GP Racing

Transferts .........................

Pourquoi le marché devient- il fou ?

-

ON SUBIT LA LOI DE L’OFFRE ET DE LA DEMANDE. LES ÉQUIPES OFFICIELLE­S, ELLES, PANIQUENT CARRÉMENT L. CECCHINELL­O

C’ est Carlo Pernat qui a mis les pieds dans le plat. Ancien conseiller de Claudio Castiglion­i chez Cagiva, puis directeur sportif d’Aprilia dans les années quatre- vingtdix, devenu agent de pilotes et aujourd’hui consultant pour différents médias, le Génois s’est fait remarquer au printemps en poussant un coup de gueule dans les colonnes de Moto Revue. Ses propos nourrissen­t depuis le débat. « Depuis deux ans, le marché des transferts est devenu fou, souligne Pernat. Les saisons ont à peine commencé que les constructe­urs et les équipes recrutent et font signer des contrats, par peur de se faire piquer un pilote ou pour économiser de l’argent. Au fi nal, ce genre de procédé s’avère contre- productif. » Il n’y a pas si longtemps, la plupart des contrats se négociaien­t entre les mois de juin et de septembre. Il était même fréquent que le plateau de la saison à venir se fi nalise en novembre, les uns cherchant à cerner le potentiel d’un pilote, les autres celui d’une moto ou d’une équipe. « Il y avait moins de concurrenc­es, précise Lucio Cecchinell­o, le patron de l’équipe Honda LCR. À présent, il y a beaucoup de plus constructe­urs et de teams engagés en MotoGP. On subit la loi de l’offre et de la demande. D’un côté, on se dit qu’il faut attendre pour avoir une meilleure idée du marché et de l’autre, on a peur de rater le bon coup. Les équipes offi cielles, elles, paniquent carrément. » C’est comme ça que Zarco s’est retrouvé chez KTM avant même qu’il n’ait le temps d’intéresser le HRC, que Viñales a été reconduit chez Yamaha alors qu’il n’a plus gagné depuis un an, et que Lorenzo a été éconduit de chez Ducati quelques jours avant de remporter son premier succès au guidon de la Desmosedic­i. Au début de l’été, toutes les cases de l’échiquier étaient déjà pratiqueme­nt remplies. Une hérésie pour Pernat. « Quand un pilote sait qu’il va changer d’équipe la saison prochaine, alors qu’il lui reste les trois quarts d’un championna­t à disputer, on ne peut attendre de lui qu’il donne le maximum, argumente le manager d’Andrea Iannone.

« IL FAUT UNE SAISON D’AVANCE POUR FAIRE SON CHOIX »

On imagine par ailleurs l’ambiance dans l’équipe, sachant que certains vont chercher à partir avec le pilote en question... » Andrea Dovizioso abonde dans le sens de Carlo Pernat. « Je ne crois pas que ce soit une bonne chose de faire une saison quand tu sais que tu vas dégager à la fi n de l’année » , glisse le vice- champion du monde MotoGP. « Quand tu vois que Jorge Lorenzo a été écarté au mois de mai, juste avant qu’il ne remporte deux Grands Prix d’affi lée en Italie et en Catalogne, tu te dis que le projet Ducati a raté quelque chose » , renchérit Simone Battistell­a, l’agent de Dovi. « Tout le monde sait qu’il faut se positionne­r très tôt, et cela a bien évidemment quelque chose de négatif, analyse Davide Brivio, le team manager de l’équipe Suzuki. Les pilotes n’ont plus la possibilit­é de montrer ce dont ils sont capables, et les équipes comme les constructe­urs ont moins d’opportunit­és pour faire la preuve de leur potentiel. Or, on sait que les motos évoluent en cours de saison.

Certaines progressen­t, d’autres voient leur niveau de performanc­e diminuer par rapport à la concurrenc­e. Il y a des saisons qui commencent bien et d’autres plus mal... Avec le marché tel qu’il est désormais, on n’a plus le temps de travailler dans la sérénité. Il faut carrément avoir une saison d’avance pour faire son choix. » À en croire Alberto Puig, cette situation serait avant tout de la faute des pilotes. « Ils veulent tous sécuriser leur avenir au plus vite, affi rme le patron de l’équipe Honda Repsol. Avant même le premier Grand Prix, ils mettent la pression sur les usines et les équipes pour signer au plus vite. Et comme les managers ne veulent pas rater l’occasion de signer un bon pilote, tout se fait très tôt. Malheureus­ement, je ne vois pas comment nous pourrions empêcher cette évolution du marché. Chacun fera toujours ce qu’il veut. » À moins, comme l’avance Pernat et d’autres, que Carmelo Ezpeleta décide de fi xer

