INTERVIEW BEN SAMUELSON FILS DE TVR
Rencontre avec Ben Samuelson, l’homme qui fut le bras droit de Peter Wheeler durant les années à succès de la firme de Blackpool. S’il y a des choses qu’il ne connaît pas sur TVR, c’est que cela ne mérite pas d’être su. Que pense-t-il du retour de TVR et
POUR BEAUCOUP DE FANS, la vie de TVR a cessé à la fin du mandat de 24 ans de Peter Wheeler à la tête de l’entreprise, un mandat débuté en 1978. Ben Samuelson fut un de ses plus proches collaborateurs, tout d’abord à la communication puis au marketing. Bien que cela n’apparaisse pas sur son CV, sa contribution a aidé à façonner la marque qui a alors connu plusieurs années de succès. Le lien qui unissait les deux hommes, rare et peu habituel dans l’industrie automobile, était sans doute la meilleure illustration de ce qu’était l’esprit TVR à cette époque. Pour evo, TVR a toujours été considéré comme une marque importante et nous savourions chaque essai d’un de leurs modèles. Bien que notre relation avec Peter Wheeler et Ben Samuelson fût parfois éruptive, nous avions conscience d’avoir beaucoup en commun et notamment d’être des poids légers combattant dans une catégorie bien supérieure. Les autos avaient beau ne pas être aussi fiables qu’elles auraient dû l’être, comme beaucoup de leurs clients nous adorions la folie et l’impétuosité des gens qui les fabriquaient. Certes, nous manquions probablement d’impartialité, mais nous n’avons jamais manqué de produire des critiques constructives. Et puis, comme nous pensions que la vie serait plus belle avec des TVR sur la route, alors nous célébrions ces autos.
Quand Peter Wheeler indiqua vouloir vendre TVR, Ben Samuelson tenta de réunir les talents et les finances mais il dut se résoudre à voir l’entreprise passer dans les mains du jeune Russe Nicolai Smolenski. Il poursuivit sous sa direction avant de se mettre plus tard à son compte. Il connaît ainsi parfaitement les raisons qui ont conduit TVR au succès, et nous avons trouvé opportun à l’heure de la renaissance de la marque de lui demander de nous raconter les plus belles années de ce blason singulier. « La beauté de TVR tenait dans son anticonformisme. De nos jours, les petits constructeurs de sportives tendent à appartenir et/ou à être dirigés par des hommes de grands groupes automobiles. TVR était un petit constructeur audacieux et un peu inconscient animé par la force d’un team de compétition. Nous étions réactifs et allions toujours de l’avant. Parfois, cela allait trop loin, mais nous n’étions jamais suffisants.
Nos autos n’étaient pas très appréciées sur les track days. Elles étaient réglées assez souples afin de bien fonctionner sur les départementales comme celles qui séparaient mon domicile de celui de Peter Wheeler. Nos options et nos compromis favorisaient toujours la conduite sur route et, si cela les rendait un peu trop mobiles à l’entrée de Copse à Silverstone, peu importait. Cela dit, les temps ont changé. Les sorties circuit deviennent incontournables pour qui veut exploiter vraiment sa sportive, et l’électronique parvient de mieux en mieux à lisser les réactions des puissantes autos aux réglages châssis extrêmes.
Les TVR étaient simples et pures. Mais Peter Wheeler n’était pas passéiste, pas du tout. Je suis certain qu’il aurait relevé les challenges et saisi les opportunités actuelles, comme l’hybridation par exemple. Mais, plus fondamentalement, si une technologie ajoutait du poids et de la complexité sans un gain notable de performance, il était instinctivement contre.
Cela pourra en surprendre certains d’apprendre que nous cherchions à installer L’ABS sur nos autos. Peter ne voulait pas de système basique, il considérait sérieusement un système D’ABS hydraulique développé par Williams. Avec lui, la technologie devait obligatoirement rendre la voiture meilleure. Et plus rapide.
La qualité et la fiabilité sont et seront toujours un immense challenge pour un petit constructeur. Peter qui était né en 1944 appartenait à une génération d’amateurs de sportives qui ont fait leurs armes sur des Triumph TR3 et des
BEAUCOUP DE GENS SE SOUVIENNENT AVEC ÉMOTION DE TVR
Jaguar XK150, des autos qu’il fallait constamment réparer pour pouvoir rouler avec. Les gens qui ont grandi avec la Golf GTI n’ont jamais connu ça et n’avaient pas la même tolérance.
