GP Racing

ITW LUIGI DALL’IGNA

L’OPEN, C’EST LA LIBERTÉ DE POUVOIR DÉVELOPPER NOTRE MOTO

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Le nouveau responsabl­e de la compétitio­n chez Ducati s’est confi é dans GP Racing.

Nouveau patron du service course Ducati, Gigi Dall’Igna n’a pas mis longtemps à imposer son style du côté de Borgo Panigale. En choisissan­t d’engager ses machines dans la nouvelle classe Open, l’Italien a rappelé qu’il était aussi habile pour dessiner une moto que pour avancer ses pions sur l’échiquier du MotoGP.

Livio Suppo et Shuhei Nakamoto estiment que Ducati et Yamaha ne respectent pas la philosophi­e qui a conduit à la création de la classe Open...

On parle beaucoup trop de philosophi­e. Il existe des règles que tout le monde doit respecter, un point c’est tout. Moi ce que je vois, c’est que Yamaha a fait du bon boulot avec sa M1 version Open. Le team Forward a aussi la chance d’avoir un très bon pilote. Je connais bien Aleix ( Espargaro), et je ne suis pas surpris des chronos qu’il réalise depuis le début des tests.

Et le fait que Ducati s’engage en Open avec une équipe officielle ?

Encore une fois, il y a un règlement, et nous le respectons.

Suppo estime que le software Dorna est beaucoup plus sophistiqu­é qu’il ne devait l’être au départ...

Tout le monde est invité à participer au développem­ent de l’électroniq­ue Magneti Marelli. Ducati le fait et nous sommes heureux de pouvoir partager notre travail avec tous ceux qui utiliseron­t ce software. Le principe, c’est que tout le monde dispose de la même chose. Les Honda du team Aspar seront équipées de la même électroniq­ue que nos D16.

Pourquoi ne pas avoir dissocié les quatre pilotes Ducati en en inscrivant deux en Open et deux en « Factory » ?

Parce que je suis dans ce milieu depuis très longtemps et je suis convaincu qu’il ne faut jamais suivre qu’un seul pilote, qu’une seule direction. Les statistiqu­es sont très importante­s quand on fait du développem­ent. C’est pour cela que je tiens à avoir plusieurs opinions avec des pilotes différents.

Pourquoi avoir fait ce choix de l’Open ?

Parce que c’était la seule solution pour obtenir la liberté dont nous avons besoin pour développer notre moto. Andrea ( Dovizioso) et Cal ( Crutchlow) ont fait de bons essais en Malaisie, mais nos progrès sont insuffi sants pour espérer battre Honda et Yamaha.

Quels sont, selon toi, les désavantag­es de rouler en Open ?

C’est diffi cile à dire parce que, pour l’instant, nous n’avons pas encore fait beaucoup de kilomètres avec le software Dorna. Nous n’avons pas non plus essayé le pneu tendre que l’on peut utiliser en Open. Pour l’instant, je dirais qu’il y a entre les deux une différence au tour de l’ordre de 0,2 à 0,3 seconde. L’écart sera bien évidemment plus important sur la durée d’une course. Mais bon, je suis persuadé qu’il y a moyen de trouver une bonne balance entre les avantages et les inconvénie­nts de rouler en Open.

Comment Dovizioso et Crutchlow vivent ce choix ?

Je crois pouvoir dire que l’un et l’autre font confi ance au staff. Ils savent pourquoi nous avons pris cette décision.

Tu penses qu’il y a moyen pour une Open de gagner une course cette saison ?

Avant de penser à gagner une course, nous devons nous concentrer sur le développem­ent de notre machine. Nous sommes dans la bonne direction, et si nous continuons comme ça, nous pourrons obtenir de bons résultats.

Comment te sens-tu à la tête du service course Ducati ?

Je suis vraiment heureux des progrès que nous avons réalisés durant les essais hivernaux. Je ne m’attendais pas à ça. On a encore beaucoup de travail, mais c’est important de voir les pilotes et les technicien­s sourire. C’est même très important.

