ans CATERHAM
Impossible d’évoquer le frisson du pilotage sans parler de la Caterham Seven qui fête ses 60 ans. Pour prendre conscience des progrès accomplis depuis 1957, nous avons pris le modèle le plus performant et le plus exubérant du moment, la terrible (et malhe
POUR BEAUCOUP DE GENS, la soixantaine signifie qu’il est temps de penser à la retraite et de lever le pied. Cependant, après six décennies d’existence, la Seven n’a aucune envie de ralentir le rythme. 60 ans après ses débuts sous le badge Lotus, la petite et légère Seven dessinée par Colin Chapman reste un incontournable pour les pilotes du quotidien en quête de fun. Et à ce jour, rien n’indique que la fin est proche puisque, malgré un style toujours ancré dans les années 50, sa version la plus puissante équipée des dernières innovations techniques n’a jamais été aussi rapide. À une époque où les véhicules autonomes tendent à devenir la future norme, les Caterham persistent à proposer une expérience de conduite où le pilote conserve le contrôle total de sa voiture et où il reste entièrement responsable de ses actes. C’est la conduite à l’état le plus pur qui soit. Pour célébrer cet anniversaire ô combien important en 2017, nous avons choisi de vous faire découvrir une auto extrêmement rare sur nos routes hexagonales : la 620R. Cette version qui chapeaute la gamme outre-manche n’est en effet pas distribuée en France mais avec elle, tout est optimisé afin de démontrer jusqu’où le concept minimaliste de la 7 peut être poussé. Notre première halte intervient logiquement au QG de Caterham à Crawley, dans le West Sussex, où nous récupérons notre monture. Caterham a déménagé dans ce grand bâtiment gris en 2014 lorsque l’augmentation des ventes a rendu leurs locaux historiques trop exigus. Si de l’extérieur, cela ressemble à un bâtiment industriel classique, à l’intérieur vous découvrez le paradis de la Caterham. Dans la réception trônent la R500 à moteur Ford Duratec qui servit pour la presse, le concept Aeroseven de 2013, ainsi qu’une rare SP/300.R de circuit à pneus slicks et ailerons. On trouve encore d’autres jalons de l’histoire de la marque dans le vaste show-room, dont notamment une monoplace de F1 issue de la courte expérience de la firme dans la discipline reine, mais aussi une des 49 Caterham 21 produites entre 1994 et 1999. Il s’agissait d’un coupé fermé construit sur base de Seven censé rivaliser avec la Lotus Elise. Nous pourrions rester des heures à rêver autour de ces machines mais nous sommes subitement ramenés sur terre par le vacarme puissant de la 620R sortant de l’atelier.
L’attrait du jaune pétant de notre modèle d’essai est irrésistible, nous ne tardons donc pas à prendre la route. Notre prochaine destination se situe à Cheshunt dans le Hertfordshire, soit de l’autre côté de Londres. Ce n’est pas là-bas que débute l’histoire de la Seven mais c’est à cet endroit que l’auto a connu ses premiers succès. D’abord nous empruntons brièvement la M23 puis entamons un tour de la M25, la journée s’annonce bien puisque le soleil a décidé de nous accompagner.
Cela fait déjà 4 ans que la 620R est apparue. En son coeur, on trouve un 4 cylindres Ford Duratec de 2,0 litres de cylindrée agrémenté d’un compresseur, ce qui lui permet d’envoyer sur le bitume 314 ch et 297 Nm de couple. Ces valeurs sont atteintes tout en haut du compte-tours (respectivement à 7 700 et 7 350 tr/mn), ce qui ajoute à la sauvagerie d’un engin aussi franc que rapide. Tout cela est encore magnifié par la boîte séquentielle 6 rapports qui envoie la sauce vers les seules roues arrière via un
embrayage renforcé issu de la course. Pour comparer, sachez que la version la plus puissante homologuée en France (et en Europe) baptisée 485 propose le même moteur sans compresseur développant 240 ch et 206 Nm de couple pour un 0 à 100 km/h abattu en 3’’4. L’orientation track day de l’engin se confirme avec un duo ressorts-amortisseurs affermi, une voie avant élargie ainsi qu’un pont De Dion plus sophistiqué. Malgré cela, les roues conservent leur taille en 13 pouces tandis que les pneus sont des Avon ZZR, soit des slicks retaillés pour être plus clair. Reste à espérer que la pluie ne s’invitera pas sur les deux prochains jours !
