GP Racing

Interview John Hopkins .....

Personnage et pilote hors normes dans le paddock, John Hopkins a brûlé sa vie par les deux bouts. Nous l’avons croisé, il nous a parlé sans retenue.

- Par Eric Johnson. Photos Jean-Aignan Museau et Gold&Goose.

Personnage atypique, brillant et miné par l’alcool.

John, la première fois que je vous ai rencontré, c’était au El Cajon Speedway, en 2002, vous y rouliez en motocross. J’étais très impression­né par votre talent, vous souvenez-vous de ce circuit ? Oui, il était au sud de Perris, j’ai beaucoup appris en y allant. Mais à 15 ans, j’ai dû faire un choix, devenir pro en MX ou en vitesse.

Jusqu’où êtes-vous allé en motocross ? Je courais en 125 cm ³ au niveau intermédia­ire. Je commençais tout juste à faire quelques courses en expert. À 15 ans, j’ai eu le choix de rouler pour le team Green, sans être payé, ou de faire de la vitesse chez John Ulrich mais là, il y avait un contrat de 40 000 $. Je n’ai pas hésité une seconde. Mais j’étais vraiment un mordu de cross et j’avais participé aux courses nationales les plus importante­s. Je suis monté deux fois sur le podium, à Ponca City et Loretta Lynn’s.

En dehors de l’argent, y a-t-il eu quelque chose qui ait fait pencher la balance pour la vitesse ? Bien sûr. Avant que mon père ne soit victime d’un cancer du poumon, il m’a emmené à Willow Springs. C’est là que j’ai pris le guidon d’une RS 125 pour la première fois. J’avais 12 ans. Rouler à 180 km/ h, il n’y avait rien de plus cool au monde. L’adrénaline et le plaisir que j’ai eu à piloter cette moto ont été déterminan­ts. À partir de là, le cross est passé au second plan. J’ai commencé à rouler à Willow Springs car j’étais trop jeune pour m’engager sur les courses de vitesse. Aucune organisati­on ne me permettait de faire de la compétitio­n. Entre 12 et 14 ans, j’y passais des journées de roulage toutes les semaines sur des 125. À 15 ans, John Ulrich m’a offert une place dans son team et j’ai commencé à courir pour lui, et également pour le team Valvoline/ EMGO/ Suzuki. En 2000, j’ai remporté le championna­t de Superbike américain en 750 cm ³ avec John, et l’année suivante, le championna­t Formula Extreme.

Pendant la saison 2000, alors que vous rouliez en 750, Peter Clifford du team WCM MotoGP vous fait venir pour tester la 500. Et alors ? Le team WCM cherchait un jeune pilote américain. C’était le souhait de leur sponsor, Red Bull, et de Peter Clifford. John Ulrich était un bon ami de Peter et il lui a parlé de moi. Je venais juste d’apprendre à piloter une 750, et je me retrouvais dans un avion direction la République tchèque pour tester une machine de GP ! Comment était la moto ? À part le fait qu’on aurait dit un interrupte­ur – la puissance de freinage, l’accélérati­on et la puissance étaient incroyable­s –, le premier essai s’est plutôt bien passé. J’ai fait des tours de piste sans chuter. Le circuit de Brno me paraissait si grand que je ne savais pas comment l’aborder. Il a fallu que j’attende les gars en piste pour suivre leurs trajectoir­es. J’ai à peine exploré le potentiel de la moto, sinon j’aurais brûlé les pneus jusqu’aux jantes. Pourtant, je n’étais qu’à quatre secondes des meilleurs chronos à l’époque.

Vous avez fait partie de l’équipe Suzuki six années de suite en MotoGP, de 2002 à 2007. Pourquoi y être resté si longtemps ? En vitesse, comme en motocross, Suzuki a toujours eu ma préférence et quand on m’a donné la chance de rouler au plus haut niveau dans leur team d’usine, c’était un rêve de gosse qui se réalisait. Entre 2002 et 2007, il y a eu de nombreux changement­s. Les quatre- temps ont fait leur entrée dans la catégorie reine, c’était une période de développem­ent particuliè­re pour toutes les usines. Malheureus­ement, Suzuki était loin d’avoir le même budget que Honda ou Yamaha, du moins à cette époque. Les premières années ont été très diffi ciles. Je me souviens d’être allé faire des tests pour l’électroniq­ue, et de ne pas avoir pu monter sur la moto qui est restée mise à nu dans le box toute la journée. De très nombreuses fois, nous avons essayé toutes sortes de régulateur­s électroniq­ues, de systèmes d’antipatina­ge et de freins moteur. Les deux premières années ont été pleines de désillusio­ns. J’étais très frustré parce que je savais que je pouvais me battre pour une bonne place sur de nombreux circuits où nous étions allés plus tôt. La plupart du temps, j’allais au- delà des limites de mes machines parce que je voulais être devant les pilotes Honda et Yamaha alors que c’était juste impossible. Ça m’a causé de nombreuses chutes et de multiples blessures. Me donner à 110 % a toujours été ma façon de faire !

