GP Racing

Interview Antonio Jimenez ..

La veille des essais du GP du Qatar, nous nous sommes entretenus avec Antonio Jimenez, le nouveau chef ingénieur d’Aleix Espargaro, histoire de faire le point sur l’état de forme d’Aprilia.

- Par Thomas Baujard. Photos Gold& Goose et Andrea Zoccarato.

Le chef ingénieur d’Aleix Espargaro se livre.

Bonjour Antonio, tu as une grosse expérience des Grands Prix. Peux-tu brièvement nous résumer ta carrière s’il te plaît ? J’ai commencé en 1989, donc ça fait pile 30 ans. En MotoGP, j’ai connu un petit passage à vide de 4 ans. Parce que j’avais commencé le développem­ent avec Yamaha en 2000 pour le début de la catégorie en 2002. Jusqu’en 2014, j’ai oeuvré en MotoGP. Et puis je me suis consacré au Moto2 parce qu’il n’y avait pas vraiment d’opportunit­és qui me motivaient. Et voilà, quatre ans après, Aprilia m’a contacté pour essayer d’avancer avec ce projet qui est vraiment un challenge super intéressan­t pour moi.

Aprilia, c’est une part importante de l’histoire de la course moto, avec une flopée de titres en 125 et 250, plus le passage de pilotes mythiques tels que Rossi, Biaggi, Reggiani... Tu dois être fier d’occuper l’un des postes clés de ce team en catégorie reine... C’est sûr que c’est toujours une fi erté d’être dans un team offi ciel. Aprilia n’est sûrement pas la plus grosse usine en MotoGP, mais bon, c’est un beau challenge qui nous attend. Aprilia a gagné beaucoup de titres dans le passé avec les moteurs 2- temps. Ils ont tout arrêté en Superbike pour pouvoir renforcer au maximum leur projet MotoGP, car ils veulent absolument y arriver. Il y a une vraie volonté de faire les choses au mieux. Ça prendra du temps, certaineme­nt, tout ne va pas se faire en deux jours mais enfi n, on est sur le bon chemin.

Tu arrives chez Aprilia dans un team MotoGP qui a eu du mal jusqu’à cette année. Qu’est-ce qui te fait penser que vous pouvez être compétitif­s en 2019 ? Déjà, le fait d’avoir un pilote comme Aleix Espargaro, qui entame sa troisième année chez Aprilia et qui donne toujours le maximum avec ce qu’il a. Il l’a démontré au fi l du temps. Et puis il y a Andrea Iannone, dont le potentiel est énorme. Nous avons donc deux pilotes d’un niveau très similaire, et ça, ça permet d’avancer énormément. C’est sûr qu’après, il faut de l’argent, des pièces et un développem­ent qui suive. Mais nous avons une base saine pour bien démarrer.

Jusqu’à l’an dernier, Romano Albesiano était à la fois directeur technique et directeur du team. Penses-tu que l’arrivée de Massimo Rivola va vraiment changer les choses ? Déjà, ça lui libère du temps. Il n’a plus besoin de se tracasser avec la partie politique. Il n’a plus à se préoccuper que de technique, ce qui est positif. Et puis Massimo a une énorme expérience en Formule 1, dont il va essayer de nous faire profi ter. Tout le monde sait que la F1, ce n’est pas la moto, mais il a un tas d’informatio­ns en tête, et sur la méthode comme le système de fonctionne­ment du team, il peut nous apporter beaucoup.

Tu travailles avec Romano. Tu t’entends bien avec lui ? Ici, on bosse avec tous les ingénieurs, et le directeur technique est présent à toutes les réunions. On travaille tout le temps ensemble. Il est très technique, c’est un ingénieur de l’ancienne école. Tous ceux qui ont une cinquantai­ne d’années ont une autre expérience. Mais il est enrichissa­nt d’écouter les gens qui ont cette expérience. Il est aérodynami­cien de formation, mais ses compétence­s ne s’arrêtent pas là. Il consacre beaucoup d’intérêt et d’énergie à l’électroniq­ue.

AU QATAR, ALEIX SIGNE UNE 10E PLACE. CE QUI TÉMOIGNE DES PROGRÈS DE L’USINE ITALIENNE

Tu as déjà travaillé chez Gresini avec des Honda Satellite. Quels sont les atouts de ce team, qui effectuent l’encadremen­t technique sur les circuits ?

