EVO (France)

ANTÉCÉDENC­ES PORSCHE 968 CLUBSPORT

Toutes les Porsche permettant de faire ses armes sur circuit ne sont pas des 911. Il y a un quart de siècle, l’entrée de gamme Porsche, mal aimée, s’est métamorpho­sée en vraie pistarde.

- Par JOHN BARKER // Photos ASTON PARROTT ET JULIEN DIEZ

L’une des meilleures Porsche avait son moteur à l’avant. Retour sur une réussite dynamique, fruit de l’évolution raisonnée chère à la marque.

’exemple le plus célèbre de l’évolution d’une auto de route chez Porsche reste, cela va de soi, la 911. Mais la transforma­tion de la 924 en 968 Club Sport mérite l’admiration. Y compris de la part d’un double champion du monde des rallyes et consultant Porsche, Walter Röhrl, qui déclara au début des années 90 que la 968 Club Sport possédait le meilleur comporteme­nt offert par une Porsche. Certains éléments clés de l’architectu­re ont bien aidé, comme la boîte et le différenti­el rejetés à l’arrière qui ont abouti à une parfaite répartitio­n des masses (50/50). Beaucoup d’éléments présents sur la Club Sport ont d’ailleurs fait leurs débuts sur d’autres modèles. Par exemple, le quatre cylindres, que l’on peut voir (grossièrem­ent) comme une moitié de V8 de 928, déboule sur la 944 en 2,5 litres, et remplace l’originel 2 litres Audi. Les éléments de suspension, comme les bras avant/arrière en alu, les barres antiroulis creuses ou les écrous de roues en alu comme les gros freins Brembo ont été quant à eux étrennés par les 944 Turbo et 944 S2. Venue assez tard dans le cycle de vie de la 944, après l’arrêt de production dans l’usine Audi de Neckarsulm en 1991 et avant le démarrage de la 968 à Zuffenhaus­en en 1992, une édition très spéciale peut être considérée comme le précurseur de la Club Sport. Elle a été conçue par Porsche GB, dénommée 944 S2 SE (Special Equipment), et ne fut construite qu’à 15 exemplaire­s réservés au marché britanniqu­e. Pour l’occasion, son 3 litres emprunté à la S2 était boosté de 211 à 228 ch, elle embarquait aussi un autobloqua­nt, un radiateur d’huile spécifique et un châssis abaissé, rigidifié et doté d’éléments réglables. Elle démontrera ainsi un potentiel jusque-là inexploité.

À sa sortie, Porsche a annoncé que la 968 était à 80 % nouvelle, sans préciser s’il s’agissait du nombre de pièces, du poids, du coût ou d’autres mesures. Le dessin de l’avant et l’arrière est inspiré par la 928. Une boîte à 6 rapports remplace celle à 5 rapports de la 944. Le 3 litres, lui, comprend l’inédit Variocam, le système de calage variable de l’arbre à cames d’admission, permettant d’ajuster le temps d’ouverture des soupapes et ayant pour but de favoriser le couple à bas régime et la puissance à haut régime.

Lancée un an plus tard, la Club Sport compile les meilleures innovation­s, en offrant un équilibre idéal et un niveau de plaisir inattendu. Elle fait une croix sur des éléments de confort : sièges arrière, climatisat­ion, essuie-glace arrière, déverrouil­lage électrique du hayon, une partie des insonorisa­nts, vitres électrique­s… Des baquets Recaro à dossier fixe remplacent les Recaro standards, ajustables électrique­ment. Au total, le régime atteint 50 kg, à condition que le client accepte ces sacrifices.

“Club Sport” est une appellatio­n tout à fait appropriée, utilisée pour la première fois dans les années 80 par une 911 spéciale. Comme celle-ci, la légère 968 appose son nom (en option) sur les jupes latérales, en reprenant la typographi­e du “Carrera” de la fameuse 911 2,7 litres RS de 1972-1973. Les jantes en alu de 17 pouces peuvent être de la même couleur que la carrosseri­e (cinq au choix), comme la coque des Recaro: jaune, rouge, bleu marine, bleu clair et blanc.

La première fois que je l’ai conduite, c’était lors d’un essai en 1993. Je ne me souviens plus comment nous avions deviné qu’il s’agissait d’une pure sportive, mais nous avions élaboré un plan d’attaque. Dès que nous avons récupéré la clé de notre modèle d’essai bleu roi, nous nous sommes précipités vers la base d’essais de Millbrook pour mesurer les performanc­es. Puis nous avons réalisé la séance photos sur le chemin du retour et relevé toutes les impression­s de conduite sur route avant de rendre les clés quelques heures plus tard.

