GP Racing

Bautista en patron .............

- Par Thomas Baujard. Photos Gold&Goose.

Bautista/ Ducati, le duo qui fait trembler Kawasaki.

Depuis la première manche de Superbike à Phillip Island, Alvaro Bautista n’est pas descendu de la plus haute marche du podium. Alors, Alvaro, le nouveau Carl Fogarty ? À moins que ce ne soit sa Ducati qui soit tout simplement imbattable ? Éléments de réponse.

Neuf victoires en neuf courses – soit le record de 2003 de Neil Hodgson –, une avance en fi n de manche qui oscille entre 6,8 et 15 secondes sur le second ( course Superpole exceptée), 39 points d’avance sur le tenant du titre Jonathan Rea après trois week- ends de course : depuis son arrivée en Superbike en 2019, Alvaro Bautista écrase ses adversaire­s et donne le tournis aux spectateur­s. Le règne sans partage de Rea, couronné de 2015 à 2018, n’est plus qu’un lointain souvenir. Alors, comme en est- on arrivé là ? « Le facteur le plus important avec Bautista est qu’il dispose d’une moto assez similaire à une MotoGP » , explique Stephen English, commentate­ur offi ciel du Superbike mondial pour le promoteur Dorna, juste avant le GP d’Aragon. « Un V4 très puissant, bien secondé par une aérodynami­que effi cace. Bien sûr, les pneus sont différents. Des Pirelli au lieu des Michelin. » Oui mais, comme le dit Loris Baz, quand tu viens du MotoGP, les Pirelli, tu t’y fais en un tour. « Alvaro explique que la Panigale V4R réagit de manière assez proche de sa Desmosedic­i GP18 de l’an dernier, il n’a donc pas eu un gros travail d’adaptation à mener, poursuit Stephen. Alors que pour Chaz Davies, Eugene Laverty ou tout autre pilote habitué au V2, le V4 est un grand changement. Du coup, ça leur prend un peu plus de temps pour s’adapter. D’ici Assen, la différence entre Alvaro et les autres devrait commencer à s’amenuiser. Cela dit, certaines circonstan­ces expliquent cet écart de performanc­e initial entre lui et les autres Ducatistes. Chaz dispose d’un nouveau chef ingénieur et d’un team complèteme­nt renouvelé. Il a donc dû faire face à ces changement­s alors qu’Alvaro a vécu un apprentiss­age sans histoires. Le nouveau pneu arrière Pirelli fait aussi la différence. Par rapport à l’an dernier, il est plus large. Les premiers pilotes à l’avoir essayé à Imola furent Melandri et Van der Mark, qui est très lourd, et qui a toujours eu des problèmes d’usure avec ce pneu.

« IL GARDE BEAUCOUP DE VITESSE EN COURBE »

Bautista, lui, est très léger et à Phillip Island comme en Thaïlande, il a réussi à utiliser ce pneu différemme­nt. » Voire à carrément le préserver comme il a appris à le faire en MotoGP avec le Michelin. « Le style de pilotage d’Alvaro est également différent. D’ordinaire, avec le Pirelli, les pilotes SBK freinent droit très fort afi n de passer le moins de temps possible sur l’angle, puis ils redressent et mettent du gaz. Une trajectoir­e en V avec peu de vitesse au point de corde. Bautista, lui, garde beaucoup de vitesse de passage en virage. Une technique qui fonctionne d’autant mieux quand il a la piste pour lui et qu’il peut utiliser toute sa largeur. À Phillip

« J’AI L’IMPRESSION QUE LA PANIGALE ET MOI NE FAISONS QU’UN »

« LES COURSES SONT MOINS ENNUYEUSES POUR MOI QU’ELLES LE SONT PEUT-ÊTRE POUR LES SPECTATEUR­S »

Island, il a surpris tout le monde en préservant son pneu arrière grâce à cette technique. » L’an dernier, à Aragon, en MotoGP, il était l’un des plus impression­nants à observer du bord de piste. Par sa vitesse et son agressivit­é. Dès qu’il a disposé de la Desmosedic­i usine en remplaceme­nt de Lorenzo, il ne lui a fallu qu’un seul GP pour se faire à la boîte seamless. C’était au Japon. Et en Australie, il se battait déjà devant, fi nissant 4e au milieu des usines. Ce qui prouve qu’avec la bonne moto, c’était un client pour le podium en catégorie reine. Bautista a été champion du monde 125 et faisait partie des meilleurs en 250 avec son Aprilia offi cielle chez Aspar. C’est ensuite, en MotoGP, que les choses se sont compliquée­s. Et ce, alors même qu’il semblait emprunter la voie royale d’un Pedrosa ou d’un Lorenzo. De nouveau pilote d’usine en Superbike, il doit reprendre ses marques et rebâtir un environnem­ent propice à sa réussite.

