Marc Marquez ...................
Le champion du monde nous dit tout.
Marc, plus de cinquante points d’avance sur Valentino Rossi qui n’a pas encore gagné une course cette saison, plus de soixante-dix sur Jorge Lorenzo et Andrea Dovizioso... Comment pourrais-tu laisser échapper ton cinquième titre en MotoGP ?
Je suis loin de l’avoir remporté ! Cette année, il y a un Grand Prix de plus au programme ( Thaïlande) et la saison est donc loin d’être terminée. Il peut y avoir des circonstances et des situations qui ne seront pas en ma faveur. Penser que ce titre est d’ores et déjà dans la poche serait le meilleur moyen de le laisser échapper. Je dois continuer à faire ce que j’ai fait jusqu’à présent : attaquer quand je le peux en gardant la même mentalité. C’est le seul moyen de conserver mon énergie.
Il semble que tu aies trouvé le bon équilibre. Tu continues à prendre des risques pour chercher la limite, mais tu sais te contenter d’une place d’honneur en course si tu n’es pas en mesure de décrocher la victoire. C’est ce qu’on appelle la maturité ?
J’essaie toujours de m’améliorer. Un être humain doit être capable d’analyser ses erreurs s’il veut grandir, il doit aussi utiliser son expérience. À mes débuts, je tombais beaucoup en course comme aux essais. Tu l’as dit, j’ai commencé par réduire ma prise de risques en course et aujourd’hui, j’essaie aussi d’être plus raisonnable durant les essais. Mais il faut être réaliste, le niveau du MotoGP est vraiment très relevé ; et avec les performances actuelles des Ducati, nous sommes obligés de fl irter en permanence avec la limite. Quand tu évolues comme ça sur le fi l, faire une erreur est très facile. Et d’un autre côté, si tu ne penses qu’au championnat et avances en hésitant, tu risques de perdre la concentration.
De Valentino Rossi, Jorge Lorenzo ou Andrea Dovizioso, lequel sera, selon toi, le plus dangereux sur la fin de saison ?
C’est une question diffi cile... Généralement, quand je cite un nom, il y en a un autre qui déboule alors qu’on ne l’attendait pas forcément. ( Rires) Si je dois en donner un, je dirai Jorge. Il arrive à maîtriser la Ducati, à la piloter avec son style, et on sait que cette moto est très performante. Mais je ne peux pas non plus ignorer Dovi... Alors, disons que je vois dans ces deux pilotes mes adversaires les plus coriaces. Valentino a bien sûr beaucoup d’expérience, mais il n’a pas, aujourd’hui, la pointe de vitesse des deux pilotes Ducati.
L’an dernier, Dovi avait été le seul à t’accrocher jusqu’à la fin du championnat. Cette année, il s’est montré moins régulier. Penses-tu qu’il a atteint ses limites ?
Pour moi, il est plus rapide que l’an dernier, mais effectivement, il est aussi moins régulier. Au Mans et à Montmelo, il a commis deux erreurs totalement inhabituelles de sa part. C’est un pilote qui attaque toujours au bon moment et là, il s’est laissé piéger.
Parce que le niveau est plus relevé ?
Peut- être... C’est sûr que plus tu dois aller vite, plus le risque augmente. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’aux essais, il roule toujours très bien et ne fait jamais d’erreurs. Mais en course... Après, ce sont des choses qui arrivent, j’en sais quelque chose. Au Mugello, je me sentais vraiment bien, je n’attaquais pas plus que ça et je suis tombé. J’étais bien plus à la limite en Autriche et je suis resté sur mes roues. Il y a parfois des chutes qui sont diffi ciles à comprendre.
Es-tu surpris de la montée en puissance de Lorenzo ?
Oui et non... Je m’attendais à ce qu’il soit performant dès le début de saison et ça n’a pas été le cas. À Sepang, pour le premier test de l’année, il avait roulé en 1’ 58” et battu le record du tour. Fin 2017, il était déjà très rapide même s’il n’avait pas réussi à gagner. C’est pour ça que je ne peux pas dire que je sois surpris de ce qu’il fait actuellement avec la Ducati.
Tu comprends que Ducati ait pu le laisser partir ?
Non, et je crois que je ne suis pas le seul. Cette décision refl ète assez bien le problème actuel de ces contrats qui se concluent et se signent en février, mars, avril. On doit s’engager alors qu’il reste quasiment une saison à disputer. Je n’aime pas cette situation. J’ai moi- même été obligé de prolonger mon contrat en février. On n’a pas le temps d’analyser la progression des pilotes et des machines avant de s’engager pour deux nouvelles années, je n’aime pas ça.
En tout cas, ce sont Honda et Alberto Puig qui ont fait un sacré coup... Comment vois-tu son arrivée à tes côtés l’an prochain ?
