GP Racing

VINCENT PHILIPPE N° 1

- Par Jean-Aignan Museau.

Incontesta­ble n° 1 de l’endurance depuis près de 10 ans ( sept titres mondiaux), Vincent Philippe se livre dans GP Racing.

Avec huit « titres* » de champion du monde d’endurance, Vincent Philippe a déjà sa place dans la légende du sport moto mondial. Mais l’icône du SERT ne veut pas s’arrêter là. Il nous livre les clés de sa longévité.

« LA VICTOIRE N’A DE VALEUR QUE SI ELLE EST CONQUISE AVEC PANACHE »

Ala base, la moto est un truc fun où il ne faut pas trop forcer pour y arriver. Et comme on ne roule pas si souvent, il est facile de se mettre à glander. Le travail de pilote, c’est un peu spécial » , assène Vincent Philippe en complétant le chargement de son monospace. À côté du vélo de route dernier cri, il glisse une paire de skis de fond. « Chaque pilote est différent face au sport, mais il y a beaucoup de branleurs. C’est l’un des rares sports de haut niveau où tu peux te permettre de ne pas être trop précis dans ta préparatio­n physique. Et ceux qui ont duré, comme les Checa, Gimbert ou Biaggi, ont toujours travaillé en prenant en compte tous les éléments extérieurs » , continue le pilote Suzuki. À 36 ans, rares sont les journées où il ne s’infl ige pas de longues séances d’entraîneme­nt physique. D’aussi longtemps qu’il se souvienne, il a toujours aimé le sport : « Je pense que c’est ancré en moi. Le goût de l’effort m’a toujours été naturel. De la même façon que la drogue ou la cigarette, tu t’y accroches et tu ne peux plus t’en passer... » Au point d’atteindre un niveau plus que correct à vélo – sa première grande passion – et plus récemment en ski de fond. Deux discipline­s qui se marient parfaiteme­nt avec son cadre de vie : « J’ai la chance de vivre entre le Haut Doubs et le “Bas Doubs”. L’hiver, dans la même journée, je peux monter vers 1 000 mètres pour trouver de la neige et redescendr­e aux alentours des 300 mètres pour rouler sur route sèche. » Alors, il bouffe de la borne, que ce soit sur deux roues ou sur deux planches. Comme beaucoup de pilotes de haut niveau, il voue une passion sans limite pour le vélo version asphalte. « Le vélo, c’est presque facile, avec le plaisir du deux- roues proche de la moto. Il faut être prêt physiqueme­nt, c’est très minutieux. Il y a aussi un peu de tactique. En ski de fond, comme à moto, il y a beaucoup plus de facteurs matériels, comme la glisse des skis par exemple. C’est l’un des sports les plus durs et les plus complets. Outre le geste technique qui demande beaucoup de travail, la concentrat­ion est sollicitée afin d’éviter la moindre faute. » Vincent ne cache pas le plaisir qu’il y prend, notamment en s’entraînant avec des athlètes de haut niveau. « Je dispute deux courses par an, dont la Transjuras­sienne. » Une course de 76 kilomètres qui rassemble 5 000 skieurs et qui est le point d’orgue de la saison. À sa troisième participat­ion l’an dernier, il pointait en 110e position. Le 9 février dernier, alors qu’il avait passé sa journée de la veille en test sur la moto, il a décroché la 139e place. Forcément un peu déçu, il explique : « Mais c’est l’objectif de l’hiver qui me permet de garder un cap, de la motivation à l’entraîneme­nt. Bien plus que si je le pratiquais comme un sport de loisir. » Parce que la moto n’est jamais très loin dans son esprit : « Je cherche toujours à être mieux préparé pour être encore plus à l‘ aise dans les moments diffi ciles. Autant lorsque la course se complique, après une chute, lorsqu’il faut rouler à deux, ou tout simplement quand les conditions météo sont diffi ciles. » C’est une force dont il mesure l’impact, et sur laquelle il ne se trompe pas : « Le mental se fait avec le physique. Quand tu n’es pas capable de repousser tes limites pour passer un col à vélo, tu peux être pris de doute au moment de doubler un relais. » Au point de vouloir en faire profi ter ses coéquipier­s en montant, avec la complicité d’Hubert Sournies, le kiné du SERT, une série de stages de préparatio­n, qui ont démarré fi n février : « Nous allons faire quelques tests physiques puis progresser afin d’être prêts pour le Bol. »

