Gourmand (Vie Pratique)

Mozzarella et burrata, la crème de l’Italie

la crème de l’Italie À leur seule évocation, ces deux fromages à pâte filée donnent l’eau à la bouche. Pour en découvrir tous les secrets, rien de mieux que de se rendre sur place, là où tout a commencé.

- Par Marine Couturier et Morgane Leclercq

Remonter les origines de la mozzarella et de la burrata nécessite forcément de traverser les Alpes. Il faut même pousser davantage au sud, jusqu’aux belles régions de Campanie et des Pouilles, où l’on s’arrête autant pour profiter de la douceur du climat et de l’amour de la cuisine. L’« oro bianco » (l’or blanc), comme nos voisins méditerran­éens aiment surnommer la mozzarella, est ici encore produite de manière artisanale et fait la fierté des locaux. C’est simple, on a même du mal à imaginer la gastronomi­e italienne sans cette boule de fromage à la couleur porcelaine : crue dans une salade caprese, fondue sur une pizza ou frite dans un sandwich à la manière de la « mozzarella in carrozza », elle accommode une infinité de recettes. Et c’est loin de nous déplaire.

La mozzarella fait partie de ces recettes dont personne ne sait vraiment dater l’invention. Selon les uns et les autres, les versions de l’histoire divergent, mais une majorité s’accordent sur une même légende. Elle raconte que la mozzarella, comme de nombreuses spécialité­s culinaires à travers le monde, serait née d’une simple erreur. Celle d’un moine du monastère de San Lorenzo à Capoue, qui, au XIIe siècle, aurait fait tomber du lait caillé dans de l’eau chaude et découvert l’art du filage. Cette jolie trouvaille est dans un premier temps offerte avec un morceau de pain aux pèlerins de passage, puis, à partir du XIVe siècle, les « mozze » pouvant résister au transport sont vendues sur les riches marchés de Naples et Salerne. La mozzarella reste longtemps un produit de niche, son nom n’apparaît même qu’en 1570, dans un livre de cuisine de Bartolomeo Scappi, cuisinier à la cour papale. Pour la petite histoire, le nom mozzarella viendrait du verbe « mozzare », désignant la découpe manuelle de la pâte filée, faite avec l’index et le pouce. Ce n’est qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle que le fromage à pâte filée se popularise, à la faveur des Bourbons qui installent un grand élevage de buffles dans la propriété royale de Carditello, au nord de Naples.

ENTRE SUCCÈS ET PÂLE IMITATION

Aujourd’hui, son succès a largement dépassé les frontières italiennes ; on s’en régale partout à travers le monde et elle est même le fromage le plus consommé. Le revers de la médaille n’est pourtant pas reluisant : celle, industriel­le, achetée dans le commerce n’a souvent que peu de goût et une texture caoutchout­euse ; elle n’a, la plupart du temps, rien à voir avec le fromage italien. Lait concentré, lait de vache congelé, les grands groupes lésinent sur la qualité pour produire à la chaîne. Les chiffres parlent d’euxmêmes : sur les 3 millions de tonnes fabriquées chaque année en Italie, seules plus de 30 000 le sont dans les règles de l’art, comme c’est le cas de la mozzarella di buffala campana, reine entre toutes. Auréolée par un label DOP depuis 1996 (l’équivalent italien de l’AOP), elle est fabriquée essentiell­ement au nord et au sud de Naples, dans les environs de Caserte et Salerne, mais aussi dans les Pouilles, le Latium et le Molise.

SA BOTTE SECRÈTE

Seul le lait de bufflonne, la femelle du buffle, rentre dans sa compositio­n, auquel on ajoute éventuelle­ment de la présure, de l’eau et du sel ; pour les mozzarella­s au lait de vache, on parle de « fior di latte ». Originaire­s d’Asie, les bufflonnes ont trouvé depuis des siècles une seconde patrie en Campanie. Le climat y est humide et le sol sablonneux, idéal pour leur élevage. Sur les terres vaseuses de la région, on se plaît à observer ces animaux pâturer sous les rayons du soleil : ils se régalent de dizaines de kilos d’herbe, de fourrage et de foin par jour. Ce régime alimentair­e leur permet de fournir quotidienn­ement 6 à 8 litres de lait, soit un rendement bien inférieur à celui de la vache laitière – qui produit plus de 25 litres de lait par jour. Mais le précieux nectar des bufflonnes est plus riche en protéines, en graisses et en calcium, donnant tout son caractère à la fameuse mozzarella, qui requiert pas moins de 10 litres pour un kilo de fromage.

UNE CONFECTION MANUELLE

Observer le travail des artisans fromagers a quelque chose de fascinant. Un moment figé dans le temps, à la manière de ce savoir-faire

séculaire. Sous nos yeux, le lait de bufflonne se transforme peu à peu pour atteindre en quelques heures son aspect final, sous forme de boule, de bille, de tresse ou de noeud dont on imagine déjà se régaler. D’abord filtré, le lait est ensuite chauffé à la vapeur entre 35 °C et 39 °C. La coagulatio­n qui en résulte est accélérée par l’ajout de présure ou de ferments lactiques prélevés sur la production précédente. Le lait caillé est découpé en morceaux puis plongé dans de l’eau très chaude avant qu’intervienn­e la fameuse étape du filage donnant son caractère filandreux, élastique et homogène au fromage.

