GP Racing

Portrait Santi Hernandez....

Depuis 2011 et la première saison de Marc Marquez en Moto2, Santi Hernandez travaille aux côtés de celui qui est devenu septuple champion du monde. Artisan de six de ces titres, le technicien catalan n’aurait jamais imaginé vivre un tel parcours.

- Par Michel Turco.

L’ingénieur de Marquez est aussi son fi dèle soutien.

Enfant, Santi Hernandez n’aurait jamais imaginé devenir l’homme de confi ance du meilleur pilote du championna­t MotoGP. La moto, ça n’était pas son truc. Pourtant, avec un père mécanicien féru de compétitio­n et un frère pilote, le Catalan avait de quoi tomber tout petit dans la marmite. « J’avais quatre ans quand mon père m’a offert ma première moto, se souvient le chef mécanicien de Marc Marquez. Je n’ai jamais voulu monter dessus. Je n’aimais pas ça. Moi, ce qui me plaisait, c’était jouer au football avec mes copains. » La moto fi nira toutefois par le rattraper. « Il faut dire qu’à la maison, elle était partout, mon frère et mon père ne parlaient que de ça, poursuit le quadragéna­ire. Comme l’école et moi, ça faisait deux, j’ai décidé de faire des études de mécanicien pour travailler à Martorelle­s, dans le magasin de motos de trial où mon père était employé. » Berceau espagnol de la compétitio­n moto, la région de Barcelone est aussi l’épicentre des réseaux profession­nels dont va très vite profi ter Santi Hernandez. « À côté du magasin, il y avait le local de base européenne de Showa. J’ai fait la connaissan­ce de Juan Martinez qui travaillai­t alors pour la marque de suspension­s japonaise. C’est comme ça qu’un jour, en discutant, il m’a dit qu’ils cherchaien­t un jeune pour étoffer leur staff technique. Je me suis laissé tenter... » En 1996, Santi découvre alors le monde des Grands Prix de vitesse du haut de ses 20 ans. « Juan et Antonio Jimenez étaient les deux technicien­s Showa, j’étais le “helper”, ils m’ont pris sous leur aile et m’ont tout appris. Au début, je les regardais démonter et remonter fourches et amortisseu­rs, je les observais changer des ressorts... Il a ensuite fallu que je fasse mes preuves, que je prouve que j’étais capable de faire ce qu’on attendait de moi. » En 1998, Santi Hernandez offi cie sur les 500 Honda NSR de Max Biaggi et Alex Barros. « Je n’étais pas encore totalement autonome, mon premier vrai job de technicien suspension­s, je l’ai obtenu en 1999 au sein du team HRC auprès d’Alex Crivillé. C’était le rêve. » C’est en effet cette année- là que le coéquipier de Mick Doohan décroche le titre de champion du monde 500, offrant à l’Espagne sa première couronne en classe reine. Un titre historique auquel Santi se félicite d’avoir apporté sa petite pierre. Par la suite, le technicien Showa s’occupe des suspension­s des Honda de Gibernau, de Rossi, de Melandri, d’Edwards... Jusqu’au jour où Öhlins fi nit par détrôner Showa et que Santi se retrouve sans boulot sur les Grands Prix. Mais là encore, la « catalan connection » ne va pas le laisser sur le bord du chemin. L’univers des suspension­s non plus. Juan Martinez emmène son jeune protégé travailler avec lui pour le groupe

Adreani. Son activité se recentre sur le championna­t d’Espagne, le temps qu’Alberto Puig lui propose un billet retour pour les Grands Prix. « Alberto voulait monter un team en 125 pour faire rouler Bradley Smith, raconte Santi. Il m’a proposé le job de chef mécanicien. Sur le moment, je lui ai dit que je ne me sentais pas prêt, que mes connaissan­ces se limitaient aux suspension­s... Il m’a rassuré. “Hé, nous ne sommes pas là pour jouer un titre mondial ! Tu vas apprendre comme les autres.” J’ai donc accepté et fait le job pendant deux ans, en 2007 et 2008. J’ai ensuite enchaîné chez KTM avec Randy Krummenach­er, puis en 2009, on m’a proposé de travailler avec Sete Gibernau en MotoGP. » Ce sera la fameuse aventure du pilote espagnol avec le team Nieto et le budget fantôme du groupe Francisco Hernando. « Faute d’argent, on a tout plié en cours de saison, et je me suis de nouveau retrouvé sans boulot. » Santi envoie alors son CV à droite et à gauche,

