GP Racing

Zarco vu par ses pairs ......

9 pros donnent leur avis sur le champion français.

- Par Jean-Aignan Museau.

Johann Zarco fascine. Par ses deux titres de champion du monde de Moto2, par son parcours atypique, par ses résultats depuis son arrivée en catégorie reine, le pilote français est devenu l’un des hommes les plus en vue. Son charisme, son pilotage unique, ses atouts cachés et ses défauts inavoués ne laissent personne indifféren­t. Et bien sûr, tout le monde lui reconnaît une tonne de qualités. Alexandre Merhand, l’ingénieur qui travaille sur l’acquisitio­n de données de sa moto, est catégoriqu­e : « Il a la force de vouloir à tout prix atteindre son objectif. Ce qui engendre certaineme­nt un peu de frustratio­n cette année, tant son début de saison l’an dernier était prometteur. Il veut vraiment cette victoire et il fait tout pour l’obtenir. Et comme pour l’instant, il n’y arrive pas, il s’énerve. » Jean- Jacques Lacroix, qui s’occupe de ses casques, poursuit : « C’est un travailleu­r acharné. Il ne lâche rien. Il est carré. Il construit ses séances avec applicatio­n. C’est le fruit de son travail avec Laurent ( Fellon). Pour moi, c’est un binôme indissocia­ble, ils ont toujours fonctionné ainsi. C’est aussi quelqu’un de foncièreme­nt gentil. Lorsque je bosse pour lui, je n’ai pas l’impression de travailler. Un regard suffi t pour que l’on se comprenne. Et souvent, son seul mot est merci. » Hervé Poncharal, le boss de Tech3, voit en lui une qualité rare dans le milieu de la course : « L’honnêteté. Dans les sports mécaniques, il y a la moto avec des pneus, un moteur, un cadre et une équipe technique qui oeuvrent pour la performanc­e et il est donc très facile de pointer du doigt un élément ou un autre afi n de se dédouaner de ses responsabi­lités. Johann a toujours été extrêmemen­t clair et aussi bien son équipe que l’usine savent que lorsqu’il dit quelque chose, on peut s’y fi er à 100 %, et le suivre. » Laurent Fellon, son mentor, est assurément l’homme qui connaît le mieux Johann et sa capacité de travail : « Il est déterminé. De là où il est parti, pour en arriver à deux titres de champion du monde, il a fallu bosser. De sa génération, il n’était pas le plus doué, loin s’en faut. Il a fait preuve de déterminat­ion et a su travailler. » Pascal Sasso, qui offi cie pour Michelin, lui reconnaît encore une facette avantageus­e face au job de pilote de Grands Prix : « Il est méthodique, et il sait qu’il doit rester à sa place de pilote sans chercher à remplacer Guy ou moi. Il donne ses impression­s et il attend qu’on l’aide sans s’immiscer dans la technique, comme le font beaucoup d’autres pilotes qui s’imaginent régler eux- mêmes leur moto. S’il continue comme ça, ce sera un très bon atout pour la suite. Humainemen­t, c’est un garçon très gentil, très drôle, avec beaucoup d’humour et qui fédère facilement les gens autour de lui. »

« TÉNACITÉ POSITIVE ET TÉNACITÉ NÉGATIVE»

Adrien Chareyre, quadruple champion du monde de Supermotar­d confi rme : « Il a une grande faculté à analyser son pilotage après une séance. Il a un excellent ressenti sur sa performanc­e, sur le travail qu’il doit mener pour faire mieux ou pour améliorer sa moto. Une analyse autocritiq­ue très importante pour avancer dans le bon sens. » Guy Coulon, son chef mécanicien, renchérit, tout apportant une nuance de taille : « Il est tenace. Si ça se passe mal,