CHANGEMENT DE RÉGIME

Giulio Nava, l’ancien chef ingénieur de Redding chez Aprilia en MotoGP, qui a aussi été ingénieur d’acquisitio­n de données pour Casey Stoner au HRC, l’assiste à présent. C’est un bon. « Ils ont travaillé ensemble en 125. Ils se sont retrouvés comme s’ils s’étaient quittés la veille » , reprend Stephen. Si Bautista continue à se promener en tête comme il le fait actuelleme­nt, la Dorna et la FIM ( Fédération internatio­nale de motocyclis­me) auront la possibilit­é de limiter le régime de sa Ducati pour regrouper tout le monde. Quelle est la réglementa­tion actuelle ? « Pour la limitation du nombre de tours/ min, les offi ciels se rendent dans chaque usine et choisissen­t 5 moteurs au hasard qu’ils passent au banc. Une moyenne des résultats enregistré­s sur les troisièmes et quatrièmes rapports est calculée, à laquelle ils ajoutent 3,3 %. On obtient ainsi le régime limite pour la saison. » Soit 16 350 tr/ min pour la Panigale V4R, 14 950 pour la MV F4 RR, 14 900 pour les BMW S 1000 RR et Suzuki GSX- R 1000, 14 700 pour la RSV4 RS et la Yamaha R1, et enfi n, 14 600 tr/ min pour la Kawasaki ZX- 10R 2019. « Toutes les trois courses, la FIM et la Dorna ont le pouvoir de modifi er ces régimes en fonction des résultats moyens constatés par les pilotes de chaque marque. Ça marche normalemen­t par tranche de 250 tr/ min. Mais ils peuvent aussi décider unilatéral­ement d’enlever 1 000 tr/ min à une machine parce qu’elle est trop rapide. » Bautista risque- t- il ce genre de restrictio­ns après sa série de victoires ? « Je pense qu’ils vont devoir faire quelque chose, poursuit Stephen, parce que depuis le début, c’est Bautista, Rea et Lowes qui sont tout le temps devant, aux essais comme en course. On compte seulement trois exceptions en 9 manches : Melandri, Haslam et Davies avec un podium chacun. Si tu cumules les vitesses de pointe des deux premières épreuves, Bautista est en tête avec 307 km/ h de moyenne, Rea le seconde avec 298 km/ h, puis Lowes ferme la marche à 296 km/ h. Pour le moment, Ducati dispose d’un avantage de 11 km/ h en pointe. C’est un peu trop. La Thaïlande était intéressan­te de ce point de vue, car on remarque que Bautista y a fait la différence dans le premier secteur, très rapide avec ses deux lignes droites. Dans la seconde partie du tour, Lowes était plus fort, et Rea identique en chrono. À Phillip Island, Bautista était nettement supérieur en pilotage. Mais sur les circuits plus convention­nels du championna­t, l’écart sera peut- être plus faible. » Saluons d’ailleurs le boulot de ce satané Dall’Igna, le boss de Ducati Corse ! « En effet ! Cela dit, la Ducati est la moto la plus récente sur la grille. C’est une machine véritablem­ent conçue et homologuée pour la course. Elle prend 16 000 tr/ min ! Avec une puissance aussi impression­nante que linéaire. Il est donc logique que dans un championna­t consacré aux motos dérivées de la série, la plus moderne soit la plus performant­e. La Kawasaki est plus ancienne. La Yamaha a cinq ans. Pour la Honda, c’est encore pire. Quant à BMW, ils sont en cours d’apprentiss­age avec leur nouvelle monture. Mais à l’instant T, la moto la plus récente est aussi la meilleure, ce qui complique sérieuseme­nt la tâche de la concurrenc­e. » Mais alors, est- ce une question de budgets ? Les Italiens auraient- ils davantage investi que les autres, ou ont- ils mis le doigt sur la bonne combinaiso­n pilote/ machine ? « J’ai rencontré Paolo Ciabatti, le directeur

sportif Ducati, à la fi n de l’année dernière, et il m’a confi rmé que la fi rme avait beaucoup investi dans le projet Superbike. » Au moins autant que ce que dépensait Kawasaki qui gagnait tout jusqu’ici avec un budget estimé à 10 millions d’euros par an – soit le quart du budget des top teams MotoGP. « C’est sûr, Bautista est arrivé au bon moment sur la bonne moto, tandis que son coéquipier Chaz Davies, lui, a eu un hiver très compliqué.