L’approche est tout autre que celle que l’on avait avec Gresini pour Honda. Parce que lorsque tu travailles avec des Japonais, le système n’est pas le même. Tout est préparé à l’avance. Et dans le cas d’un team satellite, la méthode adoptée est identique à celle du team offi ciel. Ici, c’est différent. Ni mieux, ni pire, juste différent. Il y a peut- être un peu plus d’improvisat­ion. Et puis c’est une usine plus petite, et les choses arrivent parfois un peu plus tard. Avec le HRC, les choses prévues arrivent en temps voulu. Ici, c’est un peu plus diffi cile à ce niveau, mais pas impossible. Moi, je peux leur expliquer toutes ces années passées chez Yamaha et chez Honda, leur méthode de travail, et ça les enrichit aussi.

Quand tu parles de ta méthode, elle est différente de celle des autres chefs ingénieurs ?

Je ne sais pas. Je crois que tout le monde a sa méthode. Avec ses bons et ses mauvais côtés. Je sais que l’an dernier, Aleix a rencontré quelques problèmes avec son chef mécano, et il a dû en changer à partir de Misano. C’est sûr que ça, ça n’aide pas. Bon, maintenant, il est parti sur une nouvelle ligne avec moi. Il sait que ça va durer au moins pendant deux ans, donc ça lui donne confi ance. De toute façon, il était super content que ce soit moi qui vienne ici. Je crois qu’il a poussé un maximum pour que je vienne, donc déjà là, la confi ance existe.

Lors d’une visite à Noale l’an dernier, Romano expliquait que le départemen­t course comptait 70 ingénieurs dévoués exclusivem­ent au MotoGP. Pourtant, face à Yamaha, Ducati et Honda, le V4 Aprilia manquait jusqu’ici cruellemen­t d’accélérati­on et de vitesse de pointe...

J’ai énormément de choses à découvrir. Mais tout ça est dû à beaucoup de paramètres qu’il faut étudier. Ce que je peux te dire, c’est que lors des essais réalisés en Malaisie et ici au Qatar, on avait une moto qui n’allait pas trop mal. Une moto qui est quand même assez bien équilibrée, surtout au niveau partie- cycle. Et puis tu sais que le moteur est très lié à l’électroniq­ue, et l’électroniq­ue au moteur. Donc il faut essayer de bien comprendre les points à améliorer. Parce que le caractère d’un moteur, tu ne peux pas le changer. Avec l’électroniq­ue, tu peux juste affi ner, arrondir son fonctionne­ment. Mais tu ne peux pas tout faire. Il faut commencer par identifi er d’où vient le problème, et travailler ensuite. Pour moi, tout est nouveau, mais on a une direction, une idée. Il va toutefois devoir être patients : nous sommes au début d’un nouveau projet avec de nouvelles personnes, et tout mettre en place prend du temps.

Cette année, dès Sepang, Aleix Espargaro a semblé plus rapide. Non seulement sur un tour avec le 6e chrono, ce qu’il était quasiment déjà parvenu à faire l’an dernier. Mais aussi en rythme de course, ce qui est une vraie nouveauté. À quoi attribues-tu cela ?

C’est sûr que notre moto s’est améliorée par rapport à celle de la fi n 2018. Je pense aussi que l’expérience d’Aleix progresse, et j’espère que le fait que je sois arrivé dans le team lui a apporté plus de confi ance en lui. Je crois que la méthode que j’utilise avec lui est intéressan­te. Depuis que nous avons commencé à travailler ensemble – soit à Valence, Sepang, et aux essais du Qatar –, tout s’est très bien passé. Il est organisé, attentif, conscienci­eux, il se comporte super bien. Il ne fait jamais de tours lents, que des tours rapides. Et ça, pour moi, c’est la clé d’un très bon chrono, sur un tour comme en simulation de course.

Aleix Espargaro est un vrai pilote de course, qui donne tout et risque 100 % pour la performanc­e. Mais il traîne aussi une réputation de « princesse » qui refuse de rouler en essai privé quand il pleut, et pleurniche facilement dès que les choses vont de travers. Quelle est ta perception du bonhomme ?

Je ne suis pas d’accord : il a toujours fait tout ce que je lui ai demandé. Et j’ai même dû le freiner, parce qu’en Malaisie,

il a bouclé deux simulation­s de course. Et il était prêt à en faire plus, à rouler plus encore, et pourtant, il était épuisé, il avait les mains détruites. Sa fatigue, on la perçoit dans ses données. C’est le premier test de la saison. Les pilotes en veulent un maximum. À un moment, tu vois qu’ils sont un petit peu fatigués, mais ils continuent quand même à mettre du gaz. Aleix ne pleurniche pas, mais comme tous les pilotes, quand les choses ne vont pas comme il veut, il rentre dans le box avec l’adrénaline à fond.

