Laurent Hurgon, PILOTE D’ESSAI RENAULT SPORT
L’homme qui a mis au point la nouvelle Mégane R.S. (et la précédente) nous parle de son métier.
En quoi consiste le métier de pilote d’essai ?
À mettre au point les châssis, donc la roue, les pneus, les barres antidévers, les ressorts, la suspension, tout ce qui est raideur mécanique et élasto-cinématique comme les bagues, rotules, tout ce qui procure le feeling de conduite. Ça passe aussi par les systèmes pilotés, comme les 4 roues directrices sur Mégane 4 R.S.
Est-ce vous qui décidez du typage de la voiture ?
Non, je ne décide de rien. On effectue au départ des études afin de positionner l’auto : plus ou moins confort, radical, puriste, sportif. Une fois le portrait défini, on détermine quelles technologies utiliser, j’interviens ensuite lorsque le tout premier mulet est construit sur la base des données définies par les ingénieurs. Grâce aux simulations, l’auto possède un comportement déjà très abouti à ce niveau. Parfois, on peut me demander un avis sur des choix de pièces, des orientations techniques.
Y a-t-il encore de la place pour la subjectivité dans la mise au point ?
Oui, forcément mais on essaie de plus en plus d’associer cette subjectivité à des données objectives claires et mesurées.
Qui définit le caractère de l’auto au final ?
La part subjective reste encore prépondérante car nous passons beaucoup de temps dans l’auto. La touche du pilote d’essai ressort forcément dans la phase finale du produit.
Quelles autos vous doit-on chez Renault Sport ?
J’ai essentiellement suivi toute la gamme Mégane R.S., le service mise au point liaisons au sol de Renault Sport a été créé après la sortie
de la Mégane 2 Phase 1 ou 84 Phase 1. Avant, tout était sous-traité à l’extérieur et, pour la 84 par exemple, c’est Ricardo qui a assuré la mise au point. Je suis arrivé de Peugeot à la création du service par Philippe Merimee, nous sommes dorénavant 17 personnes.
Votre première mise au point fut donc la fameuse R26.R ?
Oui, c’est le premier projet de notre service mais, à l’époque, le développement de la Mégane 3 R.S. avait déjà commencé. Pour m’assister, nous avions recruté Vincent Bayle qui bossait comme pilote chez Michelin et c’est lui qui s’est concentré sur la R26.R pendant que je travaillais sur la Mégane 3. Il connaissait aussi très bien le Nürburgring où il réalisait toutes les endurances accélérées. Sur ce circuit, personne ne lui arrivait à la cheville à l’époque, et c’est lui qui a fait le chrono en 8’17’’ de la R26.R.
Par contre, pour les Mégane 3 R.S. Trophy et 275 Trophy-r en 8’07’’ et 7’54’’, c’est vous qui étiez derrière le volant. Des souvenirs ?
Oh oui. Pour la première tentative en Mégane 3 R.S., c’était extraordinaire car nous avions invité la presse le jour de la tentative pour éviter toute ambiguïté. C’était risqué, d’autant plus que nous n’avions qu’un seul tour pour le réaliser. Malgré tout, nous étions assez sûrs de nous car nous avions développé la Mégane 3 sur les bases de la R26.R. Les gênes étaient identiques et, avec un moteur plus puissant, la performance était là. Nous avions déjà réalisé le chrono plusieurs fois pendant la mise au point. Certes, je pouvais faire une erreur, mais nous étions préparés.
Vous étiez en maîtrise totale ou en mode full attack ? Pouviez-vous aller plus vite ?
Sur le Ring, il faut être humble et tout garder sous contrôle. De toute façon, sur ce circuit, je n’ai jamais l’impression de faire le tour parfait, il y a toujours des zones humides, quelques petites erreurs que l’on ne voit pas forcément en caméra, mais c’était le chrono que nous voulions faire. Pour le chrono de la 275 Trophy-r, nous avons passé des semaines à attendre des conditions favorables et donc que la pluie cesse. Nous avons eu une toute petite fenêtre un matin. La nuit précédente, c’était le déluge. Nous étions résignés mais au réveil, surprise, c’était l’accalmie. On m’a demandé de partir sur un tour pour juger de l’état de la piste. Nous avions si peu de temps à disposition que j’ai demandé aux gars de lancer le chrono s’ils ne me voyaient pas m’arrêter à la fin du tour de reconnaissance. Et le chrono s’est fait comme ça.