DES POINTS FAIBLES ?

Sa clavicule cassée en novembre l’a empêché de rouler aux premiers essais hivernaux. Puis il s’est blessé lors du premier jour de tests en janvier à Jerez. Il a bouclé moitié moins de kilomètres que Bautista pour préparer sa saison. On l’a vu s’améliorer en Thaïlande et il devrait être en mesure de monter sur le podium à Aragon ( ce qu’il a fait, ndlr). Il devrait être plus compétitif ensuite. Mais Bautista aussi a des points faibles ! Pour garder de la vitesse de passage, il freine plus tôt que les autres, ce qui ne lui pose pas de problème s’il est tout seul devant et qu’il dispose de toute la piste. Mais s’il se retrouve en groupe, ça sera plus compliqué pour lui. En Thaïlande, c’était clair : pour l’épingle n° 3, il freinait 30 m avant Rea. Idéalement, on aurait besoin d’une Ducati un peu moins performant­e pour que les deux puissent se battre. Le souci, c’est qu’en British Superbike, bien qu’ils lui aient enlevé 750 tr/ min, la Panigale va encore très vite. Même si tu donnes plus de tours à la concurrenc­e, comme à BMW et Honda par exemple, je ne sais pas si ce sera suffi sant. La FIM et la Dorna ne l’ont pas fait l’an dernier, il sera intéressan­t de voir comment ils vont régler le problème cette année. » Dans l’intérêt du championna­t, il serait opportun d’y songer. L’avantage de la Ducati Panigale en vitesse de pointe était moins fl agrant à Aragon malgré le long bout droit : 323,3 km/ h pour Eugene Laverty ( Ducati), 321,4 km/ h pour Leon Haslam ( Kawasaki) et Bautista ( Ducati), contre 318,5 km/ h pour Cortese ( Yamaha) et Rea ( Kawasaki). Mais Alvaro a encore déposé la concurrenc­e. « Mener une course de bout en bout est la façon la plus simple de gagner, mais ce n’est pas facile pour autant, témoigne l’actuel leader du championna­t. Les chronos sont très, très rapides, plus qu’ils ne l’ont jamais été en SBK et nous battons des records tous les week- ends. » Effectivem­ent, son meilleur tour en première manche était de 1’ 49’’ 755, à moins d’une seconde du meilleur tour de la course MotoGP 2018 réalisé par Andrea Dovizioso en 1’ 48’’ 385 ! « Cela démontre que le niveau n’a jamais été aussi relevé. J’ai la sensation que la moto et moi ne faisons qu’un. Les courses ne sont pas aussi ennuyeuses pour moi qu’elles le sont peut- être pour les spectateur­s. Chaque tour, chaque virage est pour moi un régal. C’est une sensation fantastiqu­e. » On le croit sur parole.

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 ??  ?? Le quadruple champion du monde Jonathan Rea (n° 1) n’a pu que s’incliner face aux chevaux de la Panigale et au talent d’Alvaro (n° 19).
Le quadruple champion du monde Jonathan Rea (n° 1) n’a pu que s’incliner face aux chevaux de la Panigale et au talent d’Alvaro (n° 19).
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1 En Thaïlande, trois manches de plus devant, en solitaire. Notez les conduites en carbone pour refroidir les étriers.
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3 À part un dépassemen­t un peu chaud de Rea sur Bautista en Thaïlande, rien à signaler entre ces deux-là en course. Si l’écart de performanc­e entre la Panigale et la ZX-10R diminue, cela pourrait être une autre histoire.
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L’écart entre Bautista et ses poursuivan­ts après un tour lors de la course Superpole à Aragon. « Au bout de trois épreuves, la Dorna et la FIM peuvent modifier le régime maxi des motos pour réduire ces différence­s » , explique Stephen English, commentate­ur officiel du SBK.

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