il ne lâche jamais rien. Il repart. C’est une qualité. Qui peut aussi être un défaut. Il y a la ténacité positive et la ténacité négative. Ça fait partie des choses à savoir... à nous de composer avec. » Ce qu’Alexandre Merhand, l’homme le plus proche de Guy dans le box, se presse de confi rmer : « Autant j’aurais dit l’an dernier que l’une de ses qualités majeures était le calme, autant cette année, vu que les choses ne vont pas toujours bien, il s’énerve. Mais à la fois, c’est le revers de sa concentrat­ion extrême et de sa volonté de décrocher le titre à tout prix. Il réfl échit tout le temps et il n’est pas rare qu’il m’envoie des messages à des moments où je ne m’y attends pas... voire en arrivant dans le box. Il arrive avec une tonne d’idées parce qu’il a cogité toute la nuit ! » Sasso confi rme : « C’est apparu cette année seulement. Il peut être colérique. Mais ça ne dure pas. Au retour d’un run qui s’est mal passé, il peut s’en vouloir ou en vouloir aux autres... mais, encore une fois, c’est bref. » D’ailleurs, Jean- Jacques Lacroix l’excuse quasiment : « Il lui arrive de s’emporter. Mais à son niveau, avec l’attente qu’il a autour de lui et le matériel satellite qu’il utilise, il est normal qu’il ait parfois des impatience­s. C’est un battant, un guerrier qui peut montrer les dents parce que ça ne va pas assez vite.

« ON NE PEUT PAS EN FAIRE UN GUERRIER ET LUI REPROCHER DE PARTIR À LA GUERRE »

C’est comme sa chute au GP de France. Il voulait trop bien faire. On ne peut pas faire de lui un guerrier et lui reprocher de partir à la guerre. » Aveuglé par les fous rires qu’il partage avec Johann, il se fait fl atteur : « Parfois, il est un peu trop perfection­niste et exigeant envers lui- même. Mais c’est ce qui fait qu’il ne lâche jamais rien même lorsqu’il n’y arrive pas. » Ce que confi rme Fido : « Il lui arrive d’être un peu têtu. Il peut avoir du mal à accepter certaines remarques. Mais il a l’intelligen­ce de revenir et de ne pas rester bloqué. » Laurent Fellon, qui connaît Johann par coeur, nous révèle un défaut que peu de gens soulignent : « Il est infl uençable. Avec lui, c’est parfois le dernier qui parle qui a raison. » Ce n’est pas l’analyse d’Hervé Poncharal, pourtant réputé pour la fi nesse de ses observatio­ns : « Honnêtemen­t, je ne lui vois pas beaucoup de défauts. Il s’emporte. Mais souvent, c’est parce qu’il est mécontent. Et moi, je suis content de le voir mécontent de sa performanc­e. Ça veut dire qu’il est un battant et qu’il ne se satisfait pas de ne pas être parfait. Même lorsqu’il fait une pole position, il est capable de me dire qu’il n’a pas fait le tour parfait. » À Chareyre enfi n de pointer un défaut pour le moins sympathiqu­e : « C’est directemen­t lié à mon activité profession­nelle. S’il est bien dans ses pantoufl es, même s’il y a trou au bout, il ne veut pas en en porter d’autres. Il faut que je le pousse à changer de combinaiso­n. Et même s’il en a trois autres identiques fl ambant neuves, il va préférer enfi ler celle

qui a déjà fait deux Grands Prix parce qu’il est bien dedans. » Tant de moments partagés avec Johann méritent que ses complices ouvrent la boîte à souvenirs. Fellon commence par le tout début de l’histoire : « Fin juillet 2006, Johann m’appelle pour me dire qu’il veut venir vivre chez nous, avec Andrea et Lorenzo qui est tout petit. “Chez toi, on pense moto, on vit moto 24 h/ 24. J’ai besoin de ça”, m’a- t- il lancé. Il est arrivé vers 23 h 30, au guidon de son Yamaha booster 50. Il venait de faire 250 kilomètres non sans s’être perdu en route. Il est resté sept ans. » Un peu plus proche, Laurent se souvient du jour des sélections à la Rookies Cup à Valence, fi n 2006 : « Nous sommes à Valence pour les sélections de la Rookies Cup. À la première séance, Johann ne réalise pas un chrono qui lui permette de continuer les épreuves. Les organisate­urs acceptent de lui accorder une dernière chance. Johann était tendu. Il découvrait la Metrakit, il était raide sur la moto. On s’isole pour revoir les trajectoir­es, et là, il claque le 2e temps. Il était à l’écoute et appliquait parfaiteme­nt les consignes. C’était tout bon. »

« NOUS AVONS UN EXTRATERRE­STRE ! »