Alors que nous quittons Crawley, le bruit et les trépidations de l’auto surprennent. Même sur un rythme coulé, la transmission vibre tandis que la suspension arrière et le différentiel cognent constamment. Si vous sortez d’une berline confortable avant de prendre le volant de la 620R, vous penserez que quelque chose est cassé. Toutefois, vous comprenez rapidement qu’il s’agit là du prix à payer pour offrir à la 620R la capacité de se connecter intimement avec son pilote lorsque la route devient intéressante ou que vous arrivez sur le circuit. Ne cherchez pas de silentblocs ici et dites-vous bien que dans le cahier des charges des ingénieurs de développement, le paragraphe Bruits et Vibrations a purement et simplement été supprimé. Malgré tout, la 620R parvient à démontrer une homogénéité inattendue. Les baquets carbone très bas maintiennent parfaitement tout en offrant une position de conduite étonnamment confortable. Les déflecteurs d’air font le job et permettent de ne pas avoir à chausser le casque et de se contenter de lunettes de soleil en mode balade. Certes, quelques insectes viendront parfois s’écraser sur votre visage mais c’est bien peu de chose quand on profite d’une vision panoramique aussi large. Le plancher et le tunnel de transmission chauffent assez vite, il faut dire que le 2,0 litres optimisé a besoin de rester frais pour continuer à fonctionner et que le système de refroidissement ne chôme pas. D’ailleurs, la brume qui s’élève du capot avant fait ressembler la vue avant à une photo romantique des années 70 ou à une séquence flashback des Feux de l’amour. C’est selon.
Cheshunt se dessine. C’est ici, dans cette vilaine zone industrielle sur Delamere Road, que nous trouvons l’ancienne usine Lotus. La firme y déménagea en 1959 lorsque le site originel de Hornsey dans le nord de Londres devint trop petit pour supporter le succès de la Seven et les ambitions démesurées de Lotus en sport automobile. Dessinée en 1957 comme une sportive simple et accessible, la Lotus Seven reposait sur un châssis tubulaire recouvert d’une carrosserie en aluminium. Elle disposait d’un pont rigide, de freins à tambour, et abritait un 4 cylindres d’un litre de cylindrée emprunté à la Ford 100E. La Seven était alors proposée montée ou en kit, ce qui permettait d’économiser les taxes et donc de réduire le prix par deux. Nous trouvons l’usine de Cheshunt intacte et encore en activité. Il s’agit maintenant d’une salle de gym mais sa façade a conservé la même large porte du deuxième étage d’où les modèles terminés étaient alors chargés par
une grue pour les déposer au sol. La porte suivante, plus grande, existe encore elle aussi, tout comme la rampe d’accès en béton utilisée à l’époque pour extraire les Lotus Elite et Cortina de la chaîne de production. Pendant que nous déambulons autour du bâtiment, je ferme les yeux et imagine sans difficulté le son du twin-cam résonnant sur les murs de briques rouges.
Un an après avoir emménagé à Cheshunt, Lotus lance la Série 2. Cette dernière qui ressemble beaucoup à la Seven actuelle reposait sur un châssis simplifié pour faciliter sa fabrication, les voies étaient élargies tandis que la carrosserie recevait des panneaux en fibres de verre. Sous le capot, vous aviez le choix entre un nouveau bloc Ford 1,0 litre prélevé sur la 105E ou bien les moteurs de l’austin Série A. Vinrent ensuite un 1,3 et un 1,5 litre Ford Kent qui, une fois passés dans les mains de Cosworth, développaient respectivement 86 ou 96 ch. Le “luxe” s’invitait également avec l’apparition d’un chauffage et d’un pare-brise ou encore, en option, de freins à disque à l’avant.
