ANTÉCÉDENTS: SUBARU IMPREZA P1 vs MITSUBISHI LANCER EVO TOMMI MÄKINEN
À la fin des années 90, Mitsubishi et Subaru se battaient pour décrocher la couronne en championnat du monde des rallyes. Sur la route, la compétition se poursuivait, comme nous avons pu le découvrir en réunissant les très rares Lancer Evo VI Tommi Mäkine
On refait le match. Les reines du rallye mondial des années 90 avaient leur (vraie) déclinaison de route, elles se retrouvent aujourd’hui pour une nouvelle arsouille. Moins violente que jadis.
Le son est reconnaissable entre mille. Tout du moins pour ceux qui ont arpenté les abords des spéciales du championnat du monde des rallyes dans les années 90. Manifestement, la voiture rouge approche. À bord de la P1 garée sur le côté de la route, ma vision embrasse une grande partie de la vallée devant moi et le petit point rouge que j'apercevais par moments au loin s'épaissit rapidement. Il apparaît et disparaît au sommet des petites routes bosselées et exigeantes qui ne cessent d'onduler avec amplitude. Le bruit discret du ralenti de la P1 me rappelle où je suis. Les vibrations constantes du flat-4 semblent vouloir me mettre en garde : « Ne la regarde pas! ». La Tommi Mäkinen grossit pourtant à vue d'oeil. Je pense que ces deux-là se dépèceront, se démantèleront, se bagarreront furieusement, et ce jusqu'à ce que la dernière goutte de pétrole soit extraite de la planète Terre. C'est ainsi, elles sont ennemies pour le reste de leur existence.
Nous sommes dans le nord du Pays de Galles, un haut lieu du championnat du monde des rallyes qui convient parfaitement à l'historique de nos deux montures. À la bascule entre les deux millénaires, les pages des magazines autos comme le nôtre regorgeaient d'impreza et de Lancer menaçant l'hégémonie des supercars d'alors et imprégnant les esprits de la génération X. Pour certains, c'était ennuyeux au possible mais, personnellement, je trouvais ça fascinant. Il faut dire que j'étais fan de rallye et que la compétition aidait à comprendre la raison des évolutions régulièrement apportées à ces modèles.
Ce que je n'avais pas vraiment imaginé avant de rentrer chez moi à la fin de ce reportage, c'est que ce sujet allait se transformer en histoire de fantômes. Car ce type d'autos n'existe plus aujourd'hui, même en versions modernisées, et parce qu'elles évoluaient à une époque où les radarstronçons n'existaient pas non plus et où les automobilistes n'étaient en règle générale pas aussi traqués qu'aujourd'hui. Quand je regarde la P1, je m'attends à trouver à proximité le photographe tenant un Polaroid sous le bras en même temps qu'il ouvre une boîte de films Fuji. Qui se souvient
des pellicules photo, hein, qui? Un voyage qui serait une formalité en Audi RS4 devient vite une mission à bord d'une P1. Pour se distraire, il y a la radio et les… cassettes. Et qui se rappelle des cassettes audio, hein, qui ? De toute façon, j'ai oublié ma compilation de méga-hits des années 90 enregistrés sur TDK D90. De fait, le manque de raffinement d'une auto servant à l'homologation et développée dans les années 80 rend le trajet difficile. Vous sentez parfaitement chaque kilomètre parcouru. D'un autre côté, être autant connecté à une machine en action peut aussi être perçu positivement.
J'imagine qu'un cours d'histoire vous paraîtra vite rébarbatif donc je ne vais pas trop m'étendre et juste signaler que l'origine de ces deux autos se situe au début des années 90. La Subaru bleue utilise en fait la mécanique de la Legacy RS que les ingénieurs ont réussi à faire entrer dans la caisse plus courte du modèle de gamme inférieure, l'impreza. À l'époque, cette Impreza née en 93 au Japon puis déclinée en version STI en 94 était importée au compte-gouttes en Angleterre par une filiale Subaru UK qui en avait marre de perdre de l'argent. Il faut dire qu'importer officiellement une WRX STI Type R (le R définissait la version 2 portes) demandait un peu plus de travail que simplement poser un feu arrière antibrouillard sur un modèle sortant du bateau. Un accord fut donc conclu entre Subaru et Prodrive en 1998 pour s'occuper de l'homologation. Notez qu'en France la première Impreza commercialisée était la 2,0 l GT Turbo en 1994, c'était une 4 portes qui développait 211 ch, puis 217 ch à partir de 1999. La 22B (GC8E Type R) de 280 ch mais à moteur 2,2 l (EJ22) apparut en 98, elle était une Impreza WRX STI 2 portes limitée à 400 exemplaires au Japon dont seulement quelques unités ont été exportées vers le Royaume-uni (et modifiées par Prodrive) en 1999. Nous n'y avons évidemment pas eu droit…
La “Prodrive One” naît un an plus tard exclusivement en Grande-bretagne encore une fois. Pour la commercialiser, Prodrive a travaillé sur la version japonaise afin de lui faire passer les normes de bruit, d'émissions et de sécurité. On trouve donc principalement un boîtier électronique et un échappement spécifiques, mais les ingénieurs britanniques imaginaient déjà quelque chose de plus global pour réviser radicalement le comportement dynamique de cette Type R GC8G nippone. Pour cela, ils testèrent pas moins de 22 combinaisons de ressorts, amortisseurs et barres antiroulis, ils la modifièrent en durcissant le train avant et assouplissant le train arrière afin d'améliorer la motricité et la stabilité. Les amortisseurs affermis provenaient de STI et les ressorts conçus par Eibach et Prodrive abaissaient la garde au sol de 20 mm. La crémaillère plus directe envisagée ne vit jamais le jour, tandis qu'on ne trouvait pas trace de différentiel central réglable ou de système de refroidissement par pulvérisation d'eau comme sur les modèles japonais. Cela ressemblait à une mise aux goûts européens et les 280 ch permettaient un 0 à 100 km/h en 4''7 et une vitesse de pointe de 240 km/h, des chiffres qui n'avaient rien d'anecdotique en 2000. Aucune Impreza ne ressemblait à cette P1 produite à 1000 exemplaires que le designer Peter Stevens s'était attaché à transformer comme il l'avait fait avant elle avec la 22B. La nouvelle face avant plus profonde, les prises d'air sur le capot, les bas de caisse et un aileron gigantesque montraient à ceux qui pouvaient en douter toute la méchanceté dont elle était capable.