Puis la saison 2007 est arrivée, avec une très bonne moto qui vous a permis de monter quatre fois sur le podium... Suzuki avait conçu une très bonne 800 cm ³ . Les années précédente­s, nous nous étions habitués à devoir augmenter notre vitesse dans les virages parce que l’on avait une accélérati­on et une vitesse de pointe

plus faibles que les autres machines. Au début de la nouvelle saison 2007, notre moteur était toujours un peu moins puissant que ceux des concurrent­s, mais la partie- cycle était fantastiqu­e. Avec les 800, il fallait pouvoir exploiter la moto à son maximum en virage. Avec la Suzuki 2007, c’était différent. Il suffi sait de garder une vitesse élevée. On pouvait donc être plus coulé et plus effi cace. En bref, c’était plus facile. D’ailleurs, on est monté sur notre premier podium en Chine et on a fait une très belle saison.

Pourquoi avoir quitté Suzuki pour Kawasaki ?

Pour de nombreuses raisons. J’en étais arrivé à ce point de ma carrière où j’avais besoin d’un changement et de nouveaux défi s. Avec Suzuki, j’avais l’impression que je n’arrivais plus à évoluer. On avait fait de belles choses en début de saison – la moto était super à peine sortie de sa boîte – mais notre niveau a fi ni par être rattrapé et un écart s’est à nouveau creusé à notre désavantag­e en termes de développem­ent. Malheureus­ement, je pensais qu’on allait encore rester au même niveau de performanc­e alors que les autres continuera­ient de s’améliorer. Kawasaki parlait alors de revenir et d’investir jusqu’à leur dernier centime dans le projet MotoGP. Ils m’ont dit que si je courais pour eux, je serais leur pilote numéro un et que la moto serait conçue autour de moi. On m’a promis beaucoup de choses...

À peine le projet Kawasaki était-il lancé qu’il était voué à l’échec, on pourrait en faire tout un article, mais ça sera pour un autre jour. En revanche, pourriez-vous nous parler de cette chute au guidon de la Ninja ZX-RR sur le Dutch TT à Assen ?

En fait, j’avais déjà chuté plus tôt dans la session. J’ai couché la moto et me suis retrouvé dans les graviers. La chute n’était pas spectacula­ire, mais j’étais incapable de rapporter la moto dans les stands. Ce sont les mécanicien­s qui l’ont ramenée au garage et qui se sont mis à travailler dessus. Il y avait des graviers partout, dans le carénage, etc. Les gars l’ont nettoyée du mieux possible et ont fait tout ce qu’ils pouvaient. Ils ont ( re) préparé la moto, je l’ai enfourchée et suis retourné sur la piste. Au premier tour lancé, je n’ai pas eu un bon feeling avec l’avant. Mon mental n’était pas au mieux et je me suis dit : « Soit je me mets par terre, soit je fais un bon chrono. » Je suis tombé dans le virage le plus rapide du circuit. En récupérant les données, on a découvert qu’au moment de la chute, le compteur affi chait 270 km/ h. On pensait que la fourche avant en était la cause, qu’elle ne s’était pas compressée en entrant dans le virage. Un gravier avait dû s’y glisser lors de la première chute. Avant que je ne me rende compte de quoi que ce soit, je glissais sur le dos. J’allais tellement vite que je fl ottais au- dessus des graviers, je ne les ai même pas touchés à ce moment- là. J’ai fi ni ma glissade contre une barrière solide Armco, non- protégée. La seule chose qui me séparait de l’acier était un panneau Cinzano de 15 cm d’épaisseur. J’ai heurté la barrière Armco qui m’a projeté 6 mètres en arrière dans le bac à gravier. Bilan, une cheville fracturée et le genou gauche explosé. Finalement, j’ai été plutôt chanceux.

