GP Racing

Portrait Éric Mahé ..............

- Par Jean-Aignan Museau.

Pilote de vitesse, manager, de plus en plus infl uent.

Après avoir piloté en vitesse puis en endurance, Éric Mahé s’occupe de Randy de Puniet. D’homme à tout faire à grand frère, de conseiller technique à agent, Mahé devient indispensa­ble au pilote français. Aujourd’hui, il veille sur les carrières de RdP, mais aussi de Quartararo, Cluzel, Baz et Guarnoni.

« IL M’A DEMANDÉ SI J’ALLAIS BIEN. JE LUI AI DIT NON : J’AI UN GAMIN À CÔTÉ DE MOI EN TRAIN DE CHIALER »

« Ma carrière de pilote touchait à sa fi n. Je n’avais pas trouvé chaussure à mon pied pour le Bol d’Or 2000, et je n’avais aucune envie d’être devant la télé. J’ai demandé un pass au père de Randy pour assister au Grand Prix de Valence » , résume Éric, en tirant une bouffée de nicotine. Il repart d’Espagne avec quelques questions sans

réponse : « J’ai eu la confi rmation que Randy avait du talent mais qu’autour de lui, il n’y avait rien d’organisé. Que ce n’était pas du tout un système pour les plus jeunes, alors qu’il n’était qu’un enfant qui devait s’entretenir avec des gars de 50 ans, qui, eux, parlaient de carburatio­n... Un enfant a besoin d’être soutenu, conseillé. Je suis parti avec une impression qu’il y avait du potentiel mais que là où il était, ce serait diffi cile de le réaliser. » Nous sommes fi n 2000, à l’époque, le dernier Grand Prix européen de la saison précède la tournée qui va du Brésil à la Malaisie, en passant par le Japon et l’Australie. « J’habitais à Aix. Service pour service, j’invite Randy à venir passer quelques jours chez moi. Nous sommes dans l’appartemen­t, il reçoit un coup de fi l et je vois sa tête changer. Il était en train de se faire virer. » Un paiement en retard en est la cause. Éric décroche son téléphone et appelle Jean- Claude Besse, le boss de l’écurie SCRAB dont dépend Randy. « Il m’a demandé si j’allais bien. Je lui ai répondu que non. J’ai un gamin à côté de moi en train de chialer. Je lui ai demandé où il était. Nous sommes montés dans ma 205 diesel pour faire les 600 bornes jusqu’à Paris. » À 6 h 30, ils sont en place. Dans la foulée, la dette est annulée, la place de Randy conservée en échange d’un contrat de priorité pour la saison suivante. De fait, Éric se trouve dans la position d’un agent. Il se débrouille pour se rendre à Rio pour la course suivante, tout en se disant qu’il ne sera pas d’un grand secours sur le plan technique, eu égard à son absence d’expérience du deux- temps. « Mais je vais quand même en bord de piste. Il y avait une grande cassure à droite et la moto de Randy s’affaissait de l’arrière. J’en ai parlé avec son équipe et fi nalement, ça a permis d’avancer... mais surtout, je me suis aperçu que je pouvais servir à quelque chose côté performanc­e. » À commencer par l’homme à tout faire. Il se fait même banquier pour que Randy achète son premier camping- car. « J’étais un peu le grand frère, avec de la psychologi­e, de la technique, du pilotage... » 2005, après sa troisième place en 2003, n’est pas une bonne saison. Avec une victoire, un podium et une neuvième place fi nale,

il n’y a pas de quoi pavoiser. « À l’époque, Ioda, le boss de Kawasaki en Grands Prix, préfère les petits gabarits pour garantir une bonne vitesse de pointe. Il aime bien Randy. On a fi ni par signer pour une moto d’usine en MotoGP. Certaineme­nt le meilleur coup de ma carrière » , se félicite Mahé. Au bout de trois saisons, Éric case Randy, mais aussi Christophe Bourguigon, son chef mécano de l’époque, chez LCR. Avec une Honda privée. Les résultats sont bons : « Par deux fois, il est en quatrième position du championna­t à mi- saison. Et à deux reprises, il se casse la cheville... À l’époque, pour être P4 avec une moto satellite, il ne fallait pas chômer » , souligne Éric. En 2008, il sent que Randy a besoin de changer d’interlocut­eur. Ce sera Yves Demaria, l’ancien crossman qui offi ciera à ses côtés pour l’entraîner. « Au début d’une carrière, t’es un gamin, ton but est de rigoler. Ensuite, tu commences à obtenir des résultats et tu cherches à construire. Et enfi n, tu peux te perdre en te disant que tu peux toujours réussir sportiveme­nt en mettant 50 % de ton énergie dans ta vie privée. » Au bout de deux saisons fructueuse­s, l’associatio­n fait long feu : « Il aurait peut- être été nécessaire pour que leur relation perdure qu’Yves soit un peu moins rigide avec Randy, moins sur la performanc­e pure, lui laisser plus d’air. » Les compromis. Toujours. C’est ce que poursuit Éric en plaçant Randy chez Pramac avec une Ducati censée être proche des motos d’usine.

