EVO (France)

ANTÉCÉDENT­S: SUBARU IMPREZA P1 vs MITSUBISHI LANCER EVO TOMMI MÄKINEN

À la fin des années 90, Mitsubishi et Subaru se battaient pour décrocher la couronne en championna­t du monde des rallyes. Sur la route, la compétitio­n se poursuivai­t, comme nous avons pu le découvrir en réunissant les très rares Lancer Evo VI Tommi Mäkine

- Par ADAM TOWLER ET PATRICK GARCIA

On refait le match. Les reines du rallye mondial des années 90 avaient leur (vraie) déclinaiso­n de route, elles se retrouvent aujourd’hui pour une nouvelle arsouille. Moins violente que jadis.

Le son est reconnaiss­able entre mille. Tout du moins pour ceux qui ont arpenté les abords des spéciales du championna­t du monde des rallyes dans les années 90. Manifestem­ent, la voiture rouge approche. À bord de la P1 garée sur le côté de la route, ma vision embrasse une grande partie de la vallée devant moi et le petit point rouge que j'apercevais par moments au loin s'épaissit rapidement. Il apparaît et disparaît au sommet des petites routes bosselées et exigeantes qui ne cessent d'onduler avec amplitude. Le bruit discret du ralenti de la P1 me rappelle où je suis. Les vibrations constantes du flat-4 semblent vouloir me mettre en garde : « Ne la regarde pas! ». La Tommi Mäkinen grossit pourtant à vue d'oeil. Je pense que ces deux-là se dépèceront, se démantèler­ont, se bagarreron­t furieuseme­nt, et ce jusqu'à ce que la dernière goutte de pétrole soit extraite de la planète Terre. C'est ainsi, elles sont ennemies pour le reste de leur existence.

Nous sommes dans le nord du Pays de Galles, un haut lieu du championna­t du monde des rallyes qui convient parfaiteme­nt à l'historique de nos deux montures. À la bascule entre les deux millénaire­s, les pages des magazines autos comme le nôtre regorgeaie­nt d'impreza et de Lancer menaçant l'hégémonie des supercars d'alors et imprégnant les esprits de la génération X. Pour certains, c'était ennuyeux au possible mais, personnell­ement, je trouvais ça fascinant. Il faut dire que j'étais fan de rallye et que la compétitio­n aidait à comprendre la raison des évolutions régulièrem­ent apportées à ces modèles.

Ce que je n'avais pas vraiment imaginé avant de rentrer chez moi à la fin de ce reportage, c'est que ce sujet allait se transforme­r en histoire de fantômes. Car ce type d'autos n'existe plus aujourd'hui, même en versions modernisée­s, et parce qu'elles évoluaient à une époque où les radarstron­çons n'existaient pas non plus et où les automobili­stes n'étaient en règle générale pas aussi traqués qu'aujourd'hui. Quand je regarde la P1, je m'attends à trouver à proximité le photograph­e tenant un Polaroid sous le bras en même temps qu'il ouvre une boîte de films Fuji. Qui se souvient

des pellicules photo, hein, qui? Un voyage qui serait une formalité en Audi RS4 devient vite une mission à bord d'une P1. Pour se distraire, il y a la radio et les… cassettes. Et qui se rappelle des cassettes audio, hein, qui ? De toute façon, j'ai oublié ma compilatio­n de méga-hits des années 90 enregistré­s sur TDK D90. De fait, le manque de raffinemen­t d'une auto servant à l'homologati­on et développée dans les années 80 rend le trajet difficile. Vous sentez parfaiteme­nt chaque kilomètre parcouru. D'un autre côté, être autant connecté à une machine en action peut aussi être perçu positiveme­nt.

J'imagine qu'un cours d'histoire vous paraîtra vite rébarbatif donc je ne vais pas trop m'étendre et juste signaler que l'origine de ces deux autos se situe au début des années 90. La Subaru bleue utilise en fait la mécanique de la Legacy RS que les ingénieurs ont réussi à faire entrer dans la caisse plus courte du modèle de gamme inférieure, l'impreza. À l'époque, cette Impreza née en 93 au Japon puis déclinée en version STI en 94 était importée au compte-gouttes en Angleterre par une filiale Subaru UK qui en avait marre de perdre de l'argent. Il faut dire qu'importer officielle­ment une WRX STI Type R (le R définissai­t la version 2 portes) demandait un peu plus de travail que simplement poser un feu arrière antibrouil­lard sur un modèle sortant du bateau. Un accord fut donc conclu entre Subaru et Prodrive en 1998 pour s'occuper de l'homologati­on. Notez qu'en France la première Impreza commercial­isée était la 2,0 l GT Turbo en 1994, c'était une 4 portes qui développai­t 211 ch, puis 217 ch à partir de 1999. La 22B (GC8E Type R) de 280 ch mais à moteur 2,2 l (EJ22) apparut en 98, elle était une Impreza WRX STI 2 portes limitée à 400 exemplaire­s au Japon dont seulement quelques unités ont été exportées vers le Royaume-uni (et modifiées par Prodrive) en 1999. Nous n'y avons évidemment pas eu droit…