Cette chute a-t-elle marqué la fin de votre carrière en MotoGP ?

Ça y a certaineme­nt mis un frein. À ce moment- là, non seulement j’avais eu cet accident, mais je devais aussi gérer des problèmes personnels. En 2007, j’étais le fêtard du paddock. Pendant toute ma carrière en MotoGP, c’est une réputation qui m’a collé à la peau. Ça m’a coûté des guidons dans les meilleures usines du plateau de l’époque, Yamaha, Honda, etc. Ça ne me posait pas de problème parce que je voulais rester loyal à Suzuki. Ensuite, en signant chez Kawasaki, je voulais rester l’outsider. Les autres avaient déjà fait leurs preuves sur une Honda, avaient gagné des championna­ts du monde sur cette moto ou sur une Yamaha. Moi, je voulais la machine sur laquelle personne n’avait encore gagné de course, ni de couronne. Je voulais sortir des chemins battus. Mais comme je l’ai dit, je ne me suis jamais privé de faire la fête pendant ma carrière. 2007 a été la pire année, j’ai atteint de nouveaux sommets. Je sortais après chaque week- end de course, surtout après les podiums. On a fi ni par s’en mettre une bonne après chaque Grand Prix. Si je m’entraînais plus dur que n’importe quel pilote du paddock, je faisais aussi la fi esta plus que n’importe qui.

Je me souviens qu’à Laguna Seca en 2008, vous aviez déclaré vouloir vivre comme Barry Sheene et les gars de l’époque, profiter de la vie en quelque sorte. Mais les choses ont dérapé ?...

Oui, en Grands Prix, on a un emploi du temps de fou, un rythme que j’ai dû suivre dès que j’ai eu 18 ans. En buvant et en sortant plus que n’importe quel autre pilote du paddock, j’ai fi ni par user mon corps et mon mental. En 2008, quand les choses ont empiré, je faisais toujours la fête, mais je n’avais plus de raisons de la faire. C’était plutôt pour me soulager. À cette période, je ne voulais pas prendre d’analgésiqu­es contre la douleur donc je buvais pour me sentir mieux. En 2008, je ne pouvais plus vivre sans alcool. Boire m’aidait aussi à supporter le désastre Kawasaki, week- end après week- end. Je buvais comme un malade pour me débarrasse­r de l’anxiété, du désespoir, de tout... Les choses ont continué comme ça jusqu’en 2009. En prime, je collection­nais les blessures, ma vie personnell­e partait en vrille, tout comme ma carrière. Il était temps de redevenir sobre sinon, j’allais tout perdre. Ça a été un grand tournant dans ma vie. Il y a certaines choses que j’aurais voulu éviter et d’autres que j’aurais préféré ne pas faire. Mais pour être tout à fait honnête, je ne regrette rien. Parce que c’est justement tout ce que j’ai vécu qui a fait qui je suis aujourd’hui. Ça n’aurait pas été le cas si j’avais continué à mener la vie que j’avais. L’alcool allait causer ma perte, et vu la consommati­on qui était la mienne, ça ne pouvait que mal se terminer.

Vous êtes passé à 6 millièmes du couronneme­nt en Superbike britanniqu­e en 2011, on en a également beaucoup parlé ?

J’ai raté le titre Superbike Britanniqu­e de si peu en 2011... Alors oui, il y a eu des couacs avec les mécanicien­s et d’autres choses se sont passées en piste tout au long de la saison que j’aurais préféré éviter. Mais il faut rester positif. Ce n’était simplement pas mon tour de gagner. C’est un très bon championna­t, le meilleur des Superbike nationaux et de loin, les spectateur­s y affl uent, c’est un beau spectacle. Je suis ravi d’en avoir fait partie, surtout chez Suzuki.

John, vous êtes anglo-américain, votre père était Britanniqu­e. Comment était-il et quelle a été son influence sur votre carrière ?