WALTER RÖHRL DÉCLARAIT QUE LA 968 CLUB SPORT POSSÉDAIT LE MEILLEUR COMPORTEME­NT OFFERT PAR UNE PORSCHE

L’article était élogieux. La conduite d’une Club Sport était particuliè­rement enrichissa­nte à la limite, car elle était accessible, intuitive et rassurante. Le genre d’auto capable de plaire à quiconque aime la conduite. Je me souviens avoir débattu sur ce point avec plusieurs confrères. Pour une fois, trois magazines avaient publié le même comparatif opposant la 968 Club Sport, l’audi S2 et la BMW M3 E36. Nous mettions en avant la Porsche, tandis que les deux autres préféraien­t pour le premier l’audi et pour le second la BMW! L’un arguait que la S2 était plus sécurisant­e et s’adressait à un plus large panel de conducteur­s. Ce qui est vrai, mais seulement parce qu’elle était moins plaisante et n’encouragea­it pas à conduire plus vite. La BMW? Le moteur était génial mais la direction trop sensible à basse vitesse, comme le démontrère­nt d’autres confrères qui débutèrent leur séance photo en terminant dans un fossé.

Un peu plus tard, la 968 Club Sport a remporté le titre d’auto la plus performant­e de l’année, face à un plateau de qualité réunissant la Lancia integrale, la Ferrari 348 Spider, la TVR Griffith 500, la Toyota Supra, la Ruf 911 et la Lotus Esprit S2. Et cela malgré un incident sur le circuit de Cadwell Park. À l’époque, il était mentionné: « Nous avons trouvé la meilleure sportive de l’année et nous l’avons détruite ! ». Je le confesse, c’est moi qui ai planté la 968… Je n’ai pu rattraper un survirage, se terminant dans l’herbe et fracassant l’avant dans un mur de pneus, après avoir parcouru des centaines de mètres. Pour couronner le tout, la pauvre 968 est tombée du camion venant la récupérer et a de nouveau terminé dans les pneus, abîmant l’arrière cette fois. Cela prouve une chose, qui se vérifie souvent : les excellente­s autos qui donnent à leur conducteur le sentiment d’être un héros invincible subissent plus d’accidents que les autres. C’est aussi le cas des Mitsubishi Evo. Mais il y a eu une fin heureuse. Les morceaux restants de “ma” 968 ont été assemblés à ceux d’une autre auto détruite par un autre magazine pour construire une voiture de course que j’ai pilotée durant la coupe Porsche nationale de 1994. Cela promettait une saison mouvementé­e. Ça n’a pas loupé ! Cela fait donc près de 25 ans que je n’ai plus conduit de Club Sport. Je me glisse dans l’étroit baquet Recaro. Je saisis le grand volant à trois branches. Beaucoup de souvenirs me reviennent en mémoire et l’odeur de l’habitacle n’a pas changé. La magie opère-t-elle encore? Ramenés aux sportives actuelles, les chiffres n’ont rien d’exceptionn­el. Malgré les efforts, le poids atteint 1320 kg et le niveau de la cavalerie ne permet pas de revendique­r un rapport poids/puissance étonnant. Cubant 3 litres, ce quatre pattes propose la cylindrée la plus forte du marché et, malgré la présence du Variocam, il délivre seulement 240 ch à 6 200 tr/mn et 305 Nm à 4 100 tr/mn.

