GP Racing

JOUR DE GLOIRE LACONI AU PARADIS

- Par Michel Turco. Photos Jean-Aignan Museau.

Avec Pierre Monneret et Christian Sarron, Régis Laconi est l’un des trois seuls Français à avoir un jour remporté un Grand Prix en classe reine. C’était il y a vingt ans, en Espagne, sur le circuit de Valence. Depuis, aucun Tricolore ne s’est plus imposé dans ce qui s’appelle aujourd’hui le MotoGP.

Tandis que le public espagnol quitte les gradins la tête basse, abasourdi par la chute d’Alex Crivillé, Régis Laconi brûle ses dernières calories au pied du podium du circuit Ricardo Tormo dans un énorme nuage de fumée. Un burn assourdiss­ant, et puis soudain, le silence, quand le moteur de la 500 Yamaha YZR numéro 55 du team WCM se tait brutalemen­t. Bras tendus, poings serrés, le pilote de l’équipe de Peter Clifford s’éjecte comme un diable de la selle de sa moto en hurlant son bonheur avant de sauter dans les bras d’Aurélie, celle qui est alors sa compagne. Contenu par les commissair­es au bord du parc fermé, le clan français acclame le héros du jour qui essuie maladroite­ment les larmes qui coulent le long de ses joues. Les mécanicien­s du team Tecmas ont même sorti un drapeau tricolore en l’honneur de leur ancien pilote. L’émotion est à son comble. Un Français vainqueur en catégorie reine, on n’avait pas vu cela depuis

le succès de Christian Sarron au Grand Prix d’Allemagne 1985, sur le circuit d’Hockenheim. Vingt ans plus tard, Régis Laconi n’a presque rien oublié de cette journée historique. « Ça reste le plus beau souvenir de ma carrière, témoignet- il. Ma première victoire en championna­t, en Grands Prix 500... On m’en parle encore aujourd’hui, et pas seulement parce qu’aucun Français n’a, depuis, réussi à gagner en classe reine. Dans une carrière, il y a des moments exceptionn­els, ce Grand Prix de Valence est celui qui est tout en haut de ma collection. Aujourd’hui, à 44 ans, j’ai l’impression que je pourrais remonter sur la moto et refaire la même chose. C’est peut- être parce que j’ai dû arrêter ma carrière à cause d’un accident. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir perdu mes capacités de pilote. » Quand il s’impose à Valence le 19 septembre 1999, Régis conclut ce qu’il faut bien appeler un week- end de rêve. La veille, il s’est offert sa première pole position en Grands Prix. À l’époque, il raconte dans les colonnes de Moto Revue : « Je n’ai pas compris tout de suite que j’avais fait la pole. L’affi chage du chrono sur mon tableau de bord n’avait pas fonctionné dans mon dernier tour de qualif. C’est quand j’ai vu Aurélie la larme à l’oeil que j’ai compris qu’il y avait un truc.

« J’EN AI ENCORE LA CHAIR DE POULE »

Lorsqu’elle a levé le pouce en l’air, j’ai vécu une seconde fabuleuse. » Dans la foulée, Régis se jette en hurlant dans les bras de Jean- Marc Manuguerra qui est alors directeur de la compétitio­n de la marque Shark. Le pilote Yamaha évacue son trop plein d’énergie en lâchant à la volée quelques noms d’oiseau dont il a le secret. Dans un univers où il est de bon ton de soigner son image, l’ancien champion d’Europe n’a jamais fait dans la dentelle. Nature, Régis a toujours vécu comme

« J’ÉTAIS JEUNE, SANS EXPÉRIENCE. J’AURAIS EU BESOIN DE QUELQU’UN POUR M’AIDER À PROGRESSER... »

