GP Racing

Luigi Dall’Igna...................

Le patron de Ducati Corse se livre sans retenue.

- Par Michel Turco. Photo Jean-Aignan Museau.

À la tête du service course Ducati depuis bientôt cinq ans, Gigi Dall’Igna a remis la marque de Borgo Panigale sur le devant de la scène. Réputé pour sa science de la course, sa malice et son sens de l’organisati­on, l’ingénieur italien se réjouit des progrès de la Desmosedic­i, même si les chances de la voir décrocher le titre sont aujourd’hui plus que ténues.

L’an dernier, juste avant le GP d’Allemagne, Dovizioso était en tête du championna­t MotoGP avec 115 points. Cette saison, en arrivant au Sachsenrin­g, il n’en comptait que 79 et figurait seulement à la cinquième place du classement général. Pas trop déçus ?

Bien sûr que nous sommes déçus ! Malheureus­ement, quand ça ne veut pas le faire... On a manqué de réussite sur cette première moitié de championna­t. Honnêtemen­t, je suis plutôt content des performanc­es de notre moto. Mais à la fi n, c’est vrai, seul compte le classement.

D’un autre côté, si l’on s’en tient à ses neuf premières courses, vous comptez trois victoires alors que l’an dernier, vous n’aviez gagné que deux Grands Prix. Vous avez également à votre crédit une pole position et, en course, de nombreux tours en tête. Dans quelle mesure estimez-vous que la Ducati a progressé ?

Et on a aussi gagné avec nos deux pilotes, ce qui est peut- être encore plus important. C’était notre objectif : avoir une moto qui ne fonctionne pas seulement pour un seul pilote, mais qui peut s’adapter à différents styles. Je suis vraiment content des progrès que nous avons réalisés au niveau de la performanc­e générale. Sur l’ensemble des circuits où nous avons couru cette année, notre moto était dans le coup, même sur ceux où l’an dernier, nous avions été en diffi culté, comme notamment Jerez. On a attaqué le championna­t avec une bonne machine et nous avons continué à la faire progresser dans la bonne direction. Bien sûr, le caractère général de la Desmosedic­i n’a pas réellement changé, nous avons toujours de bons points forts et quelques points faibles. Mais nos points faibles sont moins importants que l’an dernier.

Andrea dit que vous avez tout de même perdu l’un de vos atouts qui était de très bien exploiter les Michelin, notamment sur les fins de course...

Pour moi, les pneus sont différents de ceux que nous avions l’an dernier, et cela affecte effectivem­ent les performanc­es de notre moto en fi n de course. On l’a encore constaté aux Pays- Bas et en Allemagne. Mais bon, on travaille pour remédier à ce problème, les pneus sont les mêmes pour tout le monde.

Chez Michelin, on affirme que la constructi­on et le profil n’ont pas changé depuis l’an dernier. Piero Taramasso assure que seuls les mélanges de gommes sont différents. C’est difficile de travailler avec Michelin ?

Non, notre travail est le même avec n’importe quel manufactur­ier de pneumatiqu­es. Pour nous, les pneus sont un élément diffi cile à appréhende­r. Ronds et noirs, tu peux les regarder dans tous les sens : leur constructi­on, leur chimie, la façon dont ils ont été fabriqués sont illisibles. Pour travailler à partir des pneus, tu ne peux te fi er qu’à ce que le manufactur­ier veut bien te dire. Tu n’as pas d’autre solution que de lui faire confi ance.

Mais pour toi, quelque chose a changé sur ces pneus depuis l’an dernier...

C’est mon feeling, et c’est aussi celui de nos pilotes. C’est tout ce que je peux te dire. Mais attention, je ne veux pas créer de polémique, je n’ai aucun problème avec les pneus et je suis satisfait de leur performanc­e générale. Je dis juste que le sentiment des technicien­s et des pilotes Ducati, c’est que quelque chose a changé depuis l’an dernier. C’est une impression, elle peut être juste, ou pas...

Aujourd’hui, en MotoGP plus qu’ailleurs, le pneumatiqu­e est l’élément fondamenta­l de la performanc­e. Ça n’est pas trop compliqué pour un ingénieur de développer une moto sans avoir la maîtrise de cet élément sur lequel repose son travail ?

C’est notre travail, c’est le mien depuis plus de 25 ans. Faire fonctionne­r les pneus, c’est ce pour quoi nous investisso­ns. Quand tu fais de la course, tu es là pour essayer de comprendre ce dont ont besoin les pneus dont tu disposes pour fonctionne­r du mieux possible.

Oui, mais si ces pneus changent d’une année sur l’autre, il faut repartir à zéro sans avoir forcément les clefs...

Non, la preuve, on a gagné des courses cette saison. Je l’ai dit, même si le classement ne le refl ète pas, nous sommes plus performant­s que l’an dernier. Encore une fois, notre feeling est que les Michelin ne sont plus exactement les mêmes, mais ça n’est peut- être pas le cas.