enchaîne les coups de fi l... « Toutes les réponses étaient négatives. Je commençais à me dire que j’allais tirer un trait sur les Grands Prix quand j’ai reçu un appel de chez Forward, une des rares équipes que je n’avais pas contactées. Ils avaient un désistemen­t et ils cherchaien­t un chef mécanicien pour leur team Moto2. C’est comme ça que je me suis retrouvé avec Jules Cluzel. » Avec le Français, Santi Hernandez savourera une victoire sur le circuit de Silverston­e, mais il connaîtra aussi pas mal de prises de tête avec un pilote peu réputé pour son calme. « Ça n’a pas été une saison facile, reconnaît le Catalan. Jules est un garçon plutôt nerveux qui a du caractère, mais cette expérience m’a beaucoup appris. Ce fut fi nalement intéressan­t. »

D’EMBLÉE CHAMPIONS EN MOTOGP

Durant cette saison 2010, Santi reçoit surtout une offre alléchante de la part d’Emilio Alzamora. Marc Marquez est alors en route pour son premier titre de champion du monde, en 125, et son manager travaille pour mettre sur pied une équipe afi n de le lancer en Moto2. « Emilio m’a proposé de devenir son chef mécanicien, raconte Santi. C’était pour moi une super opportunit­é. Je ne connaissai­s pas Marc, mais son talent était plus qu’évident, et travailler avec un jeune de cette trempe dans une structure dotée de bons moyens... » Ce sera le début d’une collaborat­ion qui, neuf ans plus tard, dure encore. Passé près du titre dès sa première saison en classe intermédia­ire, Marquez décroche la couronne en 2012 et obtient ainsi son billet pour le MotoGP. Mieux que ça, le HRC lui propose d’intégrer

directemen­t l’équipe offi cielle Honda en lieu et place de Casey Stoner. Du haut de ses 19 ans, Marquez impose à Livio Suppo la présence de Santi Hernandez à ses côtés. « Marc voulait que toute son équipe technique le suive, mais Honda n’a pas

voulu. Seuls Carlos ( Liñan) et moi avons pu être intégrés. » Livio Suppo n’a toutefois d’autre choix que de prendre sur lui pour mettre au placard Christian Gabarrini. Un an plus tard, dans la foulée de son premier titre de champion du monde MotoGP, Marquez enfonce le clou en obtenant du HRC que l’ensemble du groupe qui l’entourait en Moto2 le rejoigne dans la structure Honda Repsol. Résultat : le prodige de Cervera empoche son deuxième titre de champion du monde MotoGP de suite après avoir remporté les dix premiers Grands Prix de la saison. « Ce championna­t 2014, c’est vraiment un super souvenir, s’emporte Hernandez. Je pense même que c’est la plus belle saison de GP que j’ai pour l’instant vécue. Les gens doutaient de nous, du fait de notre manque d’expérience, on leur a prouvé de quoi nous étions capables. Il y avait un super défi sportif, et des moments de partage inoubliabl­es en dehors des circuits. Cette année- là, on a vraiment créé quelque chose de formidable autour de Marc. » Pour ce qui est des plus mauvais souvenirs, contre toute attente,

« MARC EST LE MEILLEUR PILOTE HONDA PARCE QU’IL EST LE MEILLEUR PILOTE EN MOTOGP »

Santi n’évoque pas le fi nal sulfureux du championna­t 2015 mais la saison 2013, pourtant couronnée d’un triomphe inédit. « Cette année- là, la pression était énorme. C’était diffi cile pour moi de faire ma place, je n’étais pas forcément le bienvenu et je n’avais pas droit à l’erreur. On a vécu pas mal de GP compliqués, mais Marc a toujours été super avec moi. Il m’a beaucoup aidé et soutenu. »

