GP Racing

WAYNE GARDNER

- Par M. Turco. Photos J.-A. Museau et DR.

Le champion du monde 500 de 1987 suit ses deux fi ls en championna­t d’Espagne. Une visite s’imposait.

Wayne Gardner, en compagnie de ses deux fils, Rémy (à gauche) et Luca. La famille s’est expatriée à Barcelone pour qu’ils puissent participer au championna­t d’Espagne.

Icône de la grande époque des GP 500, Wayne Gardner vit aujourd’hui en Espagne aux côtés de ses fils, Rémy et Luca, qui rêvent de marcher sur les traces de leur père. Une histoire de famille, d’aventure et de passion.

« M’OCCUPER DE MES FILS ÉTAIT LA MEILLEURE CHOSE QUE JE POUVAIS FAIRE POUR TOURNER LA PAGE »

La cinquantai­ne sonnée, Wayne Gardner a replongé. « Je n’ai pas eu le choix » , affi rme l’Australien, sourire contrit et mains écartées pour imager son propos. Comme il y a plus de trente ans, lorsqu’il s’était exilé en Angleterre pour faire ses armes sous les couleurs Honda Britain, l’ancien champion du monde a pris ses valises et quitté Sydney pour rejoindre la vieille Europe. À la différence près qu’il n’a pas débarqué cette fois à Londres, seul et sans le sou, mais en Espagne, en famille, et nanti de l’argent gagné durant sa carrière de pilote. « Je voulais tout simplement donner à mes fi ls la chance que je n’ai pas eue. » Père sur le tard, Wayne Gardner a pris son nouveau job à bras- le- corps. « Les naissances de Rémy puis de Luca sont arrivées pour moi au bon moment, confi e l’homme aux dixhuit victoires en Grands Prix. Ma carrière en automobile tirait sur sa fi n, j’avais besoin de passer à autre chose. M’occuper de mes fi ls était la meilleure chose que je pouvais faire pour tourner la page. » Il dit pourtant n’avoir jamais cherché à ce que ses fi ls marchent dans ses pas. « Je leur ai donné des raquettes et des clubs de golf, mais l’un comme l’autre ont préféré le guidon d’une moto. Que pouvais- je faire ? Je n’oublierai jamais le jour où Rémy a participé à sa première course en Australie et qu’il m’a dit, en enlevant son casque : “Papa, c’est le truc le plus génial que j’avais encore jamais fait ! J’aurais voulu que ça ne s’arrête jamais !” Depuis ce jour, je me suis promis de l’aider à réaliser son rêve. » C’est ainsi que la famille Gardner s’est installée du côté de Sitges, au sud de Barcelone. Depuis longtemps incontourn­able pour les pilotes européens, le championna­t d’Espagne est aussi devenu un passage obligé pour les pilotes australien­s. « Chez nous, rien ne bouge, déplore Wayne. On a dix ans de retard parce que la fédération australien­ne ne s’est jamais adaptée à ce qui se fait aujourd’hui ailleurs. Elle n’a jamais suivi la réglementa­tion européenne qui permet aux jeunes de débuter très tôt en vitesse sur de vrais circuits avec de vraies motos.

WAYNE S’EST EXPATRIÉ POUR FAIRE ROULER SES FILS

En Australie, il n’y a ni détection, ni formation et du coup, il est très diffi cile de trouver des budgets pour courir. Ce n’est pas demain que nous aurons un nouveau champion du monde MotoGP. » Comme Stoner parti en Europe à quatorze ans pour pouvoir s’initier à la vitesse, Wayne Gardner a donc pris ses fi ls sous le bras pour les faire rouler dans les championna­ts espagnols. Rémy a commencé en 2012 dans le championna­t méditerran­éen Pré- GP sur une moto de l’équipe Monlau Competicio­n avant de rouler la saison suivante en Moto3 pour le team Calvo. En ayant seulement marqué des points à trois épreuves, il a dû se contenter d’une seizième place au classement général. « Il a tout de même terminé troisième de la course en championna­t d’Europe, ajoute son père. À sa décharge, notre installati­on en Espagne n’a pas été facile. En 2013,

« EN ESPAGNE, LUCA VISE LE TITRE PRÉ-GP CETTE ANNÉE, ET RÉMY CELUI DU MOTO3 »

j’ai voulu monter mon équipe, mais le sponsor qui devait me suivre nous a plantés et on s’est retrouvé avec de gros problèmes d’argent. J’ai dû vendre une affaire en Australie pour nous renfl ouer et retrouver un guidon à Rémy. Il y a eu un moment compliqué où on manquait vraiment de cash. » Si compliqué que le couple Gardner s’est même séparé. Toni a gardé la maison de location avec ses fi ls, et Wayne s’est installé un peu plus loin dans un studio. « On reste tout de même proches » , précise le père visiblemen­t marqué par les événements. Malgré les secousses, la famille garde le cap. Rémy va remettre cette année le couvert en Moto3 et Luca participer­a à sa seconde saison dans la catégorie Pré- GP. Troisième l’an dernier, le cadet des Gardner visera le titre en 2014, tout comme son frère dans la classe supérieure. « C’est toujours diffi cile de rester objectif quand on parle de ses enfants, glisse Wayne. J’essaie néanmoins de le faire, et je pense vraiment que l’un et l’autre ont du potentiel. C’est encore un peu tôt pour Luca, mais Rémy a déjà fait des choses intéressan­tes. Il a gagné en dirt- track en Australie, il apprend vite. Les débuts en Espagne n’ont toutefois pas été faciles car, contrairem­ent à ses adversaire­s, il n’avait jamais piloté sur de vrais circuits de vitesse, et il n’était pas à l’aise dans le rapide...