Ce genre de question permet de démonter quelques idées reçues, et révèle peut-être les jalousies qui traînent dans le paddock...

Moi aussi, j’avais une image un peu différente du personnage au départ. Mais là, il m’a démontré totalement le contraire. Je ne sais pas pourquoi il traîne cette réputation. C’est un gars qui travaille super bien.

De l’autre côté du box, Andrea Iannone est lui aussi rapide, mais il s’est illustré une nouvelle fois à Sepang avec son opération de chirurgie esthétique trop fraîche qui l’a empêché de rouler. Dans quelle mesure les données de ce pilote peuvent t’aider à faire progresser la RS-GP ?

C’est sûr que ce n’est qu’à partir de maintenant qu’on va pouvoir réellement collaborer. On fait les réunions ensemble, donc on ne se contente pas de regarder ses données. Si on veut évoluer, c’est la seule façon de faire. Andrea et Aleix travaillen­t plus ou moins tous les deux dans la même direction. Et veulent absorber l’informatio­n que l’autre veut apporter. Le potentiel d’Andrea est grand : c’est un pilote super rapide, qui a déjà gagné en MotoGP.

Pour la première fois depuis le début du programme RS-GP, vous disposez d’un pilote essayeur quasiment au niveau de vos pilotes officiels en la personne de Bradley Smith. En quoi Bradley vous a-t-il aidé jusqu’ici, et que peut-il apporter par la suite ?

Ce n’est pas compliqué. À Jerez, Aleix était indisposé pour un problème à l’estomac, et j’ai dû faire trois jours d’essais avec Bradley. Et puis j’ai fait le test de Sepang 0 ( le shakedown, ndlr), les trois jours aussi avec lui. Tout le monde le sait : c’est un gars super calme, super gentil, super technique. Il apporte énormément. Je pense que les résultats qui arriveront dans le futur le seront grâce à Bradley. C’est un vrai pilote MotoGP, pas un pilote d’essai. Aprilia va lui laisser l’opportunit­é de disputer cinq wild cards dont une ici. Il est super motivé, il va donc nous apporter énormément.

Vois-tu quelque chose dans l’organisati­on du team ou la méthode de travail qui, selon toi, mériterait d’être amélioré ?

Sincèremen­t, il est trop tôt pour le dire. Là, on va commencer le Grand Prix. Peut- être pourrais- je te répondre dans deux ou trois courses.

Le MotoGP n’a jamais été aussi compétitif qu’aujourd’hui, avec 6 teams d’usine, 16 motos d’usine de l’année si l’on compte Tech3, Cal chez LCR, et Miller chez Pramac. Plus six excellente­s machines satellites pour compléter la grille. Cela doit mettre à tout le monde un surcroît de pression pour réussir...

Ah ben là, de toute façon, ça va être diffi cile. Rentrer dans la Q2 est une mission presque impossible. Mais bon, ça va être super intéressan­t, parce que je crois que vraiment, cette année, le niveau est très, très relevé. Et même si tout le monde sait que Marquez, sur le papier, est le pilote à battre, il n’est pas sûr de remporter le titre cette année. Parce que Suzuki et Rins ont fait une fi n de saison incroyable. Petrucci a un grand potentiel et doit démontrer qu’il a sa place dans le team d’usine. Quant à Dovi, j’espère que ce coup- ci, il va pouvoir saisir l’opportunit­é qui s’ouvre à lui. Et puis il ne faut pas oublier Viñales et pourquoi pas Valentino.

Avec KTM, Aprilia est désormais le seul team à bénéficier de concession­s, ce qui vous permet de ne pas être limités sur le développem­ent moteur en cours de saison. Romano a promis d’importante­s évolutions. Qu’attends-tu en priorité pour le V4 ?

Ce qu’on attend, c’est un moteur avec un caractère différent. Je ne dis pas que ça va être mieux ou pire, mais en tout cas, il faut qu’on essaie des trucs différents.

C’est-à-dire quelque chose d’un peu plus doux, d’un peu plus plein ?

Pour l’instant, c’est diffi cile à dire. Même si j’en avais su plus, je ne pourrai pas t’en parler, parce que c’est tenu secret. C’est sûr que quand tu vois l’évolution de l’Aprilia, tu sais que le moment est arrivé de faire un pas en avant

avec un nouveau moteur qui changera de caractère. Il n’est pas dit que ce qui va arriver sera mieux, mais au moins, on tiendra une direction à suivre. On saura dans quel sens travailler.

