GP Racing

DAVIDE TARDOZZI QUAND JE SUIS ASSIS DANS LE GARAGE, RIEN NE M’ÉCHAPPE

Ancien pilote, fidèle de l’usine Ducati, amoureux de la course et de son métier de team manager, Davide Tardozzi est l’un des piliers de l’équipe italienne en MotoGP. Confession­s d’un homme qui transpire la passion.

- Par Manuel Pecino et Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Davide, il se dit que tu as reçu des offres pour la saison 2019 mais que tu as préféré rester chez Ducati. Est-ce vrai ? Oui, c’est vrai. Cela m’a fait plaisir, bien sûr, même si je n’ai pas parlé d’argent avec eux. Ça n’est pas une question de salaire, mais de là où tu te trouves. C’est un honneur que l’on reconnaiss­e ma valeur profession­nelle, et quand quelqu’un souhaite discuter avec moi, je n’ai aucune raison de ne pas le faire. On ne sait jamais ce que la vie peut te réserver. Mais bon, il serait à présent très diffi cile pour moi de faire ce boulot ailleurs car Ducati m’a beaucoup apporté. Je suis une personne loyale. J’ai de la reconnaiss­ance pour ceux qui m’ont permis de devenir une personne importante dans cet échiquier, pour ceux qui m’ont offert cette opportunit­é et qui ont la reconnaiss­ance de mon travail. J’ai quitté une fois Ducati parce que je ne me sentais plus en harmonie avec eux, j’étais dans une position inconforta­ble. Heureuseme­nt, j’ai eu la chance d’y revenir, ce qui fut pour moi comme une renaissanc­e.

Vue de l’extérieur, on se dit que la saison 2018 n’a pas dû être facile à gérer. Comment l’as-tu vécue ? Je pense que les gens n’ont pas eu cette perception. Diriger Andrea Dovizioso et Jorge Lorenzo a été très simple. Évidemment, l’accident et la blessure de Lorenzo en fi n de saison ont été malheureux, mais le management n’a pas été problémati­que. Les journalist­es ne l’ont parfois pas bien compris. Il n’y a pas eu de problèmes dans le team. Et rien n’a été compliqué.

Toujours de l’extérieur, on a eu l’impression que le parcours de l’équipe Ducati tenait des montagnes russes. Au top entre le Mugello et Silverston­e, puis le reste avec des hauts et des bas... Comment était-ce de l’intérieur ? Là encore, je n’ai pas la même vision. À propos des montagnes russes, nous étions effectivem­ent dans le Top 3 jusqu’à Silverston­e. D’ailleurs, si la course avait eu lieu, nous aurions certaineme­nt terminé sur un nouveau doublé. C’est vrai qu’en début de saison il y a eu des Grands Prix diffi ciles. Sur des circuits comme Termas de Rio Hondo et Austin, où nous aurions dû être performant­s, nous avons eu des problèmes que nous n’attendions pas. Il y a eu aussi ces chutes à Jerez et au Mans qui nous ont coûté beaucoup de points. Bien évidemment, dans le box, tu vis ça avec l’émotion et la passion qui nous animent. Pour nous, ça n’est pas un travail mais une mission. Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour nous mais aussi pour tous ceux qui aiment Ducati. Quelqu’un qui vient chez nous comprendra rapidement qu’il n’y a pas de préférence pour un pilote ou pour un autre. Et quand un pilote donne tout sur la piste, il le fait aussi pour nous. C’est notre différence. On vit chacun nos vies mais nous sommes tous mus par la même passion, le même désir de donner le meilleur. Et dans cet engagement, il y a aussi le pilote.

Quand ça se passe moins bien, comment gérez-vous la frustratio­n ? Comment se vit alors cette passion ? Il n’y a pas de frustratio­n car nous connaisson­s notre force. Quand on est battus, qu’on fait mal les choses, il n’y a pas de place pour la frustratio­n. Il faut chercher les solutions pour être meilleurs la course d’après, ou même le tour d’après. J’ai trouvé chez Jorge cette déterminat­ion. Sa première saison chez nous aurait pu le détruire mentalemen­t. Ça n’a pas été le cas. Il a toujours trouvé la force et les ressources pour réagir. Il a toujours trouvé l’énergie pour continuer à se battre, pour essayer. Et la seconde partie de la saison lui a permis de faire de belles courses. Après ce qui lui est arrivé au Mans en 2017, par exemple, un pilote de son calibre aurait pu sombrer. Après dix minutes, il avait tourné la page et s’était préoccupé de la course suivante. C’est cette approche que nous avons chez Ducati.

Qu’as-tu appris avec Lorenzo ?

C’est quelqu’un qui ne renonce jamais. Je pense être une personne qui ne baisse pas les bras, mais Jorge est encore plus déterminé. Il nous a convaincus qu’il pourrait obtenir les résultats qu’il visait. Il l’a fait. Il m’a fait changer de mentalité. Je dirais même qu’il nous a fait changer de mentalité puisque l’on parle de Ducati.