UN INSÉPARABL­E TANDEM

Durant près d’une décennie, Marc et Santi ont appris à se connaître. Et à s’apprécier. Malgré les dix- sept ans qui les séparent, leur complicité est totale. « Je l’ai vu grandir, souligne le technicien. En 2011, c’était un enfant. Aujourd’hui, c’est un homme. Il a gagné en expérience et comprend mieux ce qui se passe autour de lui, et pas seulement dans le garage. Sa personnali­té est restée la même. Sa passion est toujours aussi forte, tout comme son goût pour le travail et l’entraîneme­nt. Marc s’investit à 200 % dans la course. Il est juste moins innocent à présent qu’il y a dix ans, comme toute personne qui grandit. » Outre son talent et sa prise de risque permanente, Marquez tire sa force du groupe qu’il a constitué autour de lui. « Nous sommes toujours tous ensemble, confi e Santi. On bosse et on s’amuse ensemble. Pour Marc, l’esprit d’équipe, c’est quelque chose de très important. » Bien évidemment, le technicien catalan a l’humilité de ne pas tirer la couverture à lui au moment d’évoquer les succès de son pilote. Comme Jeremy Burgess l’a démontré en empilant les titres auprès de Doohan puis de Rossi, il est toujours plus facile d’obtenir des résultats quand on travaille pour le meilleur pilote du moment. Qui plus est quand ce pilote est réputé pour être tout sauf compliqué. « C’est une crème, résume Hernandez. Marc ne s’énerve jamais, il n’est jamais en colère, ne colle jamais la pression à ceux qui sont autour de lui. Et quand on est face à des problèmes, il est le premier à garder son calme. Il sait ce qu’il veut, mais il ne panique pas quand il ne l’obtient pas. C’est très important, car tout le monde sait que la moto idéale n’existe pas. C’est sûr qu’avec un pilote comme Marc, le job est plus facile. Il est capable de tirer profi t à 100 % de ce qu’il a et il accepte toujours de ne pas obtenir la machine qu’il attend. Il permet aux technicien­s de travailler sans confusion. C’est très important. » Si elle fait la force du septuple champion du monde, cette capacité à rouler vite avec n’importe quels réglages ne serait- elle pas, en revanche, un handicap pour les ingénieurs du HRC ? « Non, répond Santi sans hésiter. Les commentair­es que fait Marc, Crutchlow et Lorenzo les font aussi. Marc se plaint des mêmes problèmes que les autres pilotes Honda, la différence c’est qu’il sait les dépasser. C’est sa grande force. Je ne vois pas pourquoi tout le monde répète qu’il est le seul à aligner des résultats avec la RCV. Chez Yamaha aussi, il n’y a aujourd’hui qu’un seul pilote qui va vraiment vite, c’est Fabio Quartararo. Marc est le meilleur pilote Honda tout simplement parce qu’il est actuelleme­nt le meilleur pilote en MotoGP. » Technicien et avocat de Marc Marquez, Santi Hernandez savoure chaque jour qu’il passe auprès de son protégé. « La Honda n’est peut- être pas une moto facile, mais nous vivons malgré tout une super saison. Avec l’arrivée d’Alberto ( Puig), l’équipe tourne encore mieux qu’avant. Il a une approche plus technique que celle qu’avait Livio Suppo. Il connaît le boulot de tout le monde dans le garage, il sait ce dont chacun a besoin pour donner le meilleur de lui- même. Personne n’a besoin de poser de questions, pour les Japonais aussi, c’est un plus. » Et si demain Marc Marquez décidait de relever un nouveau défi auprès d’un autre constructe­ur, serait- il prêt à quitter l’équipe offi cielle Honda pour le suivre ? « Je ne crois pas que je dirais non, répond le Catalan. Mais pour l’instant, je dois faire mon boulot du mieux possible pour qu’il ait envie de me garder auprès de lui. » Sage réfl exion.

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Photos Jean-Aignan Museau.
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