C’est sûr qu’ils ont fait un bon coup, un très bon coup même, puisqu’en récupérant un excellent pilote, ils en ont aussi privé leurs adversaires. D’autant qu’à présent, Ducati est l’adversaire numéro un de Honda et que Jorge est de plus en plus rapide avec cette moto. En fait, plus que le bon coup de Honda, il faudrait souligner le mauvais coup de Ducati. Car à la fi n, c’est Jorge qui s’est offert à Honda et non pas Honda qui est allé le chercher.
Votre concurrence ne risque-t-elle pas de créer des problèmes au sein de la future équipe Honda Repsol ?
Je ne pense pas... Avec Dani, en 2013 et en 2014, nous nous battions
ensemble, pour des victoires comme pour le titre, sans que cela ne pose de problèmes dans l’équipe. Un team comme le nôtre est composé de deux équipes qui s’occupent chacune de leur pilote. Et quand tu fais de la compétition, le premier adversaire que tu dois battre, c’est ton coéquipier. On ne peut jamais être amis, mais cela n’empêche pas d’avoir du respect l’un pour l’autre.
On sent du respect entre vous, mais aussi une vraie rivalité, bien plus forte que celle qui a pu exister entre Pedrosa et toi...
Oui, mais encore une fois, une équipe est toujours scindée en deux. Même si tu échanges et partages tes infos, chacun travaille de son côté. Il faut être professionnel et avoir du respect pour son coéquipier. On se dit bonjour, on se souhaite bonne chance, et puis voilà. Je ne vois pas pourquoi ma relation avec Jorge serait différente de celle que j’ai aujourd’hui avec Dani.
Tu penses qu’il va s’adapter rapidement à la Honda ?
Honnêtement, j’aimerais que ça ne soit pas le cas. Mais je pense malheureusement qu’il ne mettra pas trop de temps à prendre ses marques. ( Rires) C’est un bon pilote.
Qu’est-ce qu’a changé le remplacement de Livio Suppo par Alberto Puig ?
Beaucoup de choses ont changé chez Honda l’hiver dernier. Il y a déjà eu le départ de Nakamoto dont l’homme de confi ance était Livio. Kuwata ayant pris les commandes du HRC, il devait à son tour s’appuyer sur un bras droit, en l’occurrence Alberto. Tout cela a transformé l’équipe car le rôle d’Alberto est fi nalement différent de celui qu’avait Livio, qui venait du marketing. Alberto a été pilote, il sait ce dont on a besoin. Il connaît aussi la technique... Son travail a permis de mieux faire fonctionner le team en améliorant la relation entre les pilotes, les techniciens, les ingénieurs au Japon... Il est très fort à ce niveau.
Le team est-il plus fort aujourd’hui qu’il ne l’était l’an dernier ?
Je dirais qu’il fonctionne différemment. En fait, Alberto a pris un rôle que personne n’occupait. Livio était plus un team principal, alors qu’Alberto est un véritable team manager. Il connaît la course et comprend mieux les pilotes et les techniciens.
Le développement de la Honda a-t-il été impacté par ce changement de direction ?
Je suis très content d’une chose, c’est de la manière dont fonctionne la relation entre l’équipe sur les circuits et celle qui travaille au Japon sur le développement de la moto. Les informations circulent mieux. Jusque- là, elles se perdaient parfois avant d’arriver au Japon. Disons qu’il y a une meilleure communication. J’ai aussi l’impression que Honda travaille davantage, il y a une nouvelle génération de jeunes ingénieurs qui est arrivée, et leur implication porte ses fruits. Ils ont beaucoup d’idées, certaines fonctionnent, d’autres non, mais pour les pilotes, tous ces efforts sont source de motivation.
La moto a peut-être progressé, mais tu es toujours le seul à la faire gagner...
La Honda a progressé, mais elle reste diffi cile à utiliser. Il faut vraiment avoir le mode d’emploi pour aller vite avec. C’est un point que nous devons améliorer. C’est vrai qu’en début de saison, la Honda était la meilleure, mais la situation est désormais beaucoup plus équilibrée. La Ducati a beaucoup progressé ces derniers temps, et pour moi, c’est actuellement la meilleure moto. C’est la course. Tout le monde travaille dur pour essayer d’améliorer son matériel à chaque Grand Prix.
Si la Honda reste difficile à utiliser, n’est-ce pas aussi parce que les ingénieurs suivent la direction d’un Marc Marquez dont le pilotage est super agressif ?