Et Dovizioso ? En 2018, il a finalement gagné moins de courses qu’en 2017... Il en a moins gagné aussi parce que Jorge a signé plusieurs victoires. Mais si je ne dis pas de bêtises, il termine encore deuxième du championna­t, non ? On a eu une équipe solide. S’il a remporté moins de courses, c’est parce qu’il a commis des erreurs en début de saison. Et ce qui s’est passé sur la première partie du championna­t a conditionn­é la suite. Si nous n’avions pas perdu autant de points en Argentine et au Texas, nous serions rentrés en Europe en deuxième position. À Jerez, on s’est retrouvés à 49 points de Marquez. Ça a perturbé mentalemen­t Dovi qui avait toujours été habitué à marquer des points à chaque course. Je pense également que son erreur du Mans l’a beaucoup plus affecté que ce qu’il ne pense. Comment dire... Cela a miné sa confi ance. Mais Andrea est aujourd’hui un pilote complet, c’est un champion. On savait que c’était un top pilote, mais beaucoup doutaient qu’il puisse faire ce qu’il a réalisé lors des deux dernières saisons. N’oublions pas que le gars qui le précède au classement s’appelle Marquez. Aujourd’hui, Dovi est le principal adversaire de Marc.

As-tu pensé l’an dernier que le titre était encore jouable, notamment durant l’été, quand vous avez enchaîné les victoires en République tchèque et en Autriche ? On a toujours su que ça serait diffi cile, surtout face à Marc. Cela dit, après nos succès durant l’été, il aurait été idiot de penser que c’était fi chu. Oui, nous y croyions encore. Nous devons respecter Marc et sa Honda, mais baisser les bras et renoncer ? Jamais.

Tu as travaillé avec de nombreux pilotes, certains difficiles comme Iannone. Comment est-ce de diriger Dovi ? Dovi n’est pas seulement un pilote, c’est aussi quelqu’un de très intelligen­t. Il a confi ance en lui et a beaucoup de capacités. Quand tu travailles avec une personne sûre d’elle et de ses choix, c’est assez facile. Quand tu débats avec un pilote comme lui, mieux vaut en dire moins que plus. Je ne cache pas qu’il m’a fallu du temps pour gagner sa confi ance. Dovi ne se dévoile pas facilement en tant que personne.

Un bon manager est quelqu’un qui doit avoir de bonnes connaissan­ces de la psychologi­e. Comment fait-on pour travailler avec des pilotes aussi différents que Dovizioso, Lorenzo ou Iannone ? Il faut essayer de les connaître du mieux possible et comprendre comment ils fonctionne­nt, pensent et agissent. Il faut aussi être capable de cerner leur propre environnem­ent. Et puis il faut connaître le pilote et le monde dans lequel il vit.

C’est la même chose avec les mécanicien­s ?

Tout à fait, c’est pareil avec toutes les personnes qui composent notre groupe de travail. Même les mécanicien­s.

Tu as le temps de penser à eux ?

Bien sûr. Quand je suis assis dans le garage, rien ne m’échappe. J’observe et je regarde qui parle avec qui, qui fait quoi et comment. Un petit problème dans le garage peut avoir des conséquenc­es sur les résultats de l’équipe. Il faut être capable de les anticiper en observant la vie du groupe. Je dois dire que c’est une partie de mon job que je trouve passionnan­te. J’adore regarder les mecs bosser ensemble à dix centimètre­s les uns des autres sans se gêner. Ils n’ont pas besoin de se parler, juste de s’aider. J’ai toujours pensé que travailler avec les dix meilleurs mécanicien­s du paddock ne suffi t pas à composer la meilleure équipe. Il faut trouver la bonne personne à mettre à la bonne place.

Parlons de Petrucci. Nombreux sont ceux à douter de sa capacité à assurer la suite de Lorenzo. Puisqu’on parlait de psychologi­e, dans quelle mesure son équipe va-t-elle devoir le protéger pour gérer cette pression ? Danilo va conserver l’équipe technique qui était la sienne l’an dernier. La moto, il la connaît aussi. Ce qui va changer pour lui, c’est son environnem­ent de travail, les personnes à qui il va devoir parler, le nombre de technicien­s qui seront là pour l’aider. Vous n’imaginez pas combien il est parfois simple de prendre un pilote qui ne va pas forcément bien et de le mettre devant.

Un dernier mot sur deux personnage­s clefs de ce championna­t : Marquez et Rossi. Quel est ton point de vue sur ces deux champions ? Marc est un pilote unique, il a un talent énorme, il est intelligen­t, persévéran­t et a l’humilité de toujours chercher à apprendre. Je l’admire et je pense qu’il peut encore progresser même si, forcément, il arrivera lui aussi à ses limites. Pour ce qui est de Valentino, je dirais que c’est Marc avec quinze ans de plus. Il est l’un des pilotes qui, comme Marc, regarde toujours vers le futur et ne reste pas dans le présent. La plupart des pilotes prennent les courses les unes après les autres. Ils anticipent ce que vont faire leurs adversaire­s dans cette course. Eux savent ce qu’il va se passer dans la course suivante, et dans la prochaine. Ils ont eu une vision beaucoup plus large de la compétitio­n. Dovizioso est aujourd’hui l’un de ces pilotes capables de voir loin. Il a désormais la capacité de comprendre ce que ses adversaire­s vont tenter le coup d’après.

Tu penses que Valentino peut encore gagner ?

Je pense qu’il est encore très compétitif.

CE N’EST PAS UN TRAVAIL MAIS UNE MISSION. C’EST NOTRE DIFFÉRENCE. NOUS SOMMES TOUS MUS PAR LE MÊME DÉSIR

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