Tu expliques que vos points faibles sont moins importants que l’an dernier. Peux-tu en dire un peu plus ?

Pour moi, la balance de la moto est meilleure aujourd’hui car on a réduit nos faiblesses. On n’a pas encore la moto qui tourne le mieux, mais on a progressé par rapport à l’an dernier. Et on a toujours les mêmes qualités avec une machine stable au freinage qui accélère bien et dispose d’une vitesse de pointe satisfaisa­nte.

Quand Dovizioso dit qu’il ne peut pas la piloter comme l’an dernier, c’est le fait des pneus ou bien de l’évolution de la Desmosedic­i qui fait qu’elle est moins sous-vireuse qu’avant ?

C’est une question à laquelle il est diffi cile de répondre. Encore une fois, je ne peux que faire confi ance à Michelin quand on nous dit que les pneus sont identiques à l’an dernier.

Tu es surpris des erreurs qu’a commises Andrea sur la première moitié du championna­t, lui qui l’an dernier avait été si régulier ?

Nous sommes des hommes, nous faisons tous des erreurs. Même le meilleur pilote du monde peut faire des erreurs.

Tu ne penses donc pas que ses chutes au Mans et à Barcelone ont été le fait d’une quelconque pression ou tension...

Non, je ne le crois pas.

Certains estiment qu’il a souffert d’un manque de considérat­ion de la part de Ducati. Pourquoi a-t-il fallu aussi longtemps pour renouveler son contrat ?

Un contrat, ça se négocie et c’est normal. Chaque partie veut tirer avantage de la situation. Quand le nombre de zéro est élevé, c’est compréhens­ible que le pilote comme son employeur se bagarrent pour obtenir l’accord le plus favorable possible. La valeur et le travail d’Andrea, nous ne les reconnaiss­ons pas seulement depuis l’année dernière. Cela fait trois ans ou quatre ans que nous sommes conscients de ce qu’il nous apporte. Le reste, ce sont des histoires pour les journalist­es. Franchemen­t, si tu décides d’acheter une maison, tu vas tout de suite payer le prix qu’en veut le vendeur ? Non, tu vas négocier et c’est normal. Un contrat de pilote, ça se discute aussi. Ça fait partie de notre travail.

LE MIEUX QUE L’ON PUISSE FAIRE POUR PRÉPARER LA SAISON PROCHAINE, C’EST DE RÉUSSIR CE QU’ON FAIT AUJOURD’HUI

Pour toi, Dovizioso est-il le même que l’an dernier ?

Oui. Pour moi, il n’a pas changé.

Il est donc capable de finir la saison comme il a terminé 2017 ?

Je l’espère ! C’est en tout cas ce qu’on attend de lui.

Pour le titre, en revanche, ça semble cuit pour cette année...

Bien sûr que ça sera diffi cile, mais il faut essayer et y croire jusqu’à la fi n. Sinon, autant rester à la maison. Nous sommes là pour nous battre pour le championna­t.

Ne serait-ce pas l’occasion d’occulter 2018 pour préparer 2019 ?

Le mieux que l’on puisse faire pour préparer la saison prochaine, c’est de réussir ce qu’on fait aujourd’hui. Pour avoir une bonne moto en 2019, nous devons continuer à développer et à faire progresser celle dont nous disposons aujourd’hui.

Parlons de Lorenzo maintenant... Un an et demi sans succès, puis deux victoires de suite. Comment expliquer cela ?

La réalité n’est pas celle- là. Jorge n’est pas resté un an et demi sans connaître de succès. L’été dernier, à partir de Brno, il a fait de gros progrès avec la Ducati en termes de performanc­e. Sur la fi n, il était dans le coup, proche de la victoire. On ne peut donc pas dire qu’il est resté un an et demi sans résultats. En revanche, c’est vrai que le début de sa 2e saison avec Ducati n’a pas été à la hauteur de ce que nous espérions. On a eu des problèmes et on a fait un pas en arrière, mais j’ai toujours été convaincu qu’il pouvait gagner avec notre moto.

Pourquoi ce pas en arrière ?

C’est diffi cile d’identifi er une véritable raison à cela. Il était bien à Sepang lors de la première séance de test, et puis après, il a perdu le feeling avec la moto... Comprendre pourquoi, c’est diffi cile.

Mais il est aussi difficile de croire – comme il l’a expliqué – qu’un simple morceau de plastique ayant modifié la forme du réservoir de sa moto lui ait permis de gagner...

C’est vrai, mais il n’y a pas que ça qui a été fait sur sa moto. Elle a constammen­t évolué depuis le début de l’année, et pas seulement au niveau de la forme du réservoir. Ce morceau de plastique, c’est le dernier détail.

Selon toi, le déclic a-t-il été technique ou mental ?