CES DEUX-LÀ S’AFFRONTERONT PROBABLEMENT JUSQU’À CE QUE LA DERNIÈRE GOUTTE DE PÉTROLE SUR TERRE SOIT BRÛLÉE
LA P1 GÉMIT, RUGIT, GROGNE, C’EST UNE BOULE D’ÉNERGIE
Aujourd'hui, partager la vie d'une P1 est une expérience faite de contrastes. Si vous avez déjà conduit une Impreza, vous retrouverez instantanément vos marques. On est assis haut dans une auto qui paraît menue, étroite et… vieille. L'instrumentation est basique et les plastiques durs mais, comme l'autre voiture du jour, la P1 possède un ersatz de mode Confort avant l'heure puisqu'en dessous du seuil de déclenchement du turbo, le moteur se révèle doux, rond et même léthargique pour tout dire. Cela ne signifie pas que le temps de réponse est un souci mais simplement qu'en dessous de 3000 tr/mn, il ne se passe rien. Agrippez le volant Momo surdimensionné puis patientez un peu: c'est alors que la P1 gémit, rugit, grogne, pour devenir une boule d'énergie. Elle se met à vibrer à mesure que la puissance déferle sur les quatre roues et que la transmission entre en contrainte.
Puis, elle grimpe dans les tours encore et encore en chantant magnifiquement. Je suis convaincu depuis longtemps que le bloc EJ20 est un des plus formidables moteurs thermiques qui soient. Au-dessus, on ne trouve que le flat-6 Porsche “Mezger” M97/76, le V12 Lamborghini “Bizzarrini” ou le 4 cylindres Honda K20A, que des trésors d'une technologie passée pleine de bruits d'aspiration, de déflagrations et de miaulements. Son battement caractéristique s'accélère jusqu'à se transformer en hurlement passé 6 000 tr/mn. Mais il n'est pas seulement question de sonorité, il y a aussi la douceur, l'onctuosité et cette gourmandise à prendre des tours.
Et bon sang, elle est toujours sacrément rapide. Montez les rapports virilement, sentez le paysage défiler devant les minces montants de pare-brise, visez les cordes à l'aide de la prise d'air du capot, remarquez le tremblement de l'énorme aileron arrière dans votre rétroviseur, tout cela (et plus encore) définit l'expérience sensorielle de la P1. J'adore aussi la délicatesse du levier de vitesse élancé malgré le couple important de ce bloc suralimenté, le pédalier et la réponse moteur sont également parfaits pour un talonpointe efficace. Trouver de telles caractéristiques dans une voiture moderne relève du challenge quasi impossible.
Une partie de la rapidité de la P1 est à mettre au crédit de son maintien de caisse. Prodrive a longuement travaillé dessus pour l'adapter aux routes difficiles du pays. Comme pour beaucoup de sportives, ce que l'on jugeait raide à l'époque apparaît plutôt souple aujourd'hui. Et surtout, la suspension vous informe précisément de la contrainte qui s'applique au châssis et ce qu'il réclame pour trouver l'adhérence. Ou la perdre. Une qualité rare de nos jours. Lorsque vous braquez, le nez se met en mouvement après un petit temps de réaction, il faut ensuite rajouter du braquage pour réellement tourner. Ce n'est pas une auto que l'on dirige d'un léger coup de poignet. Si vous engagez vigoureusement, vous sentez tout de suite un début de survirage vite endigué. Vous ressentez toutes les roues qui s'activent, une sensation qui a disparu des tractions intégrales modernes là aussi.
Je me range sur le côté pour rassembler toutes mes pensées. C'est à ce moment-là, pendant que je notais tout cela sur mon carnet, que j'ai vu approcher la Mitsubishi. Pour être honnête, je n'ai pas perdu de temps pour mettre son conducteur dehors et prendre sa place derrière le volant.