« RÉMY A DÉJÀ GAGNÉ EN DIRT-TRACK, IL APPREND VITE »

Mais il apprend vite, il écoute, et il est vraiment déterminé. Après, le fait que je sois son père ne joue pas toujours en sa faveur. Déjà, quand il courait en dirttrack en Australie, on le suspectait d’avoir toujours du meilleur matériel que les autres. Je ne crois pas que ce soit un avantage de vivre dans l’ombre d’un père qui a été champion du monde. Je peux leur ouvrir la porte, mais je ne peux pas piloter à leur place. » Quoi que l’avenir leur réserve, Wayne sait que le temps passé en Espagne ne sera pas perdu pour ses fi ls. « Quand j’ai débarqué en Angleterre à 21 ans, j’avais les yeux qui brillaient, se rappelle l’Australien. Je découvrais l’Europe, une culture différente, c’était génial, ça m’a beaucoup apporté en m’ouvrant l’esprit. Rémy et Luca ont aujourd’hui la chance de découvrir une autre vie que celle qu’ils auraient eue s’ils étaient restés à Sydney. Ils parlent espagnol, ils vont à l’école avec des gamins qui viennent des quatre coins du monde... Tout cela ne peut que les enrichir et leur servir pour la suite de leur vie. Et puis quand tu pars à 12 000 km de chez toi pour essayer de réussir quelque chose, tu deviens forcément plus fort. » Aujourd’hui père modèle, Wayne Gardner fut en son temps le héros de toute une nation. Premier Australien champion du monde en 1987, le natif de Wollongong, en Nouvelles Galles du Sud, a en effet été celui qui a rendu la moto populaire dans son pays. « Disons que j’ai aidé la moto à se défaire de la mauvaise image qu’elle avait chez nous, nuance- t- il. J’ai permis au grand public de découvrir la course car la télé australien­ne

« ILS FONT DE LA MOTO, DU SURF, DE LA MUSIQUE : ILS ONT LES BASES POUR RÉUSSIR ! »

a commencé à s’intéresser aux Grands Prix avec moi. Je savais que c’était une clé, et c’est quelque chose dont je suis fi er et heureux. J’ai toujours été sensible à l’image que je pouvais donner. Mon modèle, c’était Graeme Crosby. Je me suis entouré d’un attaché de presse pour m’aider à communique­r, tout en restant toujours accessible et sympa avec le public. Aujourd’hui, les Grands Prix sont devenus très profession­nels. C’est bien, dans le sens où ce sport est de plus en plus populaire, mais c’est néanmoins dommage que nous ayons perdu un peu de cette proximité avec les fans. Le MotoGP manque aussi de fi gures et de personnali­tés. Hormis Rossi et Crutchlow qui dégagent quelque chose de fort avec un côté “old school”, tous les pilotes ressemblen­t à des clones trop parfaits. Tous ces garçons devraient être davantage eux- mêmes. Cela irait dans le bon sens. » Comme Mick Doohan et Casey Stoner après lui, Wayne Gardner a marqué son sport autant par ses résultats que par sa personnali­té. « Les Australien­s sont peut- être moins formatés, avance- t- il. Chez nous, il n’y a pas de schémas établis, chacun choisit sa route, sa façon de faire. On fait les trucs comme on le sent, et c’est ce qui permet de s’amuser et de durer. » Vainqueur de dix- huit GP et champion du monde 500 en 1987, Wayne Gardner pense qu’il aurait pu se faire un autre palmarès s’il avait accepté la propositio­n de Kenny Roberts pour courir chez Yam’ en 1989.

« J’AURAIS EU 3 OU 4 TITRES DE PLUS EN SIGNANT AVEC KENNY »

Il m’en reparle chaque fois qu’on se voit, s’amuse l’Australien. Il me dit que si je lui avais dit oui, j’aurais aujourd’hui trois ou quatre titres de plus. J’ai fait une erreur en voulant rester fi dèle à Honda alors que le HRC venait d’engager Eddie ( Lawson) sans me le dire. » Avec l’Américain dans la bergerie, Wayne va perdre le fi l. « J’étais sous pression et j’ai un peu fait n’importe quoi, raconte Gardner. Je suis tombé, je me suis blessé et j’ai perdu confi ance. Après, à chaque fois que je remontais la pente, une nouvelle galère me tombait dessus. En signant chez Yamaha, j’aurais eu une moto plus facile et cela m’aurait certaineme­nt fait du bien. » Quand il a pris sa retraite en 1992 à la suite d’une énième blessure, Wayne a fait une belle carrière sur quatre roues, en Australie puis au Japon. « La moto, c’est une addiction, dit- il. Si je n’avais pas eu l’occasion de courir en auto, je serais sûrement reparti en SBK alors que je n’avais vraiment plus envie de me faire mal. Ce fut un bon moyen de faire la transition. » Aujourd’hui rattrapé par son passé, l’ex- champion du monde 500 garde les pieds sur terre, pour lui comme pour ses gamins. Mieux que quiconque, Gardner sait combien la route est longue et diffi cile vers ce sommet dont rêvent Rémy et Luca. « Quoi qu’il arrive, conclut- il avec un large sourire, ils ont d’ores et déjà la base pour s’en sortir dans la vie. Ils savent faire de la moto, du surf et de la musique. » Les fondamenta­ux de l’Australian Way of Life.

Newspapers in French

Newspapers from France