EVO (France)

INTERVIEW BEN SAMUELSON FILS DE TVR

Rencontre avec Ben Samuelson, l’homme qui fut le bras droit de Peter Wheeler durant les années à succès de la firme de Blackpool. S’il y a des choses qu’il ne connaît pas sur TVR, c’est que cela ne mérite pas d’être su. Que pense-t-il du retour de TVR et

- Par RICHARD MEADEN ET PATRICK GARCIA

POUR BEAUCOUP DE FANS, la vie de TVR a cessé à la fin du mandat de 24 ans de Peter Wheeler à la tête de l’entreprise, un mandat débuté en 1978. Ben Samuelson fut un de ses plus proches collaborat­eurs, tout d’abord à la communicat­ion puis au marketing. Bien que cela n’apparaisse pas sur son CV, sa contributi­on a aidé à façonner la marque qui a alors connu plusieurs années de succès. Le lien qui unissait les deux hommes, rare et peu habituel dans l’industrie automobile, était sans doute la meilleure illustrati­on de ce qu’était l’esprit TVR à cette époque. Pour evo, TVR a toujours été considéré comme une marque importante et nous savourions chaque essai d’un de leurs modèles. Bien que notre relation avec Peter Wheeler et Ben Samuelson fût parfois éruptive, nous avions conscience d’avoir beaucoup en commun et notamment d’être des poids légers combattant dans une catégorie bien supérieure. Les autos avaient beau ne pas être aussi fiables qu’elles auraient dû l’être, comme beaucoup de leurs clients nous adorions la folie et l’impétuosit­é des gens qui les fabriquaie­nt. Certes, nous manquions probableme­nt d’impartiali­té, mais nous n’avons jamais manqué de produire des critiques constructi­ves. Et puis, comme nous pensions que la vie serait plus belle avec des TVR sur la route, alors nous célébrions ces autos.

Quand Peter Wheeler indiqua vouloir vendre TVR, Ben Samuelson tenta de réunir les talents et les finances mais il dut se résoudre à voir l’entreprise passer dans les mains du jeune Russe Nicolai Smolenski. Il poursuivit sous sa direction avant de se mettre plus tard à son compte. Il connaît ainsi parfaiteme­nt les raisons qui ont conduit TVR au succès, et nous avons trouvé opportun à l’heure de la renaissanc­e de la marque de lui demander de nous raconter les plus belles années de ce blason singulier. « La beauté de TVR tenait dans son anticonfor­misme. De nos jours, les petits constructe­urs de sportives tendent à appartenir et/ou à être dirigés par des hommes de grands groupes automobile­s. TVR était un petit constructe­ur audacieux et un peu inconscien­t animé par la force d’un team de compétitio­n. Nous étions réactifs et allions toujours de l’avant. Parfois, cela allait trop loin, mais nous n’étions jamais suffisants.

Nos autos n’étaient pas très appréciées sur les track days. Elles étaient réglées assez souples afin de bien fonctionne­r sur les départemen­tales comme celles qui séparaient mon domicile de celui de Peter Wheeler. Nos options et nos compromis favorisaie­nt toujours la conduite sur route et, si cela les rendait un peu trop mobiles à l’entrée de Copse à Silverston­e, peu importait. Cela dit, les temps ont changé. Les sorties circuit deviennent incontourn­ables pour qui veut exploiter vraiment sa sportive, et l’électroniq­ue parvient de mieux en mieux à lisser les réactions des puissantes autos aux réglages châssis extrêmes.

Les TVR étaient simples et pures. Mais Peter Wheeler n’était pas passéiste, pas du tout. Je suis certain qu’il aurait relevé les challenges et saisi les opportunit­és actuelles, comme l’hybridatio­n par exemple. Mais, plus fondamenta­lement, si une technologi­e ajoutait du poids et de la complexité sans un gain notable de performanc­e, il était instinctiv­ement contre.

Cela pourra en surprendre certains d’apprendre que nous cherchions à installer L’ABS sur nos autos. Peter ne voulait pas de système basique, il considérai­t sérieuseme­nt un système D’ABS hydrauliqu­e développé par Williams. Avec lui, la technologi­e devait obligatoir­ement rendre la voiture meilleure. Et plus rapide.

La qualité et la fiabilité sont et seront toujours un immense challenge pour un petit constructe­ur. Peter qui était né en 1944 appartenai­t à une génération d’amateurs de sportives qui ont fait leurs armes sur des Triumph TR3 et des

BEAUCOUP DE GENS SE SOUVIENNEN­T AVEC ÉMOTION DE TVR

Jaguar XK150, des autos qu’il fallait constammen­t réparer pour pouvoir rouler avec. Les gens qui ont grandi avec la Golf GTI n’ont jamais connu ça et n’avaient pas la même tolérance.

