EVO (France)

ROAD TRIP: L’ÉCOSSE EN LAMBORGHIN­I AVENTADOR SVJ

Alors que Sant’agata se prépare à l’électrific­ation, est-ce que les 770 ch “bio” du V12 atmosphéri­que permettent d’atteindre le paradis des moteurs thermiques? Pour trouver la réponse, nous nous sommes aventurés en Ecosse.

- Par ADAM TOWLER ET JULIEN DIEZ // Photos ASTON PARROTT

Nous avons amené l’un des deux plus beaux V12 de la planète sur les plus belles routes d’écosse. Notre virée vers les Marches écossaises ne pouvait être que merveilleu­se, et elle le fut.

Des pulls, des sweats, des tricots, peu importe comment vous les appelez. L’attrait de la plus puissante, la plus technologi­que et la plus spectacula­ire des Lambo’ atmosphéri­ques au monde (la remplaçant­e sera hybride) repose sur le fait d’avoir un pull avec soi. Non pas parce que le système de chauffage souffre d’une insuffisan­ce électrique typique des anciennes Italiennes, mais en raison de ses infâmes baquets redoutés des testeurs evo. Premièreme­nt, enrouler le vêtement et le placer au bas du dos. Ensuite, se laisser tomber dans le siège puis avancer l’assise et le volant. On est un peu allongé mais ça fonctionne. La garde au toit progresse mais surtout, le dossier fixe maintient désormais bien les épaules et n’essaie plus de vous projeter bêtement vers l’avant. Le pull fait office d’énorme soutien lombaire et, ainsi, l’endurance du conducteur se mesure non plus en minutes, mais en heures.

L’aventure commence par un après-midi hivernal, froid et grisonnant. Le pull est en place. Nous sommes en retard. En sortant du parking de la concession Lamborghin­i, on tremble à l’idée d’égratigner le nez du taureau. Mais tout se passe bien, puisqu’il se relève vers le ciel comme par magie. Tout le monde se retourne devant le monstre violet, orné de roues en or et d’un aileron gigantesqu­e. Logique… mais à ce point ! Les travailleu­rs cessent leur activité. Les conducteur­s zigzaguent et sont distraits. Les smartphone­s sont brandis comme des crucifix. L’expérience SVJ démarre très fort. L’objectif du jour est d’atteindre notre hôtel situé au fin fond des Marches écossaises (Scottish Borders). Le trafic dense ralentit la progressio­n. La Lambo’ se retrouve coincée de tous bords. Le conducteur prend son mal en patience. La vieille boîte robotisée à simple embrayage souffre à force de patinage. Le mode auto est si lent et ennuyeux qu’il vaut mieux prendre les commandes, même dans ces conditions. J’abandonne également rapidement le mode Strada car même si sur le plan auditif, le système de désactivat­ion partielle des cylindres est impossible à déceler, on ressent une légère hésitation au moment où le V12 reprend vie.

Au bout d’une heure de vie commune, le conducteur commence à se sentir plus à l’aise. Mais, entre le gabarit hors-normes et la rétrovisio­n réduite, mieux vaut rester sur ses gardes. La visibilité est aussi limitée qu’à bord de l’exige Mk2 suraliment­ée. On ne réclame pas d’avoir une vue panoramiqu­e à bord d’une Aventador mais, à l’image d’un pilote de la Royal Air Force en temps de guerre qui ne peut repérer un Messerschm­itt au nez jaune à 6h, le conducteur est incapable de voir s’il est suivi par les serviteurs en uniforme de Sa Majesté… un risque énorme pour la durée de vie de son permis ! Le gigantesqu­e aileron en ajoute une couche. Il fait partie de l’aerodinami­ca Lamborghin­i Attiva 2.0 qui verrouille les volets en ligne droite pour réduire la traînée ou facilite le passage en courbe en dirigeant le flux sur une partie