Non. Quand on reçoit des évolutions à essayer, Dani ( Pedrosa), Cal ( Crutchlow) et moi avons généralement les mêmes commentaires. La diffi culté de la Honda est liée à son caractère. C’est une vraie
POUR ÊTRE UN BON PILOTE, IL FAUT ÊTRE FORT QUAND ÇA VA BIEN, MAIS AUSSI QUAND ÇA VA MAL
moto de course, il faut la malmener pour aller vite et prendre du plaisir à son guidon. Tu te fais secouer, tu ressens la puissance, et il faut arriver à la maîtriser. On demande tous à Honda de nous faire une moto plus facile, cela nous simplifi erait la vie.
Que penses-tu des problèmes de Yamaha qui n’a toujours plus gagné depuis le Grand Prix des Pays-Bas 2017 ?
Vu de l’extérieur, Yamaha semble en effet rencontrer des problèmes, mais il ne faut pas oublier qu’un de ses pilotes est toujours deuxième du championnat et que l’autre demeure quand même dans le coup. Quand tu as un bon feeling avec ta moto, celle- ci fonctionne mieux et l’équipe aussi. De fait, toi aussi tu fais encore mieux. C’est un cercle vertueux. En revanche, quand tu commences à te sentir moins bien, tout se met à aller plus mal. La spirale peut facilement s’inverser. J’ai connu ça en 2015.
Tu connais bien Maverick Viñales, vous êtes adversaires depuis que vous êtes gamins. Que penses-tu de son attitude face aux problèmes qu’il rencontre actuellement ?
En fait, avec Maverick, nous n’avons jamais vraiment été adversaires. Étant un petit peu plus vieux que lui, nous nous sommes beaucoup croisés. Il n’y a qu’en MotoGP que nous nous sommes réellement affrontés.
En tout cas, quand il a débarqué chez Yamaha, tout le monde annonçait un duel entre Marquez et Viñales. Ce duel, on l’attend toujours...
Pour être un bon pilote, il faut être fort quand ça va bien, mais aussi quand ça va mal. Quand tout se passe bien, tout le monde est content et tout est facile. Quand les diffi cultés se présentent, c’est là qu’il faut faire la différence. Quand une équipe traverse une mauvaise passe, il faut être capable d’être le meilleur de cette équipe.
Tu penses que tu aurais pu être coéquipier de Rossi ?
Non. Je te rappelle qu’en 2016, Lin Jarvis est venu me voir pour me dire qu’il n’y aurait jamais un membre de la famille Marquez chez Yamaha...
Tu domines tellement la compétition que tout le monde espère aujourd’hui te voir sur une moto moins performante pour relancer le suspense. C’est quelque chose que tu imagines un jour prochain ?
Je me sens très bien chez Honda ! Tu sais, quand tu es dans une équipe offi cielle et que tu sens que tout le monde t’écoute et se tient prêt à tout faire pour te satisfaire, tu ne peux pas rêver mieux. Honda me fait confi ance et je me sens important pour ce constructeur. Après, j’espère que ma carrière sera très longue. Je ne sais pas si dans cinq ou six ans, je n’aurais pas envie d’ailleurs. Peut- être que j’aurais besoin d’une autre motivation... Mais pour l’instant, ça n’est pas le cas. Après, à ceux qui disent que je gagne parce que je suis chez Honda, je réponds que ça n’est pas moi qui choisis mon coéquipier. Honda a choisi Jorge pour la saison prochaine, eh bien tant mieux. Et à ceux qui pensent que la Honda est la meilleure moto ; qu’ils viennent la piloter...
Gagner comme tu le fais n’est pas donc pas trop ennuyeux ?
Non, parce que pour gagner, on travaille dur et on donne le maximum. Si je gagnais facilement, peut- être que je m’ennuierais. Mais là, ça n’est pas le cas.
Tu as fait un essai au volant d’une Formule 1 avec l’équipe Red Bull. La voiture pourrait-elle être une suite à tes exploits sur deux roues ?
Non. Ils m’ont posé la question mais franchement, faire un test sur un circuit que tu connais est une chose, décider de te lancer dans une nouvelle discipline en est une autre. Tu me vois au volant d’une F1 à Monaco ? ( Rires) Et puis de toute façon, ma passion, c’est la moto, pas la voiture.
Pour finir, un mot sur ton frère, Alex. On l’imaginait cette année favori pour le titre en Moto2, mais il a visiblement plus de mal que prévu... C’est si difficile d’être le frère de Marc Marquez ?
Non, ce qui lui manque cette année, c’est sa première victoire. Quand elle n’arrive pas, tu te mets la pression. À Jerez, pour la quatrième course, il chute avec un frein bloqué... Cet incident a beaucoup conditionné la suite. Il doit maintenant penser à la saison prochaine.
À CEUX QUI PENSENT QUE LA HONDA EST LA MEILLEURE MOTO ; QU’ILS VIENNENT LA PILOTER...