Comment as-tu réussi à faire mieux en trois mois que ton prédécesse­ur en un an ?

( Il rit) Franchemen­t, j’ai travaillé tout à fait normalemen­t.

Je n’ai rien fait de spécial. J’ai passé beaucoup de temps à analyser toutes les données et les infos à ma dispositio­n, j’ai discuté avec tout le monde, j’ai cherché à comprendre... À partir de là, j’ai essayé d’améliorer les réglages de la moto. C’est tout.

Tu te retrouves pourtant avec une moto très différente de celles que tu as conçues jusque-là...

Oui, c’est vrai, mais une moto reste une moto. Et une moto de Grands Prix possède d’innombrabl­es possibilit­és de réglages. Il y a mille solutions quand on est face à un problème. L’important, c’est de bien réfl échir avant de choisir la direction à suivre. Pour l’instant, j’essaie d’aider nos pilotes à se sentir mieux sur la moto. Et cela ne passe que par les réglages.

Jusqu’où penses-tu pouvoir aller avec la GP14 telle qu’elle existe aujourd’hui ?

C’est diffi cile à dire. Nous n’avons pas roulé sur suffi samment de circuits pour que je me fasse un avis sur la question. Il faudra voir comment les solutions trouvées en Malaisie vont fonctionne­r ailleurs. Sepang est un circuit particulie­r, aussi bien pour les températur­es qu’on y rencontre que pour son grip ou son tracé. J’ai d’autres idées en tête, on verra. Et à côté de ça, je dois développer une toute nouvelle moto pour la saison prochaine.

Depuis des années, les pilotes Ducati se plaignent d’un problème de sous-virage récurrent et d’un moteur toujours difficile à exploiter en sortie de virage. Est-ce toujours le cas ?

Oui, ce sont nos deux préoccupat­ions actuelles. On a modifi é les réglages du moteur, et aussi travaillé sur la géométrie et la répartitio­n du poids de la partie- cycle. Nous n’avons pas résolu les problèmes mais nous avons sensibleme­nt amélioré le comporteme­nt de la moto. Je pense que l’on peut faire encore un mieux.

Ton projet de nouvelle moto est-il d’ores et déjà lancé ?

Non, il le sera après les trois premiers Grands Prix. D’ici là, je veux récupérer un maximum d’infos, des infos dont j’ai besoin pour jeter les bases de ce nouveau projet. Jusqu’au mois de mai, la feuille restera blanche.

S’engager en classe Open, c’est aussi pouvoir développer une nouvelle moto...

Exactement. Il y a trop de restrictio­ns avec le règlement réservé aux usines. C’est impossible de combler le retard, surtout pour une petite structure comme la nôtre.

Ce que tu as découvert à Bologne à ton arrivée chez Ducati correspond-il à ce que tu t’attendais à trouver ?

Franchemen­t, je suis plus optimiste et confi ant depuis que je connais les personnes qui travaillen­t chez Ducati et font partie de ce projet. Je suis vraiment très content de ce que j’ai trouvé en prenant mes fonctions.

Quitter Aprilia pour Ducati, ça ne doit pas être un choix facile pour un ingénieur italien...

Effectivem­ent, cela n’a pas été une décision facile à prendre, même s’il m’était diffi cile de refuser ce nouveau challenge. J’ai gagné beaucoup de choses avec Aprilia, en 125, en 250, en Superbike, en Supermoto... Le seul championna­t qui me manque, c’est le MotoGP, et pour relever ce défi , l’unique possibilit­é était de rejoindre Ducati.

Aprilia a pourtant confirmé son retour en MotoGP en 2016. Pourquoi ne pas avoir attendu ?

Je serai très heureux si Aprilia revenait en MotoGP mais pour l’instant, je reste convaincu que la meilleure possibilit­é était pour moi d’aller chez Ducati.