« À CHAQUE FOIS, C’EST PAREIL : J’INTRIGUE ET JE COMPOSE »

C’est le début du déclin où la machine est capable, d’un circuit à l’autre, du meilleur comme du pire. Il enchaîne avec le CRT, en parallèle avec un poste de pilote de développem­ent chez Suzuki, puis un guidon chez Suzuki en Superbike avec toujours l’implicatio­n en MotoGP. Au passage, Randy fait les 8 H de Suzuka, ce qui lui permet de mettre un pied dans l’endurance avec une seconde place au guidon d’une Suzuki Yoshimura. L’histoire se poursuit avec un guidon KTM en test et un autre chez Kawasaki pour le Bol d’Or : « Comme à chaque fois, c’est le même schéma : j’intrigue et je compose. Dans le cas de KTM, il y avait Mika Kallio comme test rider. Ils avaient besoin d’un deuxième pilote pour un avis supplément­aire. Randy me dit qu’il aimerait faire de l’endurance... Fabien Foret, qui est chez Kawasaki, souhaitera­it l’avoir avec lui. L’histoire se fait ainsi » , résume tout simplement Mahé, qui semble oublier comment

il a oeuvré auprès de tous les acteurs afi n d’obtenir un budget à la hauteur des qualités de son pilote. « Je n’ai jamais cherché à me faire un réseau. Tout s’est fait naturellem­ent, avec une part de hasard. En 2001, Randy a une grosse cote. On signe avec Caponera, qui est à l’époque le meilleur team Aprilia privé du plateau. Rolfo a terminé 4e en 2000 avec une de leur moto. Le 15 décembre, à la veille du comité de sélection IRTA, il me plante, malgré le contrat signé. » In extremis, il case Randy chez Campetela, un team sans résultat précédemme­nt. Au passage, il prévient Caponera qu’il serait bon qu’il se promène avec 100 000 € pour le dédit. Comme rien ne vient, Éric fait saisir la 250 Aprilia au soir du Grand Prix de France. « J’aurais pu consolider le recouvreme­nt en saisissant également la 125 d’Arnaud Vincent, mais c’était l’année où Arnaud jouait le titre et je n’ai pas voulu. Caponera a fait l’aller- retour en Italie pour aller chercher l’argent et a récupéré sa moto. » De quoi se faire respecter. « Nous étions bien chez Campetela, nous aurions pu y rester un an de plus, mais à l’époque, il y avait une hiérarchie dans l’attributio­n des pneus en fonction de la moto dont disposait le pilote. En bref, il fallait une bonne moto pour avoir les bons pneus. » Éric joue de la stratégie pour obtenir une bonne machine chez LCR et du coup, assurer Randy de disposer des bons Dunlop dont les performanc­es restent stables durant toute la durée d’une course. « Comme je n’avais aucune certitude d’avoir les bons pneus chez Campetela, je profi te d’une opportunit­é dont j’ai eu vent chez Lucio. Je fi le chez lui alors qu’il m’avait prévenu qu’il était débordé et qu’il ne pourrait pas me recevoir : je lui ai dit que je l’attendais et que je ne bougeais pas. » Deux jours plus tard, le contrat est signé. Ce qui débouche d’abord par un guidon en 250 en 2003 et 2004, puis, après une pause et un passage chez Kawasaki, une arrivée chez Honda en MotoGP.

UN TRAVAILLEU­R ACHARNÉ CONTRE LA LOI DU MARCHÉ

Une vision globale de la compétitio­n moto, une compétence en analyse sportive, un sens du détail quasi obsessionn­el, une grosse dose de travail et un amour pour le sport moto poussent très rapidement Éric à élargir son cercle d’action. « Avec l’arrivée en MotoGP chez Kawasaki, on a commencé à gagner de l’argent. J’avais suffi samment pesté contre les gars qui s’y enrichissa­ient sans réinvestir pour décider de m’impliquer fi nancièreme­nt. Je suis donc allé au championna­t de France à Carole. » Jules Cluzel lui tape dans l’oeil. Il le fait participer à son premier GP en 2005, en Turquie, au guidon d’une Malaguti. « Nous sommes allés un peu vite, mais il n’y avait pas de solution intermédia­ire. » Là aussi, Éric est à l’écoute de tout. Quatorze ans après, ils sont toujours liés. Dans la course, mais pas seulement. La cheville gauche de Jules lui pourrit la vie ( il s’était blessé en Supersport à Jerez en 2015, ndlr). Avec son pilote, ils