Avec une Seven gagnant en popularité, la très désirable Elan arrivant au catalogue et la poursuite du succès en Formule Un, un nouveau chapitre de l’histoire de la marque allait s’ouvrir. En 1966, Colin Chapman déménage alors à Hethel dans le Norfolk. C’est là que nous nous rendons maintenant. Nous évitons finalement l’a11 au profit de petites routes de campagne traversant Thetford et Wymondham. Le tracé à peine plus large que deux voitures marie les virages rapides avec quelques courbes à l’aveugle particulièrement spectaculaires. C’est en d’autres termes l’endroit rêvé pour une Caterham. Mieux encore, le coin est désert et nous ne tardons pas à atteindre notre destination. Nous descendons Potash Lane et débarquons au QG actuel de Lotus qui vient tout juste d’être racheté par le Chinois Geely. La collection de bâtiments aux immenses murs de verre n’a plus rien à voir avec la configuration déconcertante de l’usine de 1966. À cette époque, les ambitions de Colin Chapman touchaient à leur paroxysme. Avec deux titres Constructeurs de champion du monde F1 en poche, la déjà anachronique Seven commençait à jurer au catalogue. Malgré tout, Lotus levait le voile sur la Série 3 en 1968. Le plus gros changement concernait l’apparition en option d’un plus gros moteur (1,6 litre et plus de 120 ch). Du coup, les freins à disque devinrent de série tandis qu’apparaissaient également de série un compte-tours, des clignotants et pour la toute première fois, une jauge à essence !
Colin Chapman souhaitant moderniser encore la Seven, la très controversée Série 4 apparaît en 1970. Entièrement nouvelle, elle arborait une carrosserie anguleuse en fibres de verre, récupérait la suspension avant à double triangulation de la Lotus Europa à moteur central, et proposait un choix de moteurs varié avec les 1,3 et 1,6 litre Ford ainsi que le Twin-cam Lotus. Les puristes demeurèrent de marbre devant la nouvelle venue et Lotus, préférant être perçu comme un constructeur de sportives de prestige et non plus comme un fabricant de kit-cars, mit un terme à l’aventure en 1972.
Mais cela ne signa pourtant pas la fin de l’histoire. En distribuant depuis 1959 la petite Lotus Seven, un revendeur du Surrey baptisé Caterham Cars s’était forgé une belle réputation et était ainsi devenu la plaque tournante du business Seven. Son patron Graham Nearn persistait à croire que la petite Lotus possédait encore un gros potentiel commercial et il insista auprès de l’usine pour acquérir les droits et poursuivre l’aventure. Il parvint à ses fins en 1973 et décrocha l’autorisation de construire en son nom la Seven.
Même s’il construisit au départ une soixantaine de S4, il restait persuadé que l’intérêt principal des clients portait sur la précédente génération. La S3, plus populaire, était également plus facile à produire dans ses modestes locaux de la ville de Caterham, dans le Surrey. Nous y passerons pour le retour.