Sur la vidéo, on a vraiment l’impression qu’il n’y a aucune marge et que parfois, c’est au-delà de la limite !
C’est vrai que sur cette tentative, il y avait quand même des portions encore extrêmement délicates. Du coup, même si lors de mon tour de reconnaissance j’avais noté quelques virages encore humides où il fallait rester prudent, lorsque je me suis élancé, j’ai complètement oublié tout ça. Effectivement, il y a quelques courbes où ce fut très chaud et où j’ai vraiment frôlé la correctionnelle.
Est-ce que vous observez ce que font les autres sur le Nürburgring ?
Oui. J’ai beaucoup étudié la vidéo de la
Nous essayons de relier la subjectivité d’une mise au point à des données objectives, claires et précises
Honda Civic Type R notamment pour me fixer des objectifs de vitesse en virage. Je n’ai pas de chrono dans la voiture et je me fie juste à mes vitesses de passage en courbe, je n’ai pas envie de me polluer l’esprit avec le chrono, ça permet de ne pas se mettre de pression. Si je sors d’une courbe à la bonne vitesse, c’est que je suis bien passé et ça se retrouve ensuite sur le temps. Bon, eux atteignent les 265 km/h en ligne droite, il va nous falloir être encore plus rapide en courbe…
De toutes les tentatives connues, quel chrono fut le plus impressionnant pour vous ?
J’ai beaucoup aimé celui de Marc Lieb avec la Porsche 918 Spyder. Son pilotage est juste parfait. Bon, je suis un peu en admiration devant ce gars. Je crois qu’il a abordé ce tour un peu comme nous, je pense que cela peut aller plus vite mais il garde cette petite marge, cette humilité qui fait qu’on ne va pas chercher le dernier centième et qu’on reste sur la piste.
Et quand la Lamborghini Huracán Performante bat le temps de la 918 Spyder, vous trouvez ça crédible ?
Oui, bien sûr. Après c’est toujours difficile de connaître les conditions et la préparation de l’auto. Il faudrait que les tentatives soient plus formelles et que le jour du record il y ait des journalistes présents pour valider le chrono.
De quoi a besoin la traction parfaite sur le Nürburgring ?
Il lui faut un excellent châssis qui absorbe beaucoup et qui soit très sécurisant sur le rapide où on peut perdre beaucoup. Et il faut surtout un excellent moteur. Vu le niveau de performance atteint aujourd’hui, le châssis ne peut plus tout faire. Descendre sous les huit minutes, je ne dis pas que c’est facile, mais c’est abordable pour celui qui connaît bien le circuit. Mais pour aller battre le temps en 7’43’’, donc chercher un 7’40’’, c’est vraiment super vite. Il faut tout optimiser, châssis, moteur, pilote.
Et en termes de pneumatiques ?
Sur Mégane 4 R.S., on a du Bridgestone S001 et je pense (rien n’est encore décidé) que nous resterons avec eux pour notre future tentative. Ils ont développé un S007 hautes performances pas aussi radical que le Michelin PS Cup2 ou le Pirelli Trofeo R qui sont des semi-slicks, mais il est vraiment très bien. Il est possible pour un manufacturier qui veut se donner les moyens de produire un pneu très performant sans forcément aller vers la radicalité des produits que je viens de citer.
Boîte EDC ou boîte manuelle ?
Il est possible que l’avantage que nous apporte une EDC en matière de rapidité de passage des rapports soit effacé par son poids supérieur d’environ 30 kg par rapport à une boîte manuelle. Il faut savoir que 70 kg de plus coûtent environ cinq à six secondes sur le Nürburgring. Sur la Trophy-r, nous avions beaucoup travaillé pour passer les virages sur le rapport supérieur, et donc réduire le nombre de passages de rapports, mais plus la compétition est relevée, et moins les compromis sont possibles. Une EDC sera donc peut-être plus intéressante. C’est à voir. Pour l’instant, notre session d’avant l’été au Nürburgring avec Mégane 4 R.S. était dédiée à la mise au point châssis et à l’amortissement. Quand nous aurons décidé de nous lancer dans la chasse au record, alors nous ferons une batterie d’essais qui nous permettra de valider la meilleure configuration.
Pour faire un chrono sur le Ring, un excellent châssis ne suffit plus; vu le niveau actuel, il faut aussi un très bon moteur