CROCODILE GARDNER UN SACRÉ CARACTÈRE
Champion du monde 500 en 1987 et vainqueur de dix-huit Grands Prix, Wayne Gardner est devenu un héros national dans son Australie natale où il a hissé le sport motocycliste au rang de discipline majeure.
Suzuka, dimanche 29 mars 1992. Depuis le petit jour, la pluie arrose imperturbablement la scène du premier Grand Prix de la saison. Le nez en l’air, Wayne Gardner prend la mesure des éléments tandis que ses mécaniciens ôtent les couvertures chauffantes qui maintiennent ses pneus en température. Autour de l’Australien, les photographes font crépiter leurs fl ashes. Ils sont nombreux aujourd’hui à vouloir s’approprier le portrait de celui qui fut cent fois enterré et toujours ressuscité. Fort de sa place sur la première ligne de la grille de départ, Gardner bombe le torse et dévisage les mécréants. Dans sa poitrine gonfl e cette formidable fi erté qui lui a toujours permis de surmonter les misères qui n’ont pas manqué d’émailler sa carrière. Désormais sous la houlette d’Erv Kanemoto, le pilote Honda a rajeuni de dix ans et se sent prêt pour un second titre. Oubliées les tensions avec Doohan, terminées les blessures aux guérisons capricieuses. Quand le feu passe au vert, l’orgueil devient féroce détermination. Trois tours plus tard, l’Australien perd le contrôle de sa machine qui se couche dans une gerbe d’eau. La bulle de carénage arrachée et la selle brisée de la 500 NSR n’altèrent pas la volonté du pilote qui époussette son destrier pour repartir à l’attaque. Survolté, il remonte jusqu’à la sixième place quand sa moto l’envoie une seconde fois au tapis. Cette fois, la longue glissade se termine contre un rail de sécurité. Double fracture de la jambe droite, Wayne Gardner ne décrochera pas un nouveau titre de champion du monde. Et même s’il parviendra à s’offrir un dernier
GRÂCE À WAYNE, LA PREMIÈRE ÉPREUVE DE PHILLIP ISLAND ATTIRE 90 000 SPECTATEURS
succès à Donington, quatre mois plus tard, l’Australien sera contraint à prendre sa retraite en fi n de saison. Avec dix- huit victoires au compteur, le beach boy de Wollongong peut quitter l’arène la tête haute. Né le 11 octobre 1959 en Nouvelles Galles du Sud, Wayne Gardner a vécu ce que l’on peut appeler une enfance tranquille et confortable. Fils d’un amateur de motocyclisme, il est très rapidement initié au pilotage des deux- roues. Quelques courses en tout- terrain suffi sent à lui donner le goût de la compétition. Après avoir remporté les Swann Series en 1981, il doit s’expatrier pour donner suite à sa carrière. À l’époque, l’Australie n’intéresse guère les constructeurs japonais qui n’ont d’yeux que pour les pilotes américains, nouvelles stars du Continental Circus. Comme d’autres avant lui, Gardner rejoint l’Angleterre pour tenter sa chance et trouver un guidon susceptible de lui ouvrir la porte des Grands Prix. Déraciné et sans le sou, il erre de circuit en circuit au volant d’une vieille Austin, mettant toutes ses primes dans la machine avec laquelle il participe au championnat Superbike TTF1. Sa fougue et sa combativité lui permettent de décrocher son premier titre dans cette discipline en 1982. Tout en remettant sa couronne en jeu, l’Australien, qui ne rêve que de Grands Prix, participe sans succès à quelques manches du championnat du monde l’année suivante. Malgré tout, fort du soutien des patrons de Honda Britain, il récupère une Honda NS trois- cylindres en 1984. Sans complexe, Wayne monte sur son premier podium en Suède et termine à la septième place du classement général. Ce résultat lui vaut de devenir en 1985, avec Mamola, Haslam,
AUSSI CÉLÈBRE QUE PAT CASH ET JOHN BERTRAND !
De Radiguès et Katayama, l’un des cinq lieutenants de Freddie Spencer. Bien qu’il ne décroche aucune victoire cette année- là, Gardner termine quatrième du championnat derrière Spencer, Lawson et Sarron. En 1986, il profi te des problèmes de santé de « Fast Freddie » pour devenir le fer de lance du HRC. Avec trois victoires, il termine deuxième du championnat derrière Eddie Lawson et s’annonce comme le favori de la saison 1987. Au guidon d’une Honda NSR quatrecylindres désormais impériale, l’Australien obtient sept victoires et ne loupe le podium qu’à trois reprises. Champion du monde, il ne parviendra malheureusement pas à rééditer cet exploit. Des chutes malencontreuses, des erreurs d’appréciation et des blessures à répétition lui vaudront cinq autres saisons en dents de scie. Quoi qu’il en soit, les succès de Wayne Gardner auront eu un impact allant bien au- delà des espoirs les plus fous des fans australiens. Si les performances de Gregg Hansford avaient permis de sortir le sport motocycliste de l’anonymat à la fi n des années 70, les médias australiens s’intéressaient alors tout de même davantage aux affrontements entre la police et les blousons noirs qu’aux courses de vitesse. Outre le fait d’offrir à Honda un nouveau titre de champion du monde 500, Wayne Gardner a donc eu le mérite de supplanter, dans le coeur des Australiens, le Mad Max interprété
à l’écran par Meil Gibson. Entre 1986 et 1989, les Grands Prix ont obtenu « down under » des retransmissions télévisées régulières et une manche des championnats du monde de vitesse. Grâce aux exploits de Gardner, la première épreuve organisée à Phillip Island a attiré plus de 90 000 personnes et obtenu la couverture des grands quotidiens nationaux. Les succès du pilote Honda ont par ailleurs été le catalyseur de l’intérêt porté par les constructeurs au vivier australien duquel émergeront par la suite des garçons comme Kevin Magee, Mick Doohan, Darryl Beattie, ou encore Troy Bayliss. Avec sa grande gueule, son penchant pour les blagues d’adolescents, son goût pour les soirées bien arrosées et ses dépassements parfois limites, Wayne Gardner, qui n’a pas toujours été très populaire dans le paddock, a su rallier les suffrages de ses supporters pour devenir un héros national au même titre que le furent à la même époque John Bertrand et Pat Cash, le premier en remportant la Coupe de l’America et le second en s’imposant sur l’herbe de Wimbledon.