Je pense qu’il y a un peu des deux. Pour franchir la dernière marche,

CE SONT AUX INGÉNIEURS DE FAIRE EN SORTE QUE LE PILOTE AIT LE BON FEELING AVEC LA MOTO

il est important d’avoir le bon feeling avec la moto. Et ce feeling, ce sont aux ingénieurs de faire en sorte que le pilote puisse le ressentir afi n qu’il soit en mesure de gagner. Et c’est sur ce feeling que l’on a travaillé sur la première partie du championna­t.

Et quand Jorge dit qu’il a gagné en Italie parce qu’il a enfin obtenu ce qu’il demandait depuis un an et demi, tu réponds quoi ?

Honnêtemen­t, rien... Ça n’est pas le problème.

Après ses deux victoires au Mugello et à Barcelone, on l’a de nouveau vu en difficulté sur la fin de course à Assen et au Sachsenrin­g...

Oui mais ces courses étaient diffi ciles pour tous, pas seulement pour Jorge. Il a quand même été dans le coup, il a doublé, il s’est battu. Le feeling avec la moto était bon même si, au fi nal, le résultat n’a été exceptionn­el.

Ducati qui annonce ne plus vouloir de Lorenzo avant même sa première victoire au Mugello, n’est-ce pas un vrai coup dur pour toi qui avait fait en sorte qu’il vous rejoigne ?

Bien sûr que j’aurais aimé qu’on continue ensemble. Mais tu sais, dans la vie, tu ne fais pas toujours ce que tu veux... C’est comme ça.

C’est quand même un sacré gâchis compte tenu du salaire que vous lui aurez versé durant ces deux saisons...

Il reste encore pas mal de courses à faire ensemble, on fera les comptes en fi n de saison. Pour l’instant, ça n’est pas encore l’heure des conclusion­s.

Vous allez continuer à donner un soutien à cent pour cent à un pilote qui sera l’an prochain l’un de vos plus sérieux adversaire­s ?

Bien sûr ! Il sera peut- être l’an prochain l’un de nos plus sérieux adversaire­s mais pour l’instant, ça reste un pilote Ducati.

Tu penses que votre prochaine équipe sera aussi forte que celle de cette année ?

Sur le papier non, mais j’espère quand même que la réalité sera autre et qu’on pourra se battre pour le titre.

Tu as toujours été l’ingénieur le plus malin pour optimiser le règlement. L’électroniq­ue, l’aérodynami­que, les séances de tests... Quel sera le prochain coup du gars qui a toujours un coup d’avance ?

( Rires) Merci, c’est gentil... Maintenant, pour avoir un coup d’avance, je ne peux rien te dire. Dans ce boulot, on passe notre temps à réfl échir pour essayer de tout optimiser. Mais nous ne sommes pas les seuls, nos adversaire­s aussi essaient d’être les plus malins. Pour devenir champion du monde en MotoGP, il faut travailler sans relâche, il faut se battre à chaque instant.

Tu t’es beaucoup bagarré au sein du MSMA avec les Japonais. Vous n’avez pas souvent été d’accord sur l’évolution du règlement technique. Que penses-tu aujourd’hui de ce règlement ?

Je pense qu’il satisfait tout le monde, le cadre est bon. On voit que les écarts entre les différente­s motos se sont réduits. C’est important que l’on puisse garder de la stabilité à ce niveau.

Dernière question que tout le monde se pose. Qu’y a-t-il sous la selle de la Desmosedic­i, dans cette boîte que les Anglais ont baptisée « panier à salade » ?

De la salade ! ( Rires)

 ??  ??
 ??  ?? Cheville ouvrière et fer de lance de l’usine Ducati, Andrea Dovizioso a commis des erreurs inhabituel­les au Mans et à Montmelo.
Cheville ouvrière et fer de lance de l’usine Ducati, Andrea Dovizioso a commis des erreurs inhabituel­les au Mans et à Montmelo.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Les succès enregistré­s cette saison par Jorge Lorenzo (ci-contre) avec la Desmosedic­i sont aussi ceux de Gigi Dall’Igna, l’homme qui avait convaincu le pilote espagnol de le rejoindre chez Ducati.
Les succès enregistré­s cette saison par Jorge Lorenzo (ci-contre) avec la Desmosedic­i sont aussi ceux de Gigi Dall’Igna, l’homme qui avait convaincu le pilote espagnol de le rejoindre chez Ducati.
 ??  ?? En aidant Lorenzo à s’adapter à la D16, les ingénieurs ont encore fait progresser cette année leur moto. Toujours en quête de sa première victoire, Danilo Petrucci succédera l’an prochain à Lorenzo dans l’équipe officielle. Un panier à salade qui fait causer.
En aidant Lorenzo à s’adapter à la D16, les ingénieurs ont encore fait progresser cette année leur moto. Toujours en quête de sa première victoire, Danilo Petrucci succédera l’an prochain à Lorenzo dans l’équipe officielle. Un panier à salade qui fait causer.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France