GP Racing

ESPARGARO BROTHERS

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Pol et Aleix Espargaro roulent tous les deux en MotoGP cette saison. En véritables frères d’armes.

À 24 et 22 ans, Aleix et Pol Espargaro se retrouvent cette année adversaire­s dans le championna­t MotoGP. Une première pour ces deux frangins inséparabl­es qui nous ont reçus, chez eux, à Granollers en Espagne, pour nous conter leur complicité.

« PERSONNE NE PEUT SE RENDRE COMPTE DE CE QUE NOUS VIVONS EN TANT QUE PILOTES »

Ces deux- là font la paire. Et ça ne date pas d’hier. Pourtant nés à deux ans d’intervalle, Aleix et Pol Espargaro auraient pu être jumeaux. Il suffi t de les voir se marrer en permanence quand ils racontent leur histoire, ou encore les observer vivre sur un week- end de Grand Prix pour mesurer leur formidable complicité. Des dix- sept courses qu’a comptées le dernier championna­t du monde Moto2, Aleix n’a loupé aucun départ du muret de la voie des stands, priant à chaque fois, médaille religieuse aux lèvres, pour que son cadet rallie l’arrivée sans encombre et si possible en première position. Campés dans le garage du frangin durant les séances de qualifi cation, les deux Espargaro ont aussi souvent donné l’an dernier du grain à moudre aux caméras. Quitte à en faire un peu trop ? Aleix s’en défend : « Je me moque de ce que pensent les gens. Dans ma carrière, j’ai fait pas mal d’erreurs parce que j’ai toujours fait les choses comme je le sentais, sans toujours suffi samment réfl échir. Je n’ai rien calculé, et ça a toujours été pareil avec mon frère. Je suis quelqu’un de spontané, je ne regarde pas si je me trouve près d’une caméra ou s’il y a un journalist­e près de moi quand j’encourage Pol. » Pour ce dernier, cette proximité avec son frère aîné a toujours été une aide précieuse. « Je crois que personne ne peut se rendre compte de ce que nous vivons en tant que pilotes, glisse le champion du monde Moto2 en titre. La pression est vraiment forte, et nous avons tous besoin d’avoir autour de nous des gens pour nous aider, nous soutenir, nous encourager... À la télé, on voit le show, le champagne sur le podium, les belles fi lles sur la grille... Ça, c’est l’un des aspects de la course. Le reste, c’est du travail, des sacrifi ces, c’est dur. C’est pourquoi nous avons tous besoin d’une personne de confi ance pas très loin. Et pour moi, cette personne, ces deux dernières années, ça a été mon frère. »

« POL A CHANGÉ. IL EST AUSSI NERVEUX QUE MOI ! »

Cette année, Pol va pourtant devoir se passer de son grand frère. Pour la première fois de leur histoire – ils avaient attaqué la saison 2007 ensemble en 125, mais Aleix était vite passé en 250 pour remplacer Porto –, les deux Catalans vont en effet disputer le même championna­t, et par la force des choses se retrouver adversaire­s. « Ce sera une année diffi cile, annonce le benjamin. Pour moi, courir dans la même catégorie que mon frère, ce n’est pas génial. Quand tu doubles un adversaire et que c’est ton frère, tu prends forcément moins de risque. Inconsciem­ment, tu es un peu sur la retenue parce que tu n’as pas envie de faire d’erreur. Maintenant, pour toute la famille, c’est un peu un rêve qu’Aleix et moi nous retrouvion­s aujourd’hui en MotoGP. On va donc essayer d’être à la hauteur. » Pour Aleix, en revanche, le fait que Pol ne prenne pas de départ avant le sien devrait l’aider à moins stresser. « Disons qu’il y aura deux aspects, avance- t- il. Pour moi, la vie sera plus cool, notamment

POL : « QUAND TU DOUBLES UN ADVERSAIRE ET QUE C’EST TON FRÈRE, TU PRENDS MOINS DE RISQUE »

ALEIX : « LA VIE SERA PLUS COOL LES JOURS DE COURSE »