Mon père a fait de la compétitio­n quand il était jeune mais n’a jamais vraiment percé. Il n’avait pas une bonne relation avec ses parents et a dû se débrouille­r seul très tôt. Il s’est acheté une moto et a participé au Junior TT de l’île de Man. Il était son propre mécano et a même menti à propos de son âge. Bien sûr, il a été disqualifi é. Peu après, il a rencontré ma mère qui n’était pas une grande fan de moto. Il a donc mis un terme à sa carrière assez rapidement. C’est sûrement la raison pour laquelle elle ne m’a jamais empêché de piloter. Même après la mort de mon père. Elle s’est investie à 110 % pour que je puisse faire de la piste, sûrement par culpabilit­é vis- à- vis de lui. D’après ce qu’elle m’a dit, il était plutôt doué. Il a toujours aimé les motos et m’a refi lé le virus après s’être installé aux États- Unis. On est arrivé alors que ma mère était enceinte de moi. Ce pays est tellement différent de l’Angleterre. Il y a des déserts où l’on peut faire de la moto, du dirt- bike, où l’on veut, quand on veut, et on ne s’en est pas privé. On allait souvent camper dans le désert.

John, revenons à une autre grosse expérience. Qu’avez-vous ressenti au guidon de la Suzuki 500 cm³ deux-temps en 2002 ?

Ces motos étaient incroyable­s. Rouler sur une 500 2- temps a été l’un des temps forts de ma carrière. Peu de personnes ont eu le privilège de piloter une telle machine toute une saison en MotoGP. Beaucoup disent que c’est arrivé trop tôt, mais moi, je n’en retire aucun regret. C’est l’une des plus belles expérience­s que j’ai vécues dans ma vie. C’était une bête sauvage. Une moto impossible à dompter aux yeux de beaucoup, mais avec laquelle j’ai eu la chance de fi nir deux fois « premier deux- temps » en 2002, donc pour moi, le bilan a été plutôt positif.

John, en ce printemps 2019, comment allez-vous et comment va votre santé ?

Mes genoux vont mal depuis un an et demi. J’avais espéré qu’ils guériraien­t vite et seraient à 100 %, mais suite aux nombreuses opérations chirurgica­les que j’ai subies tout au long de ma carrière – la dernière était la 36e ! –, je n’ai récupéré que 75 % d’amplitude de mouvement à droite et 90 % à gauche. Rouler à fond n’est donc plus une option maintenant. Je dois plutôt penser à réorienter ma vie.

Lorsque vous parlez de vie après la course, avez-vous des pistes en vue ?

Oui, le fait d’avoir été coureur depuis l’âge de cinq ans devrait m’ouvrir quelques portes dans le milieu. La Dorna me fait faire un podcast MotoGP tout au long de la saison. C’est un autre job mais quand le buzz est là, cela génère aussi pas mal d’adrénaline. Un peu comme en course en fait... En tout cas, j’apprécie vraiment. Et puis j’ai reçu l’offre de conduire la voiture de sécurité pendant le BSB. Je vais regarder ça de plus près ! J’ai toujours aimé conduire et la course automobile m’intéresse également, alors pourquoi pas tester ça aussi...

Que pensez-vous du MotoGP en 2019 ?

C’est mieux que jamais. La Dorna a vraiment nivelé le terrain techniquem­ent et a réussi à égaliser les chances de tout le monde. Aujourd’hui, le MotoGP est plus compétitif que jamais. Les courses sont bien plus serrées. On dirait du Moto3 !

Quand vous regardez dans vos rétroviseu­rs, que pensez-vous de votre héritage MotoGP et des choses vraiment cool que vous avez faites ?

En regardant derrière moi, je suis assez fi er de m’être retrouvé sur le podium en 2007 et d’avoir terminé quatrième du championna­t du monde cette même année. En 2008 et 2009, les blessures ont un peu tout gâché. Néanmoins, aujourd’hui, je reste fi er de ce que j’ai accompli avec Suzuki en MotoGP. C’est un peu ma famille. Sinon, je garderai aussi en mémoire le fait d’avoir eu le privilège de piloter une 500 deux- temps une saison complète. En résumé, j’aime ce sport, je l’ai toujours aimé, et je suis fi er de ce que j’ai accompli.

EN 2008, JE NE POUVAIS PLUS VIVRE SANS ALCOOL. ET CE N’ÉTAIT PAS SEULEMENT UN ANTIDOULEU­R

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2 2 Il monte à quatre reprises sur le podium (ici à Valence avec Pedrosa et Stoner)
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3 et termine la saison à la 4e place finale.
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