En 2003, Ducati a réussi à gagner des courses dès sa première saison en MotoGP. La Desmosedic­i a par la suite toujours figuré sur le podium, jusqu’à ces dernières années où tout est devenu compliqué. Quelle est ton idée sur la question ?

C’est diffi cile pour moi de parler de ça dans la mesure où je viens juste d’arriver. Tu ne peux pas comprendre ce qui se passe quand tu n’es pas dans la place.

Ne crois-tu qu’ayant été conçue à une époque où le règlement technique permettait plus de choses, sans manufactur­ier de pneus unique, la Desmosedic­i est aujourd’hui trop handicapée face à ses rivales ?

Non, je ne pense pas que cela soit le problème.

IL FAUT TROUVER DES SOLUTIONS. L’OPEN ET L’EVO PEUVENT AIDER LE SPORT MOTO

As-tu carte blanche pour dessiner la prochaine Ducati ? Vas-tu être obligé de conserver certains choix techniques historique­s, comme la distributi­on desmodromi­que ?

Le plus important, c’est la victoire. À partir de là, nous devons créer ce dont nous avons besoin pour gagner.

Tu as vraiment les mains libres ?

Oui, je crois... Je n’en serai certain que lorsque j’aurai obtenu ce que je vais demander.

Le contrat avec Philip Morris arrive à échéance en fin d’année. À une époque où tout le monde veut faire des économies, ne crains-tu pas de perdre ce gros budget compte tenu des mauvais résultats de ces dernières saisons ?

Non, je suis confi ant. Nous entretenon­s de très bonnes relations avec eux, et je pense que nous pourrons continuer à travailler ensemble sur le long terme.

De nombreux pilotes arrivent également en fin de contrat avec leurs actuels employeurs. Qui aimerais-tu recruter ?

Pour l’instant, je suis très content de mes pilotes. Notre priorité est d’améliorer notre moto, je pense que nous avons les gars pour le faire. Dovi est un super pilote, je le connais bien, et je n’ai pas oublié quel adversaire il était face à Lorenzo en 250. En 2006, il nous a donné du fi l à retordre jusqu’au dernier Grand Prix.

Si la priorité de Ducati est plus que jamais le MotoGP, pourquoi avoir choisi de reprendre en mains propres l’équipe Superbike ?

Parce que le Superbike a énormément fait pour le prestige de Ducati. C’est une compétitio­n importante pour l’image de la marque, et pour y faire des résultats, nous avons jugé qu’il fallait reprendre la gestion du programme en direct afi n de tout contrôler à 100 %.

En tant qu’ingénieur, quel regard portes-tu sur l’évolution du sport moto avec la classe Open en MotoGP, la classe Evo en Superbike ?

Pour un technicien, le rêve c’est d’avoir une liberté absolue pour développer tous les paramètres de la moto. Mais je suis lucide, je sais que nous sommes dans une période où il est diffi cile de trouver des budgets pour courir, développer le matériel et payer les pilotes. Il faut trouver des solutions, et je pense que l’Open et l’Evo peuvent aider le sport moto.

Cela semble néanmoins compliqué de satisfaire tout le monde...

C’est toujours diffi cile de contenter les uns et les autres. Je trouve toutefois que les solutions proposées par la Dorna sont équilibrée­s.

Honda menace de quitter le MotoGP si tout le monde est contraint de passer en Open. Qu’en penses-tu ?

Honda est un acteur majeur de ce sport, ça serait dommage qu’ils quittent la compétitio­n. Mais leur politique les regarde...

Tu ne trouves pas quand même que les règlements changent beaucoup trop souvent ? Au final, plus personne ne s’y retrouve...

Je suis de ceux qui pensent qu’il faut bien réfl échir avant de prendre une décision. Aujourd’hui, à une époque où il faut réduire les coûts, je pense qu’effectivem­ent, il est important d’établir des règles sur le long terme. Mais je reconnais qu’entre le besoin de remplir la grille et de proposer du spectacle, tout cela est devenu bien compliqué.

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