réfl échissent au meilleur moment – entre confort, vie perso et compétitio­n – pour l’interventi­on qui bloquera défi nitivement sa cheville et donc son passage au frein arrière à gauche et son sélecteur de vitesse : « Finalement, la chute de Jules à la fi nale qatarie répond à la

question. » Loris Baz, Jérémy Guarnoni, et plus récemment, Fabio Quartararo ont rejoint la « famille » d’Éric. Une vraie petite entreprise qui l’occupe à plein- temps, parfois 15 heures par jour, sans relâche, avec de très jolis coups dans un milieu pas toujours très fi able, ni très sain. Après le magnifi que travail mené durant le printemps dernier, qui lui a permis d’arracher le guidon de la Yamaha Petronas convoité par – excusez du peu – Jorge Lorenzo et Dani Pedrosa au profi t de Fabio Quartararo, Éric a quasiment sauvé la carrière de Loris Baz en Superbike. « Dans un contexte où aujourd’hui, il y a plus de pilotes que de motos, beaucoup d’entre eux roulent gratuiteme­nt. C’est la loi du marché » , peste- t- il en glissant malicieuse­ment qu’une bonne surprise devrait toutefois intervenir sous peu. Le team Ten Kate va faire son retour en WSBK avec une Yamaha... et Loris Baz !

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 ??  ?? 1 Présent dans le paddock des Grands Prix depuis le début des années 2000, Éric est plutôt du genre discret. Même si son réseau est immense.
1 Présent dans le paddock des Grands Prix depuis le début des années 2000, Éric est plutôt du genre discret. Même si son réseau est immense.
 ??  ?? 2 2 Ici, en compagnie de Thomas Maubant, le helpeur de Fabio Quartararo, il ne cache pas la joie que lui procurent les performanc­es de sa dernière recrue.
2 2 Ici, en compagnie de Thomas Maubant, le helpeur de Fabio Quartararo, il ne cache pas la joie que lui procurent les performanc­es de sa dernière recrue.
 ??  ?? 3 Après s’être fréquentés sur les grilles de départ du Supersport Mondial, Éric et Wilco Zeelenberg se retrouvent avec grand plaisir.
3 Après s’être fréquentés sur les grilles de départ du Supersport Mondial, Éric et Wilco Zeelenberg se retrouvent avec grand plaisir.
 ??  ?? 12 et La première victoire de Fabio, à Barcelone, restera comme un moment de plaisir intense pour Mahé. 1
12 et La première victoire de Fabio, à Barcelone, restera comme un moment de plaisir intense pour Mahé. 1
 ??  ?? 3 34 et De copain, très vite, Éric est devenu indispensa­ble au bon fonctionne­ment du travail de Randy de Puniet. De l’époque de la 250 jusqu’à aujourd’hui, entre l’aventure de l’endurance et celle de commentate­ur pour Canal +.
3 34 et De copain, très vite, Éric est devenu indispensa­ble au bon fonctionne­ment du travail de Randy de Puniet. De l’époque de la 250 jusqu’à aujourd’hui, entre l’aventure de l’endurance et celle de commentate­ur pour Canal +.
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 ??  ?? 1 À la sélection de la première Équipe de France de vitesse, il échoue, tout comme Christy Rebuttini, face à Olivier Jacque et Régis Laconi. 1
1 À la sélection de la première Équipe de France de vitesse, il échoue, tout comme Christy Rebuttini, face à Olivier Jacque et Régis Laconi. 1
 ??  ?? 2 2 Un tandem qu’il retrouve en 1993 l’année suivante, sous la houlette de Marc Fontan, pour disputer le Bol d’Or.
2 2 Un tandem qu’il retrouve en 1993 l’année suivante, sous la houlette de Marc Fontan, pour disputer le Bol d’Or.
 ??  ?? 4 Sa carrière de pilote s’arrêtera en 2000, l’année suivante de son titre de champion de France Supersport avec Yamaha. 4
4 Sa carrière de pilote s’arrêtera en 2000, l’année suivante de son titre de champion de France Supersport avec Yamaha. 4
 ??  ?? 3 Qualifié en vingt-cinquième position, il est sixième à quelques minutes de la fin de son premier relais. Mais un manifeste excès d’optimiste lui fera ramener la RC30 à la poussette.
3 Qualifié en vingt-cinquième position, il est sixième à quelques minutes de la fin de son premier relais. Mais un manifeste excès d’optimiste lui fera ramener la RC30 à la poussette.

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