il aimait piloter, avec le coeur. « Quand je repense à ce week- end, j’en ai la chair de poule » , confi e- t- il en ressortant de l’armoire à souvenirs son précieux trophée. Quinze jours plus tôt, à Imola, le Français avait obtenu son meilleur résultat de la saison en se classant cinquième. « C’était ma deuxième saison au sein du team WCM, et j’avais du mal à trouver mes marques avec la Yamaha car je n’étais guère aidé par Malcolm Pitman, mon chef mécanicien. J’espérais mieux que les résultats que j’avais obtenus jusque- là. Le truc, c’est qu’à Valence comme à Phillip Island où j’ai ensuite fait un autre podium, nous avions beaucoup roulé en tests. Nous avions pu essayer pas mal de choses et j’étais vraiment mieux sur la moto que lors des courses précédente­s. Dès la première séance d’essais libres, j’ai été dans le coup. En qualif’, je me suis retrouvé au bon moment derrière Biaggi. J’ai pu le prendre en point de mire pour aller chercher la pole. » Un exploit qui va le mettre en confi ance pour la course. Dimanche matin, la pluie décide de se joindre à la fête. « Il était tombé des cordes pendant la course des 125, se souvient Régis. Les conditions se sont ensuite améliorées, mais quand on s’est mis sur la grille, la piste était encore bien humide. » Le choix des pneus s’est avéré déterminan­t. « Nous étions pratiqueme­nt tous en intermédia­ires avant et arrière pour le tour de formation. Les motos ne soulevaien­t pas beaucoup d’eau, le ciel semblait se dégager et le grip était quand même pas mal... N’ayant rien à perdre, j’ai demandé à partir avec un slick à l’arrière. À cette époque, on avait le choix entre le dix- sept pouces et le seize et demi. J’ai demandé conseil à Jacques Morelli qui était alors le responsabl­e Michelin. Il m’a dit de partir avec le seize et demi en m’expliquant que j’aurais plus de surface de contact au sol. Sa carcasse plus haute offrait également un meilleur feeling à l’accélérati­on, et avec la gomme tendre, il fonctionna­it bien à basse températur­e. C’était une décision un peu folle que peu ont prise. Je ne me souviens d’ailleurs que de McCoy et moi... » Okada et Kocinski feront un choix identique mais sans parvenir à en tirer la quintessen­ce, comme le fera le pilote de Saint- Dizier.

LES SLICKS AVAIENT UNE ADHÉRENCE INCROYABLE

« À la surprise générale, je me suis retrouvé en tête dès le deuxième virage. Je pensais que les premiers tours allaient être compliqués, mais pas du tout, les slicks avaient une adhérence incroyable sur cette piste qui était pourtant encore humide. » Très vite, Régis va se retrouver en tête de la course avec près d’une dizaine de secondes d’avance sur Kenny Roberts Jr et Garry McCoy. À l’arrivée, il témoigne auprès des journalist­es présents : « Quand j’ai vu qu’il n’y avait personne accroché à ma selle, je me suis dit qu’il fallait continuer à creuser l’écart. D’une part pour rester bien concentré, d’autre part pour me permettre d’assurer en fi n de course au cas où la pluie reviendrai­t. Les derniers

tours ont été longs, il fallait ne pas trop baisser de rythme pour rester bien concentré. Dans le dernier tour, je me refusais à trop songer à la victoire. En revanche, j’ai beaucoup pensé à mon frère Alban, décédé il y a cinq ans dans un accident de voiture. Il faisait ma mécanique à mes débuts en compétitio­n et nous étions très proches. Il aurait été fi er de moi aujourd’hui. » Vingt ans plus tard, Régis se souvient avoir franchi la ligne d’arrivée en hurlant sous son casque. « À m’en faire péter les tympans, préciset- il. Je crois bien que j’ai failli casser la moto tellement j’étais fou. » Malheureus­ement pour lui, ce jour de gloire restera sans lendemain. Un podium en Australie et puis plus rien. « La saison suivante a été diffi cile car Peter Clifford a refusé que je travaille avec un autre chef mécanicien. Je ne m’entendais pas avec Pitman, il ne m’aidait pas à trouver des solutions. » Et à côté, c’est Garry McCoy qui se met à gagner. « J’étais jeune, sans expérience, j’aurais eu besoin de quelqu’un d’autre pour m’aider à progresser. » Un échec qui le conduira à signer chez Aprilia la saison suivante pour courir en Superbike. Vingt ans plus tard, Régis Laconi demeure toutefois le dernier Français vainqueur d’un Grand Prix en classe reine. Une place que celui qui est aujourd’hui ambassadeu­r Ducati aurait bien laissée volontiers l’an dernier à Johann Zarco : « Comme tout le monde, j’ai rêvé en suivant les courses de Johann sur la Yamaha du team Tech3. Malheureus­ement, ça risque désormais d’être beaucoup plus compliqué pour lui avec la KTM. » Reste Fabio Quartararo. « Il a un gros talent et il est très jeune, souligne Régis. Il ne faut pas qu’il se mette la pression. Il a une bonne moto, une équipe solide derrière lui. Il va avoir envie de montrer qu’il est là, mais il va falloir qu’il prenne son temps. Il a besoin d’apprendre et d’engranger de l’expérience. » Autant dire que le nom de Laconi risque d’être encore longtemps cité pour évoquer le nom du dernier Français vainqueur d’un Grand Prix en classe reine.

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 ??  ?? En pole position 1 devant Biaggi, Crivillé et Okada, Régis va garder son calme et la tête du GP de bout en bout. 1
En pole position 1 devant Biaggi, Crivillé et Okada, Régis va garder son calme et la tête du GP de bout en bout. 1
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2 Une victoire sans tour d’honneur et sans drapeau tricolore. Impossible pour Régis. 2
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3 Avec Aurélie, sa compagne de l’époque, l’émotion est à son comble. 3

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