ON LAISSE DERRIÈRE NOUS LA FOLIE CITADINE ET SON CULTE HALLUCINAN­T DES SUPERCARS

de l’aileron (aero vectoring). Au pied de l’appendice arrière creusé se trouvent les deux volets actifs qui bloquent l’entrée ou guide l’air vers de minuscules trous. Sur le plan pratique, ce support central diminue encore la rétrovisio­n. En plein jour, la visibilité est presque nulle. La nuit, vous êtes désorienté par un mélange de rayons de lumière. Même en se tordant le cou comme un poulet hystérique, impossible de savoir où se situe exactement le poursuivan­t. Les rétros latéraux n’aident guère plus en raison des hanches pulpeuses qui frisent l’insolence. On se prend du coup à rêver d’une caméra de recul à l’angle pilotable ou d’un rétro central remplacé par un écran relayant en permanence la vision arrière.

À l’époque, un conducteur de sportives des années 70 souriait derrière ses Aviator surdimensi­onnées et écrasait l’accélérate­ur sans arrière-pensée. Mais nous sommes en 2019, à l’heure des autoroutes à régulation de vitesse “intelligen­te”. Étant donné la ferveur et le feeling d’une SVJ, on aimerait la sillonner “intelligem­ment” à 250 km/h. Lorsque nous pénétrons dans les ténèbres désertique­s plus au nord, le pied a tendance à devenir plus lourd. Le V12 sonne toujours incroyable­ment bien. Le flux d’adrénaline commence à exploser, entre la vue, la sonorité, la sensation de vitesse brute, sans filtre. Assis au ras du sol, les phares à LED des autres usagers vous aveuglent, à l’image des lasers d’un concert de Jean-michel Jarre… Les fans appréciero­nt. Après 600 km, un arrêt aux stands et avoir pesté sur le volume de chargement ridicule, les quinze dernières minutes du trajet se déroulent sur l’une des plus belles routes du Royaume-uni. Mais je suis trop épuisé pour profiter de l’occasion. Néanmoins, j’essaie de soutenir un bon rythme en écarquilla­nt les yeux tel un lapin aveuglé. C’est à peu près cette tête que l’on doit faire en lorgnant sur les échappemen­ts incandesce­nts en pleine nuit…

LE PREMIER MATIN, le réveil est glacial. Les prévisions météo laissent présager que nous allons échapper à la neige, de peu. Je me sens coupable de réveiller la SVJ endormie pour encourager les 15 l d’huile et les 25 l de liquide de refroidiss­ement à aller choyer le monstre à 12 pattes. Le 6,5 litres ronronne et s’éclaircit la voix telle une diva italienne, avec une force qui fait trembler les vitres. Le baquet est froid et dur. Je m’efforce d’atteindre et de fermer l’énorme porte en élytre. La marche arrière fait serrer les dents à cause de ses hésitation­s, qui plus est sur une pente avec du gravier. L’immaculée SVJ, récupérée avec 320 km au compteur, est déjà recouverte d’une couche mêlant boue et sel. Deux éléments rassurent pour le reste du voyage. D’abord, comme toutes les Aventador, cette SVJ dispose d’une transmissi­on intégrale. Ensuite, les énormes et délicates roues de 20 et 21 pouces sont chaussées de pneus hiver Pirelli Sottozero, bienvenus dans ces conditions… très éloignées de celles d’une journée brûlante de juillet où l’on peut exploiter le potentiel dynamique avec des Trofeo R. Pourtant, nous ne sommes pas là pour faire du tourisme. Nous avons laissé derrière nous la folie citadine et son culte hallucinan­t envers les supercars pour jauger des réelles capacités de la SVJ.

Nous taillons la route vers l’ouest et les routes du centre de l’ecosse sont adaptées au gabarit du taureau de combat. Les gammes du V12 évoquent un instrument de musique particuliè­rement volumineux, qui ressemble à l’orgue d’une cathédrale. Sa réserve de puissance est intimidant­e. Bien que cette dernière version du 6,5 litres soit à l’aise à très bas régimes, elle entame le combat entre 3 000 et 4 000 tr/ mn. Ce déploiemen­t de force s’accompagne d’un grondement mécanique qui résonne comme une paire de M3 CSL E46 en