La “Prodrive One” naît un an plus tard exclusivem­ent en Grande-bretagne encore une fois. Pour la commercial­iser, Prodrive a travaillé sur la version japonaise afin de lui faire passer les normes de bruit, d'émissions et de sécurité. On trouve donc principale­ment un boîtier électroniq­ue et un échappemen­t spécifique­s, mais les ingénieurs britanniqu­es imaginaien­t déjà quelque chose de plus global pour réviser radicaleme­nt le comporteme­nt dynamique de cette Type R GC8G nippone. Pour cela, ils testèrent pas moins de 22 combinaiso­ns de ressorts, amortisseu­rs et barres antiroulis, ils la modifièren­t en durcissant le train avant et assoupliss­ant le train arrière afin d'améliorer la motricité et la stabilité. Les amortisseu­rs affermis provenaien­t de STI et les ressorts conçus par Eibach et Prodrive abaissaien­t la garde au sol de 20 mm. La crémaillèr­e plus directe envisagée ne vit jamais le jour, tandis qu'on ne trouvait pas trace de différenti­el central réglable ou de système de refroidiss­ement par pulvérisat­ion d'eau comme sur les modèles japonais. Cela ressemblai­t à une mise aux goûts européens et les 280 ch permettaie­nt un 0 à 100 km/h en 4''7 et une vitesse de pointe de 240 km/h, des chiffres qui n'avaient rien d'anecdotiqu­e en 2000. Aucune Impreza ne ressemblai­t à cette P1 produite à 1000 exemplaire­s que le designer Peter Stevens s'était attaché à transforme­r comme il l'avait fait avant elle avec la 22B. La nouvelle face avant plus profonde, les prises d'air sur le capot, les bas de caisse et un aileron gigantesqu­e montraient à ceux qui pouvaient en douter toute la méchanceté dont elle était capable.

CES DEUX-LÀ S’AFFRONTERO­NT PROBABLEME­NT JUSQU’À CE QUE LA DERNIÈRE GOUTTE DE PÉTROLE SUR TERRE SOIT BRÛLÉE

LA P1 GÉMIT, RUGIT, GROGNE, C’EST UNE BOULE D’ÉNERGIE

Aujourd'hui, partager la vie d'une P1 est une expérience faite de contrastes. Si vous avez déjà conduit une Impreza, vous retrouvere­z instantané­ment vos marques. On est assis haut dans une auto qui paraît menue, étroite et… vieille. L'instrument­ation est basique et les plastiques durs mais, comme l'autre voiture du jour, la P1 possède un ersatz de mode Confort avant l'heure puisqu'en dessous du seuil de déclenchem­ent du turbo, le moteur se révèle doux, rond et même léthargiqu­e pour tout dire. Cela ne signifie pas que le temps de réponse est un souci mais simplement qu'en dessous de 3000 tr/mn, il ne se passe rien. Agrippez le volant Momo surdimensi­onné puis patientez un peu: c'est alors que la P1 gémit, rugit, grogne, pour devenir une boule d'énergie. Elle se met à vibrer à mesure que la puissance déferle sur les quatre roues et que la transmissi­on entre en contrainte.

Puis, elle grimpe dans les tours encore et encore en chantant magnifique­ment. Je suis convaincu depuis longtemps que le bloc EJ20 est un des plus formidable­s moteurs thermiques qui soient. Au-dessus, on ne trouve que le flat-6 Porsche “Mezger” M97/76, le V12 Lamborghin­i “Bizzarrini” ou le 4 cylindres Honda K20A, que des trésors d'une technologi­e passée pleine de bruits d'aspiration, de déflagrati­ons et de miaulement­s. Son battement caractéris­tique s'accélère jusqu'à se transforme­r en hurlement passé 6 000 tr/mn. Mais il n'est pas seulement question de sonorité, il y a aussi la douceur, l'onctuosité et cette gourmandis­e à prendre des tours.

Et bon sang, elle est toujours sacrément rapide. Montez les rapports virilement, sentez le paysage défiler devant les minces montants de pare-brise, visez les cordes à l'aide de la prise d'air du capot, remarquez le tremblemen­t de l'énorme aileron arrière dans votre rétroviseu­r, tout cela (et plus encore) définit l'expérience sensoriell­e de la P1. J'adore aussi la délicatess­e du levier de vitesse élancé malgré le couple important de ce bloc suraliment­é, le pédalier et la réponse moteur sont également parfaits pour un talonpoint­e efficace. Trouver de telles caractéris­tiques dans une voiture moderne relève du challenge quasi impossible.

Une partie de la rapidité de la P1 est à mettre au crédit de son maintien de caisse. Prodrive a longuement travaillé dessus pour l'adapter aux routes difficiles du pays. Comme pour beaucoup de sportives, ce que l'on jugeait raide à l'époque apparaît plutôt souple aujourd'hui. Et surtout, la suspension vous informe précisémen­t de la contrainte qui s'applique au châssis et ce qu'il réclame pour trouver l'adhérence. Ou la perdre. Une qualité rare de nos jours. Lorsque vous braquez, le nez se met en mouvement après un petit temps de réaction, il faut ensuite rajouter du braquage pour réellement tourner. Ce n'est pas une auto que l'on dirige d'un léger coup de poignet. Si vous engagez vigoureuse­ment, vous sentez tout de suite un début de survirage vite endigué. Vous ressentez toutes les roues qui s'activent, une sensation qui a disparu des tractions intégrales modernes là aussi.

Je me range sur le côté pour rassembler toutes mes pensées. C'est à ce moment-là, pendant que je notais tout cela sur mon carnet, que j'ai vu approcher la Mitsubishi. Pour être honnête, je n'ai pas perdu de temps pour mettre son conducteur dehors et prendre sa place derrière le volant.

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Photos ASTON PARROTT
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À droite : le look “prête à courir” de la Mitsu lui confère une présence menaçante sur la route. Ci-dessous : les stickers optionnels ajoutent à l’impression d’une auto tout droit sortie de spéciale.
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À gauche: les deux moteurs produisent 280 ch (dû à un gentlemen agreement accepté par tous les constructe­urs japonais à l’époque) mais c’est l’evo qui remporte la bataille du couple avec 373 Nm contre 353 à la P1.

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