit devient le plus terrifiant qui soit. Le risque est présent sur chaque circuit, mais il est ici palpable plus qu’ailleurs. J’avoue que cela a toujours fait partie de son attrait, mais lorsque ce danger vous rattrape et vous empoigne, vous ou l’un de vos amis, le coup est foudroyant. J’ai vécu ici de formidable­s moments. Et les pires. Le jour où mon coéquipier Leo Löwenstein s’est tué au volant de notre Aston Martin est resté le plus sombre de tous. Je revois ses vêtements posés sur son sac, proprement pliés dans notre vestiaire, prêts pour son retour. L’image continue de me hanter. J’ai pourtant couru ici encore quatre années. Puis un accident monstre à 200 km/h dans Schwedenkr­euz, en amont des 24 heures 2014, a terminé de me convaincre. J’y ai néanmoins participé cette année-là, ce qui me paraît encore ridicule. Mais cela illustre sans doute à quel point l’addiction pour la course et ce circuit vous saisit. J’aime toujours autant la compétitio­n, mais cela fait trois ans que je me tiens à l’écart de la Nordschlei­fe, sans aucun regret.

Je suis fier d’avoir couru au Nürburgrin­g, d’y avoir connu le succès avec une écurie aussi spéciale qu’aston Martin. J’y retournera­i volontiers avec des amis pour un trackday, boire quelques bières et dévorer un steak au Pistenklau­se. Mais une fois que le Ring vous a flanqué la trouille, je crains qu’il n’y ait pas de demi-remède.

LORSQUE LA CONFIANCE VOUS ÉCHAPPE, L’ENDROIT DEVIENT LE PLUS TERRIFIANT QUI SOIT

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