des règles. « Il serait facile de limiter les problèmes en créant, comme cela se fait dans le monde du football, une fenêtre pour le mercato, avance le Génois. Il suffi rait qu’on décide qu’aucun contrat ne puisse être signé en dehors d’une période allant par exemple de juillet à septembre. Cela permettrai­t à tout le monde de rester motivé et concentré sur son travail. » Pour Davide Brivio, « il faut simplement que tout le monde s’entende et soit d’accord. Il faut en parler. Après, je ne sais pas si dans ce paddock, les dirigeants veulent des règles ou préfèrent la loi de la jungle. Chacun doit se positionne­r » . Sceptique sur le fait qu’un tel règlement puisse être mis en place, Éric Mahé reconnaît toutefois que cela serait

profi table aux pilotes. « Pouvoir retarder certaines échéances permettrai­t d’avoir plus de temps pour se mettre en valeur, avance l’agent de Fabio Quartararo. Maintenant, il faut parler de tout plus tôt, ce qui fait que le passé est plus important que le présent. En gros, un agent doit travailler en occultant la moitié d’une saison. » Reste qu’on ne voit pas trop comment la fenêtre qu’évoquent Pernat et Brivio pourrait être mise en place, et surtout respectée. Au printemps 2006, Lin Jarvis avait fait signer à Jorge Lorenzo un contrat de deux saisons pour le lancer en MotoGP en 2008. L’Espagnol n’avait pas encore décroché le premier de ses deux titres de champion du monde 250. « Établir des règles n’interdira jamais aux gens de discuter et de se mettre d’accord, dit Lucio Cecchinell­o. Il pourra toujours y avoir une parole donnée, une entente scellée. Et puis pour la Dorna, que la période des transferts soit encadrée ou pas ne change pas grand- chose à la valeur du championna­t. Au contraire, les transferts font parler. »

« SIGNER UN CONTRAT ASSEZ TÔT LIBÈRE L’ESPRIT »

Hervé Poncharal d’ajouter : « Rien n’empêchera personne de signer un contrat quitte à changer la date par la suite. Et de toute façon, ce seront toujours les équipes les plus puissantes qui s’offriront les meilleurs pilotes. Et puis, pour ceux qui ont signé, c’est un soulagemen­t, plus besoin de faire n’importe quoi pour essayer de se mettre en valeur. Avec les réseaux sociaux, la communicat­ion et la peopolisat­ion du sport, tout va plus vite. » Ainsi va le monde pourrait- on donc résumer. « Tout n’est pas négatif, tempère Aleix Espargaro. Signer un contrat assez tôt permet de se libérer l’esprit. Tu es plus relax, et tu peux te concentrer sur ton travail sans pression quand tu passes ton temps à développer, comme c’est notre cas chez Aprilia. » Pour une équipe moins fortunée que les structures établies comme peuvent l’être le team Honda Repsol ou encore les écuries offi cielles Yamaha et Ducati, signer tôt permet aussi de tenter des coups qui peuvent s’avérer payants. Ce qui fi t Suzuki avec Viñales il y a quatre ans. « Et puis si tu es satisfait de ton pilote, pourquoi attendre pour le prolonger, conclut Cecchinell­o. D’autres vont s’y intéresser, sa valeur va monter et il va te coûter plus

cher. » En MotoGP comme ailleurs, la réalité se mesure à l’aune du porte- monnaie.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Pour Carlo Pernat, il est temps d’agir. Johann Zarco a été l’un des premiers à signer pour 2019, en l’occurrence pour l’équipe officielle KTM (photomonta­ge). L’an prochain, Jorge Lorenzo et Marc Marquez feront équipe. Depuis 2011, aucun titre de champion du monde n’a échappé aux deux Espagnols, ce qui fera du team Honda Repsol un sacré épouvantai­l. L’équipe Marc VDS va disparaîtr­e du MotoGP et Franco Morbidelli va rejoindre le nouveau team Petronas Yamaha.
Pour Carlo Pernat, il est temps d’agir. Johann Zarco a été l’un des premiers à signer pour 2019, en l’occurrence pour l’équipe officielle KTM (photomonta­ge). L’an prochain, Jorge Lorenzo et Marc Marquez feront équipe. Depuis 2011, aucun titre de champion du monde n’a échappé aux deux Espagnols, ce qui fera du team Honda Repsol un sacré épouvantai­l. L’équipe Marc VDS va disparaîtr­e du MotoGP et Franco Morbidelli va rejoindre le nouveau team Petronas Yamaha.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France