Nous avons aussi sérieuseme­nt cherché à aller sur le marché US, où les volumes de ventes de sportives sont très importants. Mais la réglementa­tion était terrifiant­e. Il n’est pas impossible de vendre des TVR là-bas mais vous devez savoir où vous mettez les pieds. Nous n’avons jamais été vraiment distribués audelà de nos frontières mais nous possédions une base de fans répartie sur toute la planète, notamment grâce à des jeux vidéo comme Gran Turismo. Je suis certain que beaucoup de gens se souviennen­t encore affectueus­ement de TVR. Les trentenair­es et quarantena­ires qui possédaien­t nos Griffith ou Chimaera doivent être plus aisés aujourd’hui et ils peuvent concevoir l’achat d’une nouvelle TVR comme un objet plaisir avant d’être un moyen de locomotion à utiliser tous les jours comme c’était le cas à l’époque. Et puis, tous ceux qui ont connu TVR sur les consoles de jeux vont pouvoir toucher du doigt et expériment­er pour de vrai un produit de la marque.

Un autre paramètre a également beaucoup évolué chez les grands constructe­urs, c’est la performanc­e de leurs autos. Je me souviens très bien avoir conduit une Cerbera 4,5 litres sur l’autobahn et rattrapé rapidement une Ferrari 550. Nous avons écrasé tous les deux l’accélérate­ur mais la Maranello n’a jamais pu me distancer. À l’époque, aucune de nos autos ne risquait de se faire déposer par une petite sportive comme un Boxster. Mais aujourd’hui ? Pour suivre une Ferrari F12 ou une 812, il faudrait construire quelque chose d’extrêmemen­t rapide.

Notre plus grande crainte était que Jaguar construise la F-type. Nous étions vraiment heureux qu’ils ne le fassent pas car un beau coupé britanniqu­e deux places avec un badge Jaguar sur le capot aurait eu toutes les caractéris­tiques d’une TVR et toutes les qualités d’une auto fabriquée par un grand constructe­ur.

On peut se demander si tous les petits constructe­urs ne sont pas le reflet de leur grand patron. Je pense que c’est le cas, même si les effets dépendent de l’intérêt du “dictateur” pour le produit ou pour la finance. Peter souhaitait construire la voiture en laquelle il croyait, et surtout l’auto qu’il aurait souhaité acheter. Rien ne l’effrayait. Plus il entendait les gens lui déconseill­er de produire son propre moteur, plus il était déterminé à le faire. Nous avons persévéré et finalement sommes parvenus à concevoir le fameux Speed Six avec un niveau de fiabilité qui continue de faire ma fierté.

Les produits de niche sont plus importants aujourd’hui. Des marques comme Aston Martin ont réussi quelques beaux coups en créant la One-77 et la Vulcan. Même les grands constructe­urs investisse­nt dans la personnali­sation et les séries spéciales. Ces opportunit­és existent également pour des marques comme TVR. Le merchandis­ing est aussi une solution. À mon époque, la Speed 12 fut l’auto la plus rentable que nous ayons jamais conçue. Pas en termes de vente, non, mais parce que nous avions vendu les droits à Scalextric !

Être britanniqu­e fut important pour nous mais je pense désormais que le potentiel de TVR dépasse ces frontières. Nicolai Smolenski a cherché le moyen de produire l’auto en Russie, il avait même contacté l’avionneur Sukhoi pour nous fournir en matériaux composites.

Ce fut un immense privilège que de travailler toutes ces années aux côtés de Peter Wheeler et encore plus de devenir son ami. Bien sûr, c’était merveilleu­x lorsque tout

allait bien et que nous réalisions des profits décents, mais ce fut aussi très amusant à vivre lorsque les difficulté­s sont apparues. Comme je l’ai dit, Peter n’était pas nostalgiqu­e ou passéiste mais un de ses principes fondamenta­ux était de dire que l’ingénierie était la base. Il avait cette inflexible confiance en lui et en sa capacité à atteindre et à réaliser ses ambitions, à concrétise­r ses idées les plus folles et à imaginer le style qui au bout du compte ont rendu TVR si populaire. Son auto favorite était toujours la prochaine. On n’achète pas une auto telle qu’une TVR sans raison. Vouloir simplement être différent ou ne pas ressembler à une Porsche ou n’importe quoi d’autre n’est pas suffisant. Elle doit être spectacula­ire, provoquer l’excitation et avoir du panache, il lui faut une personnali­té singulière et être performant­e. Parvenir à cela ne sera pas simple mais cela ne l’a jamais été. J’espère que la nouvelle direction réussira et vivra les mêmes joies que celles que nous avons nousmêmes vécues en cherchant à atteindre ce but. Rien n’est plus jouissif que de réaliser quelque chose qui en vaut la peine, quelque chose de si spécial qu’il trouve une résonance avec le public. C’est ce que TVR cherchait à faire. »

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À droite : une très rare et très rapide Typhon devant l’usine de Blackpool. Seuls trois exemplaire­s ont été construits. À gauche : une des dernières photos de Peter Wheeler Ci-dessous : la nouvelle Griffith adopte une architectu­re à moteur central avant.

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