LE FILAGE

À l’aide d’une écuelle et d’un bâton, l’artisan étire la pâte à plusieurs reprises puis la dépose sur des plans inclinés afin d’en extraire les résidus de petit-lait. Découpée, elle est ensuite façonnée : sous les mains du fromager, elle prend la forme souhaitée et une jointure en croix est apposée sur la pâte ; c’est là le signe de sa fabricatio­n artisanale depuis le XIIe siècle. Reste à la déposer dans de l’eau froide quelques instants pour que sa forme se fige et qu’elle se raffermiss­e. Un léger ajout de sel, et le produit est bon à être consommé. À la découpe, un liquide blanc s’écoule de la masse et une légère odeur de

lait se fait sentir ; la dégustatio­n est immédiate, le plaisir aussi.

LA BURRATA, ENTRE SIMILITUDE ET DIFFÉRENCE

Ces dernières années, la mozzarella a été quelque peu éclipsée par la burrata, sa cousine. À première vue, toutes les deux sont très semblables, mais il suffit de les trancher pour les différenci­er sans peine : en son coeur, la burrata révèle une texture beaucoup plus crémeuse. Son nom est d’ailleurs un dérivé de « burro », littéralem­ent « beurre » ou « beurré », un terme annonciate­ur de ce à quoi on peut s’attendre en la dégustant. On la retrouve aujourd’hui facilement dans les rayons des supermarch­és, de qualités diverses, mais aussi dans les épiceries fines italiennes ou sur la carte de restaurant­s branchés. Cependant, pour découvrir la véritable burrata, mieux vaut encore se rendre dans les Pouilles, son berceau. En moins de trois heures de route, le talon de la botte s’ouvre à nous, authentiqu­e, avec ses champs d’oliviers d’un côté et la mer Adriatique de l’autre. Là, nous est contée l’histoire de la fierté lactée locale.

UNE INVENTION PLUS RÉCENTE

Comme pour la mozzarella, il est difficile de dater exactement la naissance de la burrata, même si celle-ci est beaucoup plus récente.

Une chose est sûre : elle n’est pas le fruit d’une erreur, mais plutôt d’une initiative bien heureuse. C’est un fromager d’Andria qui en aurait eu l’idée, autour des années 1920 et 1930, pour limiter ses pertes. À cette époque, les Pouilles étaient une région pauvre et il était primordial pour les agriculteu­rs d’optimiser au mieux leurs matières premières. Pour ne pas perdre la mozzarella invendue de la veille, le fromager aurait donc pris la décision de la mélanger à de la crème issue de la traite, puis d’insérer ce mélange, appelé « stracciate­lla », dans une feuille de pâte filée pour former une boule. Au vu du résultat, on l’en remercie encore !

UN PLAISIR QUI N’ATTEND PAS

Mozzarella et burrata partagent aussi le point commun d’être fabriquées aussi bien avec du lait de vache que du lait de bufflonne, qui lui donne une texture légèrement plus crémeuse, ou même avec un mélange des deux. C’est cependant la première option citée qui est la plus répandue pour la perle des Pouilles. D’ailleurs, la burrata di Andria IGP, la seule bénéfician­t de ce type d’appellatio­n, est uniquement

au lait de vache, fabriquée à la main. Cette qualité se paye, mais on trouve de la burrata à tous les prix, allant du simple au triple. Une différence qui s’explique par la crème choisie, son pourcentag­e dans le produit fini, et le fait que la stracciate­lla soit faite ou non à la main. Les meilleures burratas sont conservées dans du petit-lait, tandis que, pour limiter les coûts, les autres sont entourées de plastique puis déposées dans de l’eau salée. Dans tous les cas, ce fromage délicat n’attend pas : pour une fraîcheur incomparab­le, la dégustatio­n doit intervenir très rapidement. Sous la chaleur printanièr­e des Pouilles, la burrata offre ce qu’elle a de meilleur. C’est en tout cas l’avis des puristes, pour qui il n’y a pas meilleure période pour la consommer ; en cette saison, les vaches se nourrissen­t d’une herbe nouvelle et grasse donnant un lait riche en corps gras et un goût plus prononcé au fromage.

ET EN CUISINE ?

Pour apprécier au mieux ses saveurs, la burrata se déguste simplement sur un morceau de pain, arrosée d’un filet d’huile d’olive ou à la truffe, agrémentée de quelques feuilles de basilic frais. Pour rester dans la tradition italienne, elle s’ajoute au dernier moment à des pâtes fraîches à la tomate ou sur une pizza. Autre alternativ­e : une belle burrata est excellente sur un lit de coulis de tomate accompagné­e de quelques tranches de speck. Quelle que soit l’option choisie, une chose est sûre, le goût de reviens-y sera forcément de la partie. Pour prolonger le plaisir, nous quittons les Pouilles avec quelques-unes de ces douceurs dans les bagages. Nul doute qu’elles ne resteront pas intactes bien longtemps…

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 ??  ?? Le lait devant être utilisé dans les 24 heures, il est transporté très vite dans les lieux de production­s où il est soumis aux différents contrôles sanitaires et ceux du cahier des charges DOP avant de lancer la fabricatio­n de la fameuse mozzarella.
Le lait devant être utilisé dans les 24 heures, il est transporté très vite dans les lieux de production­s où il est soumis aux différents contrôles sanitaires et ceux du cahier des charges DOP avant de lancer la fabricatio­n de la fameuse mozzarella.
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 ??  ?? C’est toute la différence entre fabricatio­n industriel­le et artisanale : la filature doit se faire à la main pour une texture et un goût incomparab­le en bouche.
C’est toute la différence entre fabricatio­n industriel­le et artisanale : la filature doit se faire à la main pour une texture et un goût incomparab­le en bouche.
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