Nous avons aussi sérieusement cherché à aller sur le marché US, où les volumes de ventes de sportives sont très importants. Mais la réglementation était terrifiante. Il n’est pas impossible de vendre des TVR là-bas mais vous devez savoir où vous mettez les pieds. Nous n’avons jamais été vraiment distribués audelà de nos frontières mais nous possédions une base de fans répartie sur toute la planète, notamment grâce à des jeux vidéo comme Gran Turismo. Je suis certain que beaucoup de gens se souviennent encore affectueusement de TVR. Les trentenaires et quarantenaires qui possédaient nos Griffith ou Chimaera doivent être plus aisés aujourd’hui et ils peuvent concevoir l’achat d’une nouvelle TVR comme un objet plaisir avant d’être un moyen de locomotion à utiliser tous les jours comme c’était le cas à l’époque. Et puis, tous ceux qui ont connu TVR sur les consoles de jeux vont pouvoir toucher du doigt et expérimenter pour de vrai un produit de la marque.
Un autre paramètre a également beaucoup évolué chez les grands constructeurs, c’est la performance de leurs autos. Je me souviens très bien avoir conduit une Cerbera 4,5 litres sur l’autobahn et rattrapé rapidement une Ferrari 550. Nous avons écrasé tous les deux l’accélérateur mais la Maranello n’a jamais pu me distancer. À l’époque, aucune de nos autos ne risquait de se faire déposer par une petite sportive comme un Boxster. Mais aujourd’hui ? Pour suivre une Ferrari F12 ou une 812, il faudrait construire quelque chose d’extrêmement rapide.
Notre plus grande crainte était que Jaguar construise la F-type. Nous étions vraiment heureux qu’ils ne le fassent pas car un beau coupé britannique deux places avec un badge Jaguar sur le capot aurait eu toutes les caractéristiques d’une TVR et toutes les qualités d’une auto fabriquée par un grand constructeur.
On peut se demander si tous les petits constructeurs ne sont pas le reflet de leur grand patron. Je pense que c’est le cas, même si les effets dépendent de l’intérêt du “dictateur” pour le produit ou pour la finance. Peter souhaitait construire la voiture en laquelle il croyait, et surtout l’auto qu’il aurait souhaité acheter. Rien ne l’effrayait. Plus il entendait les gens lui déconseiller de produire son propre moteur, plus il était déterminé à le faire. Nous avons persévéré et finalement sommes parvenus à concevoir le fameux Speed Six avec un niveau de fiabilité qui continue de faire ma fierté.
Les produits de niche sont plus importants aujourd’hui. Des marques comme Aston Martin ont réussi quelques beaux coups en créant la One-77 et la Vulcan. Même les grands constructeurs investissent dans la personnalisation et les séries spéciales. Ces opportunités existent également pour des marques comme TVR. Le merchandising est aussi une solution. À mon époque, la Speed 12 fut l’auto la plus rentable que nous ayons jamais conçue. Pas en termes de vente, non, mais parce que nous avions vendu les droits à Scalextric !
Être britannique fut important pour nous mais je pense désormais que le potentiel de TVR dépasse ces frontières. Nicolai Smolenski a cherché le moyen de produire l’auto en Russie, il avait même contacté l’avionneur Sukhoi pour nous fournir en matériaux composites.
Ce fut un immense privilège que de travailler toutes ces années aux côtés de Peter Wheeler et encore plus de devenir son ami. Bien sûr, c’était merveilleux lorsque tout
allait bien et que nous réalisions des profits décents, mais ce fut aussi très amusant à vivre lorsque les difficultés sont apparues. Comme je l’ai dit, Peter n’était pas nostalgique ou passéiste mais un de ses principes fondamentaux était de dire que l’ingénierie était la base. Il avait cette inflexible confiance en lui et en sa capacité à atteindre et à réaliser ses ambitions, à concrétiser ses idées les plus folles et à imaginer le style qui au bout du compte ont rendu TVR si populaire. Son auto favorite était toujours la prochaine. On n’achète pas une auto telle qu’une TVR sans raison. Vouloir simplement être différent ou ne pas ressembler à une Porsche ou n’importe quoi d’autre n’est pas suffisant. Elle doit être spectaculaire, provoquer l’excitation et avoir du panache, il lui faut une personnalité singulière et être performante. Parvenir à cela ne sera pas simple mais cela ne l’a jamais été. J’espère que la nouvelle direction réussira et vivra les mêmes joies que celles que nous avons nousmêmes vécues en cherchant à atteindre ce but. Rien n’est plus jouissif que de réaliser quelque chose qui en vaut la peine, quelque chose de si spécial qu’il trouve une résonance avec le public. C’est ce que TVR cherchait à faire. »