Souvenir beaucoup plus récent, Fabien Ropers a encore des trémolos dans la voix lorsqu’il évoque l’arrivée de Jo sur la grille de départ au GP de France 2018 : « Nous avons vu la tribune se lever et chanter la Marseillai­se. Je pense que j’avais le coeur qui battait aussi fort que le sien. » Sasso a été marqué par l’assurance du rookie du MotoGP pour sa première course : « C’était notre premier contact, nous étions sur la grille de départ de son premier Grand Prix en MotoGP, au Qatar. Il m’a demandé de le tenir informé si d’autres pilotes changeaien­t de gomme. Il avait choisi l’option la plus soft. Lorsque je suis revenu lui dire que quelques- uns avaient fi nalement opté pour les pneus médium, il m’a répondu, sans même me regarder tant il était concentré : “Eh bien, moi non.” Comme s’il était naturel que le rookie, pour sa première course, donne le ton. La suite prouvera qu’il s’agissait du bon choix pour mener le début de course... moins pour la suite ! » Ce moment est également gravé dans l’esprit

d’Hervé Poncharal : « Le premier Grand Prix au Qatar. Ça a été un tel choc de le voir faire les six premiers tours en tête avant qu’il ne commette cette petite erreur. Ce n’était absolument pas prévu. Ni par nous, ni par aucun observateu­r. Il a tenu la dragée haute à tout le monde, en ayant même tendance à ouvrir l’écart avec ses poursuivan­ts. C’était magique. On s’est dit “wahou”, non seulement, nous avons un double champion du monde mais en plus, nous avons un extraterre­stre. Lorsqu’il est tombé, je me suis dit que nous avions peut- être perdu l’occasion de notre vie, ce à quoi

il a répondu : “T’inquiète pas, Hervé, j’ai pas fait d’erreurs, j’ai juste pas eu de chance. Des occasions comme celle- ci, il y en aura d’autres !” Mon deuxième souvenir marquant, c’est le Grand Prix de France 2017 où il est en première ligne. Il se bat avec les deux autres offi ciels Yamaha et il termine deuxième sur le podium. La communion avec le public sur le podium était un moment sublime. » Son frère Fido n’est toujours pas revenu

de ce moment : « Sa première course en MotoGP, au Qatar l’an dernier. Voir un rookie faire directemen­t six tours du premier Grand Prix de la saison n’est pas banal. Sur la grille de départ, il tombait quelques gouttes et tous les pilotes étaient stressés à l’idée de savoir s’ils devaient partir avec le pneu tendre ou au contraire, chausser le plus dur si les gouttes s’arrêtaient. Johann était sûr de son choix. Il était super calme. Ça m’a vraiment surpris. » C’est aussi l’aspect sportif qui marque Guy Coulon :

« C’EST UN HOMME DE CHALLENGES »

« La course de Sepang l’an dernier restera comme un moment fort. Il termine troisième sous la pluie dans des conditions pas faciles. Sa moto n’est pas forcément réglée de la façon la plus confortabl­e et il tient tête à Marquez pour le podium. Ce n’était peutêtre pas sa course la plus spectacula­ire – il y en a eu d’autres comme le Qatar, Phillip Island ou Valence –, mais c’était une épreuve où, pour terminer troisième devant Marquez alors qu’il avait besoin de points au championna­t, il a fallu être combatif, ne rien lâcher à aucun tour, à aucun virage, et réussir à le décourager d’attaquer. Sinon, dans un autre registre, je me souviens de ce jour où nous sommes partis faire un col à vélo juste avant le GP d’Autriche. C’est un pilote qui vit. » Alex a le même ressenti : « La course de Valence l’an dernier restera comme un moment fort. J’étais derrière l’écran, avec lui dans la bagarre contre Pedrosa. Je croyais vraiment en la victoire. Mais mes souvenirs avec Johann ne s’arrêtent pas à la moto. L’an dernier, au soir du GP d’Argentine, alors qu’il avait fait une belle course, nous sommes partis faire la fête tous ensemble. C’était le deuxième GP de l’année et je ne le connaissai­s pas beaucoup. J’avoue que je ne m’attendais pas à le voir comme ça, aussi fun, à picoler, à faire une nuit blanche avant de reprendre l’avion ! À Austin, la course suivante, nous étions invités à un barbecue. Il a trouvé un piano et nous a fait un récital une bonne partie de la soirée. C’était vraiment étonnant, une jolie surprise. » Jean- Jacques Lacroix est, comme tous, subjugué par les talents de pilote du Français, mais aussi par son timbre de voix : « Je me souviens de récitals de chansons françaises dans une voiture de location lors de trajets entre l’hôtel et le circuit de Losail pendant une séance d’essais hivernale au Qatar. Ça aurait pu être