BOUFFER DE LA BORNE SUR 2 ROUES OU SUR 2 PLANCHES

Mais cette obsession du physique ne le met pour autant pas à l’abri de baisses de régime. « Les deux dernières années ont été les plus diffi ciles de ma vie et de ma carrière. » Vincent s’est séparé d’Aude, son épouse. « Ce qui se passe à la maison depuis deux ans, même si l’on ne s’en rend pas compte, ça tape sur le système. C’est une vie qui s’arrête. Le plus dur est de l’accepter. Après, on s’adapte. » Faut- il trouver là l’explicatio­n de certaines chutes, comme celle qui l’a privé de disputer les 24 Heures du Mans 2012 ou celle qui a ruiné toutes les chances de victoire pour la Suzuki n° 1 lors des premières heures de course du dernier Bol d’Or ? « Diffi cile à dire mais avec un peu de recul, je pense que je suis rentré dans un principe qui engendre une pression excessive. Quelque chose comme une obligation de résultat. Mon gros défaut est la gourmandis­e, au propre comme au fi guré. J’en veux toujours trop. Au point que si je gagne une course comme le Bol d’Or sans avoir été à 100 %, j’ai comme un goût d’inachevé. » Et quand beaucoup se réjouiraie­nt de la victoire, lui ajoute : « La victoire n’a de valeur que si elle est conquise avec panache. C’est pourquoi j’ai décidé de prendre du recul pour retrouver le droit chemin et ne plus être obsédé par la perfection. » C’est aussi la raison pour laquelle Vincent a décidé de mener un autre programme de compétitio­n, en parallèle de l’endurance, cette année. Faute d’un guidon en Superbike mondial – que son excellente prestation lors de la dernière course de Magny- Cours aurait pu laisser entrevoir –, il s’est tourné vers l’IDM, le championna­t d’Allemagne de vitesse. « Inconsciem­ment, lorsque tu ne disputes que quelques courses dans la saison, l’enjeu te semble plus grand, alors qu’en fait, il est identique. Donc tu

arrives avec plus de pression, parce que tu ne penses qu’à ça. » Et s’il part un peu à l’inconnu en IDM, il est toutefois convaincu du bien fondé de sa décision : « Je ne sais pas ce que vaut la moto, mais je me lance. Rouler à côté va me changer les idées. Piloter une moto différente va me pousser à me remettre en question. Tout ça va me permettre de m’évader. » Un exil qui n’entame en rien la force de sa relation avec le SERT : « C’est la référence. Et c’est pourquoi il est autant copié. C’est de la minutie, de la préparatio­n, de l’expérience, une équipe, une ambiance fraternell­e. » Mais aussi une machine éprouvée : « La moto a cinq ans. En compétitio­n, c’est juste énorme. Elle a été à la pointe. Mais aujourd’hui, la concurrenc­e – BMW et Kawa – a gommé l’écart. On peut gagner une fois par hasard, mais pas quatre ou cinq fois consécutiv­es comme c’est le cas pour la Kawa. C’est grâce au châssis et à l’électroniq­ue. » Ce n’est pas pour autant qu’il condamne sa monture : « On conserve une certaine effi cacité grâce à notre connaissan­ce de ses forces et de ses faiblesses. Mais aussi par notre maîtrise des Dunlop qui sont effi caces, sûrs et confortabl­es dans toutes les conditions. Et si l’on gagne moins aujourd’hui, nous sommes encore souvent devant. » Impossible non plus d’occulter le rôle de Dominique Méliand dans le palmarès de Vincent. « Il est comme la Suzuki : vieux mais toujours performant ! » , lâche- t- il, dans un éclat de rire, avant de dresser une couronne de lauriers au boss du SERT : « Il respecte autant ses hommes que ses adversaire­s. Il prend tout au sérieux, remet les compteurs à zéro chaque année, ce qui lui permet de rester au niveau. C’est un personnage qu’il faut respecter et écouter en course. Et même avec onze années de présence, on peut prendre une “souffl ée” ! » Ni de passer sous silence la dépression que connaît actuelleme­nt l’endurance : « Sur la piste, on essaye de faire le maximum pour offrir un spectacle qui soit sympa. Depuis quelques années, les écarts entre les équipes se sont resserrés et la victoire d’une course d’endurance se joue souvent à la minute. Clairement aussi, la performanc­e de la moto est plus valorisée que celle des pilotes. La preuve, lorsque je fais un résultat en championna­t du monde SBK à MagnyCours, tout le monde est surpris. Alors que j’y démontre seulement que le niveau de pilotage en endurance est bon et que nous ne sommes pas mis suffi samment en avant. » Une remarque enfi n entendue par la FIM qui semble décidée à remettre un titre de champion du monde pilote en endurance. « Mais la crise n’est pas nouvelle et l’on sait que les organisate­urs connaissen­t des diffi cultés. Il y a déjà quelques années que nous n’avons plus de prime d’arrivée. On ne le crie pas sur les toits pour continuer à entretenir le rêve d’une discipline où tout va bien. » De même, il s’insurge devant les concurrenc­es de dates qui empêchent les pilotes d’aller disputer des championna­ts dans d’autres discipline. En revanche, l’idée de s’aventurer dans de nouveaux formats de course – comme des épreuves de 24 heures découpées en trois manches – le chatouille : « Ça ne devrait pas changer le résultat fi nal mais ce sera un nouveau challenge pour tout le monde. » L’arrivée de Honda l’interpelle : « Ils mettent les hommes pour se battre devant. S’ils ne perdent pas un peu de temps dans les stands, ils seront certaineme­nt en mesure de gagner. » En revanche, il ne pleure pas sur le départ de BMW : « Surtout de Bartholémy. Des gens comme lui n’ont rien à faire dans notre sport » , s’énerve- t- il en faisant allusion à un contentieu­x qui les avait confrontés lors d’une course au Qatar. De même qu’il a la dent dure lorsqu’il se fait accrocher dans la presse suite à une chute au dernier Bol d’Or où il avait eu du mal à se relever, ce qui avait déclenché la sortie de la voiture de sécurité et qui avait poussé un plumitif à le comparer un joueur de football italien... Que ce soit dans la vie, à l’entraîneme­nt ou au guidon, l’homme est entier. Sans concession­s. Avec les autres, mais surtout avec lui- même.

« DOMINIQUE MÉLIAND RESPECTE AUTANT SES HOMMES QUE SES ADVERSAIRE­S »

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