les jours de course. Jusqu’à présent, j’avais en effet du mal à me relaxer avant de monter sur la moto. Pendant le Moto3, la pression montait parce que je savais que Pol allait prendre le départ du Moto2, j’étais encore plus tendu pendant sa course quand arrivait mon tour. Cette année, je vais pouvoir profi ter du Moto3 et du Moto2 en regardant les bagarres tranquille­ment dans mon motorhome. Après, sur la piste, ce sera évidemment une autre affaire. Pol est champion du monde Moto2, il intègre l’une des meilleures équipes MotoGP et il aura une moto d’usine, ce qui ne sera pas mon cas. Même si je fais le maximum, je sais que ça ne sera pas facile de le battre. » Contrairem­ent à son frère champion du monde, qui a signé un contrat avec l’usine Yamaha et fera ses débuts en MotoGP avec l’équipe Tech3 au guidon d’une M1 offi cielle, Aleix Espargaro devra se contenter d’une FTR Yamaha engagée en classe Open par le team italien Forward. Même s’il s’est battu pour obtenir cette place et qu’il a pour cela dû s’acquitter d’un coûteux bon de sortie auprès d’Aspar Martinez avec qui il était sous contrat et qui lui proposait pourtant une Honda RCV1000R, le champion CRT sait que les diffi cultés l’attendent. Mais il s’y est préparé : « J’ai pas mal discuté avec Nakajima, le patron du service course Yamaha, durant la saison 2013, et il m’a convaincu de la solidité de son projet. Quand tu fais un choix, il faut y aller à fond. À Valence, lors des premiers tests de novembre, j’étais plus vite que Hayden avec la Honda d’une bonne demisecond­e. Je suis sûr qu’en classe Open, la Yamaha sera plus performant­e que la Honda. Après, pour espérer chatouille­r les usines, il va falloir que Magneti Marelli fasse progresser son matériel. J’avoue que je m’attendais à beaucoup mieux au niveau de l’électroniq­ue. Pour l’instant, elle n’est pas au niveau. Par rapport à l’Aprilia, notre Yamaha est super en moteur et en partie- cycle, mais côté électroniq­ue, il y a vraiment du boulot. »

« ALEIX EST INFERNAL ! UNE VRAIE PILE ÉLECTRIQUE »

Pas grave. Le travail, ça ne lui fait peur. Depuis qu’il court en Grands Prix, Aleix n’a jamais eu la partie facile. Son parcours en atteste avec de fréquents changement­s de catégorie. « Il n’y a que ces deux dernières années que j’ai connu un peu de stabilité, explique- t- il. Cela m’a aidé à me retrouver meilleur pilote CRT. » Pour Pol, le parcours d’Aleix est à l’image de sa personnali­té. « Il est infernal ! Il a toujours été surexcité, résume le benjamin. À six ans, il était déjà super nerveux. Il ne tenait pas en place, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Il ne peut pas rester assis dans un canapé plus d’une heure pour regarder un fi lm. Il faut toujours qu’il fasse quelque chose, c’est une vraie pile électrique. » À ces mots, l’aîné se marre. « Pol a beaucoup changé, plaisantet- il. Petit, il était calme, timide, rêveur, toujours dans son monde. Il semblait vivre loin de la réalité. Je me souviens aussi qu’il dormait tout le temps. Quand on partait faire de la moto, il dormait dans la voiture à l’aller et au retour. Petit à petit, il s’est réveillé et maintenant, il est quasiment aussi nerveux que moi ! » Bien évidemment, les deux frangins ont découvert les joies de la moto au plus jeune âge, grâce à leur père, pilote amateur à ses heures. « On allait dans un champ du côté de L’Ametlla del Vallès, près de là où nous vivions à cette époque, fait mine de se souvenir Pol. Ma première moto était une Lem. J’ai eu ensuite une Polini. Elle était verte. » Aleix a lui eu droit à une Macatecno : « On avait la chance de pouvoir rouler très souvent. Notre père nous a appris à rouler et il nous a entraînés jusqu’à ce que nous volions de nos propres ailes. » Pol a aussi joué au football. Gardien de but de l’équipe de son village, il a fi ni par choisir la moto, comme son grand frère. Aujourd’hui, même s’ils ont quitté la maison familiale, tous les deux sont restés très proches de leurs parents et de leur soeur. « On ne les voit malheureus­ement pas assez souvent compte tenu de tous nos déplacemen­ts » , regrette l’aîné qui va bientôt s’installer du côté d’Andorre. Il y a deux ans, Aleix et Pol vivaient encore ensemble. « On partageait une grande maison, raconte le premier. On avait chacun notre appartemen­t et notre garage. Mais Pol trouvait que ça lui coûtait cher, alors maintenant il vit dans un studio où il ne peut même pas ranger toutes ses affaires. C’est pour cela qu’il remplit mon garage. » Unis comme les doigts de la main, les deux Espargaro se réjouissen­t du nouveau challenge qui les attend l’un et l’autre, mais ils sont aussi conscients qu’ils auront du mal à revivre l’intensité de la saison 2013. « Mon titre de champion du monde restera sans nul doute le truc le plus fort que nous aurons vécu ensemble, affi rme Pol. C’est arrivé comme la récompense de tant d’efforts et de travail... C’était un moment extraordin­aire. » L’aîné en convient : « Ce titre, je le savoure autant que Pol. Je l’ai tellement soutenu que je suis vraiment très fi er de lui. Mais au- delà de cette récompense, il y a eu aussi tout ce que nous avons vécu ensemble au cours de ces deux dernières saisons. Lui qui s’est battu avec Marquez en 2012 avant de conquérir le titre cette saison, et puis moi qui ai fait deux belles années avec le team Aspar pour fi nir à chaque fois meilleur pilote CRT. » Quoi qu’il arrive cette année, rien ne pourra les priver de ces merveilleu­x souvenirs. « C’est sûr qu’en 2014, les choses vont être un peu différente­s, conclut Pol. Mais nous sommes avant tout deux frangins. Notre relation est vraiment très forte, et je sais très bien que nous ferons la part des choses entre la course et le reste. »

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