En bord de piste à Sepang, en présence de Bradley Smith, c’est au début de la remise des gaz que la RS-GP semblait avoir le plus de mal face à ses adversaire­s. Visuelleme­nt, avec un transfert de masse un peu plus agressif. Et même sur le plan sonore, avec un timbre plus haut perché et agressif du V4 Aprilia par rapport à Ducati, Yamaha et Suzuki. Est-ce que ce sont des éléments que tu retrouves à l’acquisitio­n de données ?

Oui, à l’acquisitio­n de données et dans les commentair­es du pilote. C’est effectivem­ent là- dessus qu’on doit bosser. De toute façon, c’est en bord de piste que tu vois vraiment comment le frein moteur évolue, comment l’électroniq­ue travaille. Tu vois qui est à l’aise et qui a des diffi cultés.

Et Bradley ? C’était la première fois qu’il pouvait faire du bord de piste sur une séance MotoGP, parce qu’avant, il était au guidon.

Oui ! Mais tu sais, après, il est retourné directemen­t dans le box et nous a expliqué ce qu’il a vu.

Sais-tu quelle est l’attitude du groupe Piaggio face au team. Le PDG Luigi Collanino semble être un fan absolu de la discipline. Mais ça le conduit parfois à des déclaratio­ns un rien violentes quand Aprilia souffre en piste. As-tu la sensation que les investisse­ments du groupe sont suffisants ? Aprilia ne vit pas au-dessus de ses moyens en MotoGP ? Sachant que chez Ducati, on parle d’un budget de 40 millions d’euros par an, et chez KTM de 50 ?

Je ne connais pas le personnage, mais s’il n’avait pas de passion pour les deux- roues, Aprilia ne serait pas en MotoGP. Le fait qu’ils aient dégagé du temps pour Romano Albesiano en engageant Massimo Rivola... Je pense que l’intention, c’est de faire le maximum pour trouver des sponsors. Et avec ces sponsors, permettre une évolution plus facile, plus rapide et plus effi cace.

Outre le challenge technique, il y a celui des pilotes. Les meilleurs du monde sont tous en MotoGP aujourd’hui. Bautista vient à nouveau de le démontrer en écrasant Rea à Phillip Island. Romano Albesiano pense que si Marquez était sur la RS-GP, il signerait des podiums. Tu es d’accord ?

Le point de vue de Romano est tout à fait respectabl­e. La qualité de Marquez, personne ne la met en doute, et tout le monde sait qu’il serait capable de faire des choses incroyable­s avec n’importe quelle moto. Maintenant, de là à faire des podiums, je ne sais pas. C’est une question très diffi cile, et ce serait sous- estimer nos pilotes et ça, je ne le ferai jamais. C’est une hypothèse, et on ne le saura jamais de toute façon.

Après les essais pré-saison convaincan­ts que vous avez signés depuis Valence jusqu’au Qatar, quel est ton objectif 2019 avec Aleix Espargaro ?

Mon objectif, c’est un Top 10. Et pour faire un Top 10, il faut y aller.

RENTRER DANS LA Q2 EST UNE MISSION PRESQUE IMPOSSIBLE. MAIS BON, ÇA VA ÊTRE SUPER INTÉRESSAN­T...

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 ??  ?? Aleix Espargaro et Antonio Jimenez (à droite), en plein boulot lors des essais de Sepang. Pas de doute, Antonio est aussi motivé que son pilote.
Aleix Espargaro et Antonio Jimenez (à droite), en plein boulot lors des essais de Sepang. Pas de doute, Antonio est aussi motivé que son pilote.
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 ??  ?? Dans le stand Aprilia, au GP du Qatar. Antonio répond à nos questions au milieu des pièces détachées. « À cause de la machine à café, c’est l’endroit le plus fréquenté du box » , plaisante l’attaché de presse Andrea Zoccarato. Le point de travail crucial pour l’équipe en ce début de saison : le grip à l’accélérati­on. La main droite d’Aleix Espargaro vaut mieux qu’un long discours. Antonio Jimenez peut être fier du début de saison de son pilote : Aleix Espargaro est ici en compagnie de Bagnaia, Rossi, son frangin Pol, Oliveira (masqué) et Morbidelli.
Dans le stand Aprilia, au GP du Qatar. Antonio répond à nos questions au milieu des pièces détachées. « À cause de la machine à café, c’est l’endroit le plus fréquenté du box » , plaisante l’attaché de presse Andrea Zoccarato. Le point de travail crucial pour l’équipe en ce début de saison : le grip à l’accélérati­on. La main droite d’Aleix Espargaro vaut mieux qu’un long discours. Antonio Jimenez peut être fier du début de saison de son pilote : Aleix Espargaro est ici en compagnie de Bagnaia, Rossi, son frangin Pol, Oliveira (masqué) et Morbidelli.
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