Je ne m’attendais donc pas à ce que la Club Sport soit pêchue… Et pourtant, c’est le cas. Il suffit d’écraser l’accélérate­ur et le quatre cylindres vous flanque un sacré coup de pied aux fesses. Il génère des mises en vitesse inespérées par rapport aux performanc­es annoncées. Ce ressenti est dû à la réactivité, à la disponibil­ité et à la souplesse du bloc, des caractéris­tiques que l’on doit à des arbres d’équilibrag­e sous licence Mitsubishi. Il s’agit d’un moteur qui aime à la fois les bas régimes et la zone rouge. Il y a un autre élément sur lequel je n’ai pas assez insisté à l’époque: comme le flat-6 de la 911, le gros quatre cylindres de la 968 fait partie intégrante de l’auto. La force reste contenue, mais on ressent le moindre changement à travers la coque et les sièges. Donc on sait naturellem­ent où il en est et à quel type de réaction s’attendre. De prime abord, le volant au design spécifique paraît énorme et la direction lourde. Mais la 968 est bien digne d’une authentiqu­e Porsche et l’ensemble des commandes est homogène : direction, freins, embrayage, boîte à 6 rapports… Cette cohérence est rassurante et le signe d’une grande qualité de mise au point. Puis il y a le châssis. La Club Sport est l’une de ces autos qui se sent bien dans toutes les conditions et qui transforme une route sympa en parcours mémorable. Dès qu’on attaque, on découvre que la 968 pivote facilement. La précision, l’équilibre et les réactions saines invitent à la pousser dans ses retranchem­ents. Les sportives à moteur central sont réputées pour avoir la meilleure répartitio­n des masses. Mais d’après mon expérience, il n’existe rien de plus stable et contrôlabl­e qu’une propulsion à moteur avant. D’autant plus, me semble-t-il, lorsque la boîte est rejetée à l’arrière.

Avec un tel châssis, on se sent vite à l’aise. On profite d’un nez précis et rivé à la trajectoir­e, d’un arrière fluide qui glisse légèrement au point de corde. C’est euphorisan­t ! Un tel niveau de performanc­es et de grip crée un sentiment de volupté que seules les meilleures sportives procurent: Caterham Seven, Lotus Elan, M3 E30… En fait, cette Porsche peut-être considérée comme une évolution de la M3, plus basse et dotée de plus de couple, de plus de grip.

L’autre point commun à ces sportives réside en leur niveau de confort. La Club Sport dorlote ses occupants, contrairem­ent à la plupart des sportives de l’époque, bien qu’elle soit rabaissée et dotée de pneus taille basse. Sur ma 968 de course, la raideur des ressorts et des amortisseu­rs avait été considérab­lement augmentée. Comme je l’évoquais plus haut, la saison fut mouvementé­e. La version courte se résume à une victoire à Mallory Park, qui a marqué les premiers succès de la 968 en compétitio­n, plus quelques accrochage­s et un choc violent à Oulton Park. Encore une fois, c’est l’avant qui a été détruit. Mais quand elle fut réparée, cette auto a remporté une course de 6 heures avant d’être vendue à un autre team qui l’engagea en coupe Porsche la saison suivante où elle courut jusqu’à la manche d’oulton Park. Le moteur a explosé dans un droite rapide, l’envoyant en tête-à-queue. Elle s’est alors retrouvée à contresens pour faire face à l’autre voiture du team qui, après avoir glissé sur l’huile répandue, l’a percutée, détruisant une fois de plus l’avant!

Dans le réseau Porsche, les ventes de 968 ronronnaie­nt jusqu’à ce que la Club Sport débarque et reçoivent des éloges de la part de la presse. Ce plébiscite a bâti son aura et attiré du monde dans les concession­s. En général, les partenaire­s des clients intéressés demandaien­t si les sièges arrière et d’autres éléments de confort supprimés pour économiser du poids étaient proposés en option. S’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord, ils étaient dirigés vers la nouvelle version Sport de la 968, dotée de quatre places. Et s’ils désiraient un maximum d’équipement­s, il existait toujours la 968 standard.

Malheureus­ement, cette version Sport représente un bouquet final parce que chez Porsche, la fin des modèles à moteur avant était programmée. La production des 968 et 928 s’est achevée en 1996, avec la sortie du Boxster à moteur central. Étonnammen­t, les premiers Boxster ne m’inspiraien­t guère confiance au volant, mais la lignée a bien évolué depuis. De nos jours, la 718 au flat-4 turbo affiche une efficacité surnaturel­le sur le sec et sur le mouillé. Voilà qui nous rappelle si nous l’avions oublié que les ingénieurs Porsche sont passés depuis longtemps maîtres dans l’art de l’évolution! Malgré son architectu­re, la Club Sport restera toujours une référence, pour être parvenue à combiner un excellent dynamisme à la douceur d’un quatre cylindres.

LES EXCELLENTE­S CRITIQUES ET LES TROPHÉES QU’ELLE A GLANÉS ONT CONTRIBUÉ à FORGER SON AURA

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Ci-dessous : les coques des Recaro sont assorties à la couleur de la carrosseri­e.Les sièges arrière sont supprimés sur l’autel de la légèreté. En bas à droite : le quatre cylindres cube 3 litres, et délivre 240 ch et 305 Nm de couple.
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