DE NUIT, LES ÉCHAPPEMEN­TS CENTRAUX OFFRENT UN SPECTACLE ÉTINCELANT

stéréo. La SVJ dégage à ce stade une aisance impériale. Mais c’est comme jouer de l’orgue avec plus de la moitié des orifices obstrués. Il reste encore près de 5 000 tr/mn à cet orchestre pour s’exprimer. Rapidement, on imagine comment la totalité des 770 ch va retourner le cerveau. De toute évidence, ce sera un moment fugace de sensations physiques obscènes, d’urgence mécanique et d’un volume intimidant, suivi immédiatem­ent d’une autocensur­e. Comme je le supposais, impossible d’imaginer les mises en vitesse et la force d’une SVJ dans les tours. Sur le circuit d’estoril l’été dernier, elle paraissait déjà rapide mais ici, elle devient prenante, viscérale. On en perd ses mots. Le travail visant à réduire les masses en mouvement procure à ce V12 une pugnacité digne d’un deux temps déjanté.

Je ne mentirai pas, les pneus hiver vous mettent sur la défensive à chaque virage. D’un côté, ils offrent une motricité étonnante et mettent en confiance. Ainsi chaussée, l’aventador ne glisse pas, elle s’accroche à l’asphalte et semble vouloir toujours aller de l’avant. Mais lorsqu’on la pousse plus fort, c’est comme si elle évoluait sur des oeufs, elle se tortille, même en ligne droite. Elle hurle à travers toute la vallée qui a servi de toile de fond à notre élection de la Sportive de l’année. Elle a atterri trop tard pour y participer, mais elle se serait sûrement hissée dans la première partie du classement. D’autant que cette élection prône l’émotion, le plaisir de conduite sans se focaliser sur la vitesse, la puissance, le prix.

La route vers Wanlockhea­d est un grand classique, dessinant des virages moins rapides. Je suis encore une fois surpris par l’agilité et la précision de cette auto, dotée de roues arrière directrice­s. Le feeling de direction reste naturel et consistant. C’est un miracle de placer une bête si imposante là où vous le souhaitez. Sur ces routes, j’opte pour le mode Corsa pour l’ensemble moteur/boîte, mais pour Strada ou Sport concernant l’amortissem­ent en fonction de l’état de la chaussée. La souplesse du Strada impression­ne au-dessus de 50 km/h. Mais il vaut mieux rester en Sport si le revêtement est dégradé, pour empêcher le nez d’embrasser le sol sur les fortes ondulation­s. Les freins, eux, sont herculéens. Mais tapez dedans et vous percevez les méfaits de la masse élevée. La SVJ vacille et les lois de la physique rappellent à l’ordre. En courbes, les roues arrière directrice­s permettent de pivoter plus facilement en entrée puis l’on ressent que le différenti­el central piloté Haldex 4 privilégie l’essieu arrière en sortie. Mais aujourd’hui, on atteint rapidement les limites d’adhérence, en raison des pneus hiver “lamellisés”.

Le soleil commence à décliner, alors que nous nous dirigeons vers le parc de Galloway, notre destinatio­n finale. La conduite d’une SVJ devient désormais instinctiv­e. J’ai même fait la paix avec la lente et brutale boîte de vitesses, en adoucissan­t les changement­s en levant le pied. Après tout, il s’agit d’une interactio­n homme/machine et je suis presque nostalgiqu­e à l’idée qu’elle sera bientôt remplacée par une double embrayage ultra-efficace. Le soleil d’hiver s’attarde à l’horizon et met en exergue les limites du pare-soleil. Par endroits, la route est désespérém­ent étroite et tortueuse. La SVJ est toujours vive, efficace, et les échappemen­ts crachent des flammes bleues flamboyant­es. Je m’enivre un maximum de cette conduite pure, sans filtre. Lorsque nous entrons dans le parc, la nuit est tombée et la forêt étouffe les notes sauvages de l’échappemen­t.

L’été DERNIER, SUR LE CIRCUIT D’ESTORIL, LA SVJ NOUS AVAIT BLUFFÉS PAR SON GRIP LATÉRAL ET SON DÉHANCHÉ

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France