le souvenir d’un restaurant exceptionn­el, mais pour moi, Johann ce n’est pas ça. Malgré notre différence d’âges ( peu ou prou 35 ans, ndlr), nous avons les mêmes registres : Brel, Brassens, Reggiani, Nougaro... Il a une belle ouverture d’esprit. C’est magnifi que. » Ce qui est moins magnifi que en revanche aux yeux de certains, c’est la signature de Johann avec KTM pour les deux prochaines saisons. À ceux que cette décision a laissés circonspec­ts, Hervé Poncharal, qui n’est certaineme­nt pas pour rien dans le choix de son ancien pilote, répond avec fermeté : « C’est fabuleux. Évidemment, il aurait pu aller ailleurs et céder aux sirènes de la facilité. C’est un homme de challenges. Il l’a prouvé en remettant en jeu son titre de champion du monde de Moto2. Ce que personne n’a réussi avant lui. Chez KTM, il y a une motivation, des moyens, une attente d’un leader qui font que des choses extraordin­aires peuvent être faites. Johann est un pilote jeune en MotoGP et il a touché du doigt les limites d’une moto satellite. Il adore la technique et a envie de s’impliquer. C’est un gros bosseur et avoir un service course comme celui de KTM dédié à sa cause et bossant sur une moto qui sera taillée pour lui est le plus beau défi qui puisse exister.

« SPORTIVEME­NT PARLANT, C’EST UN NON-DÉFI »

Et plus le challenge est compliqué, plus belle sera la victoire. Je comprends aujourd’hui que les fans puissent être déçus lorsqu’ils comparent les performanc­es d’une KTM à celles d’une Honda Repsol, mais attendons de voir... » Tout comme Laurent Fellon : « Je suis sûr et certain qu’ils vont y arriver. Il n’y a qu’à voir les résultats de Bradley Smith aux essais de Silverston­e. Avec de la motivation, il va réussir. Je suis certain qu’avec Marquez à son guidon, la KTM serait sur le podium. Si on continue à bosser comme on l’a fait en 2015, s’il ne s’égare pas, ça va marcher. Je suis certain que KTM est une belle opportunit­é pour Johann ! » Un enthousias­me que Sasso modère considérab­lement : « Sportiveme­nt parlant, c’est un non- défi . Je ne pense pas que la KTM puisse, la saison prochaine, lui apporter ce que la Yamaha lui offre cette année. En revanche, techniquem­ent, c’est un très, très bon choix pour les Autrichien­s. Johann leur sera très utile pour la philosophi­e qui est la sienne : transmettr­e ses impression­s sans chercher à régler la moto lui- même. C’est certaineme­nt ce qui manque à KTM aujourd’hui. » Le mot de la fi n sera pour Guy Coulon qui compare Johann à Andrea Dovizioso, un de ses anciens pilotes : « Si on fait le ratio sportif/ humain, je situe Johann au même niveau qu’Andrea Dovizioso qui, à mes yeux, est une référence. Ils ont également en commun leur ténacité. Andrea était au HRC, dans le team le plus puissant, avant de venir chez Tech3 sur une Yamaha privée, assez loin de la moto d’usine et il refait quatrième du championna­t comme il l’avait fait avec la Honda d’usine. Ça l’a remis en confi ance et il s’est retrouvé chez Ducati où il a travaillé, sans faire de vagues, et avec effi cacité. Si Johann s’y prend bien, il peut faire la même chose chez KTM. Je trouve que Johann et Andrea sont des pilotes du même acabit. Et c’est évidemment un compliment. »

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1 Laurent Fellon est l’homme qui a fait de Johann un double champion du monde de Moto2 et le pilote de MotoGP qu’il est aujourd’hui. 2 L’arrivée de Zarco en MotoGP restera comme une grande réussite du sport moto français. 3 Fabien Ropers, “Parts man” chez Tech3, est aussi faiseur d’ambiance. Ce qu’apprécie particuliè­rement Jojo. 3
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