Sur les petites départementales empruntées, le 4 cylindres à compresseur est si puissant que, sans dépasser 4 000 tours, vous êtes forcément l’engin le plus rapide sur la route. Si vous avez le courage de pousser l’aiguille du compte-tours jusqu’en zone rouge, alors l’enfer se déchaîne. Même par temps sec et avec des pneus ultra haute performance, les roues arrière se mettent à patiner lorsque le moteur commence à hurler en dépassant les 6000 tr/mn. Et ce aussi bien en première qu’en seconde. Et lorsque les gommes commencent enfin à coller au bitume, le résultat est juste dévastateur. La 620R vous téléporte d’un virage à l’autre en une fraction de seconde emplie d’un rugissement colérique et d’un à-coup de boîte séquentielle. Les courbes qui suivent sont avalées de la même manière. Le nez plonge au plus profond de la corde alors même que vous avez imprimé moins d’un demi-quart de tour au volant. La gomme se cramponne au goudron, la caisse résiste à la contrainte et le moteur tire la salve qui vous propulse à l’autre bout de la ligne droite… que vous imaginiez à chaque fois deux fois plus longue. Les bosses et les ondulations aiguës peuvent mettre à mal l’équilibre du châssis mais, avec si peu de poids à transporter, la Seven se recale très rapidement sur sa ligne. Et avec tant de puissance à disposition et un accélérateur si précis, vous pouvez décider avec quel niveau d’attaque et donc quel angle de dérive vous allez sortir des virages les plus lents. C’est addictif et réellement incitatif mais vous appréciez aussi le soulagement qui suit lorsque vous retrouvez une route principale, et un rythme plus calme. La ville de Caterham n’offre pas grand-chose à voir. L’ancienne usine et le show-room n’existent plus, ils ont été remplacés par une résidence de retraite, ce que l’on peut regretter car c’est ici qu’a eu lieu le développement de la Seven. Le choix de moteurs comportait à l’origine des blocs Ford Kent 1,3, 1,6 et 1,7 litre. Le haut de gamme abritait quant à lui le Big Valve Twin Cam Lotus qui produisait au départ 128 ch. Vint ensuite en 1983 le Cosworth BDR, un Ford Cosworth BDA proposé en kit pour Caterham. D’autres nouveautés apparurent comme l’adoption d’un châssis long afin d’améliorer la position de conduite, ainsi qu’une version à conduite à gauche pour le reste de l’europe mais c’est l’installation d’un pont De Dion arrière plus sophistiqué en 1985 qui fit grandement progresser le comportement et le confort. Probablement la meilleure décision prise par Caterham pour améliorer sa Seven. Les ventes grimpèrent en flèche et l’allongement des délais de livraison dus à la faible capacité de production (250 voitures/an) poussèrent Graham Nearn à abandonner le site pour s’installer à Dartford, dans le Kent, en 1987.
Une des grandes modifications fut l’arrivée en 1990 du
Sur route, c’est la plus rapide, et ce sans dépasser 4 000 tr/mn
2 litres 16 soupapes Vauxhall (Opel) en remplacement du Cosworth BDR. Ce moteur faisait tout l’intérêt de la rare (53 exemplaires) et radicale Jonathan Palmer Evolution (JPE) de 1992 qui développait 250 ch et qui embarquait une suspension entièrement revue. La même année, l’utilisation du Rover K Series à injection permettait à Caterham d’étendre sa diffusion sur les plus gros marchés et notamment en France. Quelques années plus tard, Caterham lançait sa propre boîte 6 vitesses et, en 2000, la nouvelle Série 5 au châssis élargi. En 2005, c’est au tour de la CSR d’être dévoilée. Malgré son look classique de Seven, elle cachait un essieu arrière à double triangulation, une suspension avant inboard et un habitacle plus spacieux. Plus compliquée à piloter, elle manquait du charme de l’originale et fut abandonnée l’an dernier.
En 2006, Les blocs Ford Sigma et Duratec ont fait leur apparition sous le capot. Le succès s’est amplifié à tel point que l’usine tourne à plein. Actuellement, les commandes sont d’environ 600 unités par an alors que la capacité de production peut varier de 500 à 575 véhicules par an. Le chiffre d’affaires de l’an dernier s’est établi à près de 22 millions d’euros. Tout cela grâce à un seul et unique modèle qui a su défier le temps pour devenir encore plus pertinent aujourd’hui que lors de son lancement, il y a 60 ans.
Puisse-t-il l’être encore en 2077…