MotoE : ça chauffe .................
COUPE DU MONDE MOTOE
Des courses très relevées qui promettent.
Il s’agit d’une coupe du monde disputée sur six épreuves faites de courses de moins de dix tours. Mais en Allemagne et en Autriche, l’intensité du spectacle MotoE a convaincu. Et ce n’est que le début !
Jeudi, dans le paddock du Sachsenring, l’excitation est à son comble. Cinq mois après l’incendie qui a ravagé le paddock MotoE le 13 mars à Jerez, et repoussé de trois mois le début du championnat, on y est enfi n. Energica, le petit constructeur italien, a mis les bouchées doubles pour reconstruire ses protos basés sur leur modèle de route Ego. Livia Cevolini, PDG : « Reconstruire 18 motos en 45 jours fut un véritable exploit pour notre équipe de 10 personnes, même si nous avons été aidés par nos sous- traitants, du personnel des teams de course et même des monteurs de nos motos de série. » Depuis les premiers essais sur le circuit de Jerez en novembre 2018 à Jerez ( cf. GP Racing n° 27), les progrès sont palpables. Déjà, la tente indépendante qui abrite le paddock MotoE et qui est partie en fumée à cause d’un court- circuit sur l’une des bornes de chargement en mars a été reconstruite. Ce n’est plus du camping dans les stands, chaque team a désormais droit à son propre espace, et sa borne de chargement dédiée. OK, l’électricité n’est pas encore verte, comme le promettait le fournisseur d’énergie italien et sponsor principal, Enel. Et ce sont pour l’instant 10 groupes électrogènes qui fournissent le courant nécessaire à la propulsion des Energica, même s’ils tournent au bio- diesel. Ça fait jaser les opposants à l’électrique sur ce paddock, comme le journaliste autrichien Günther Wiesinger, qui trouve cette catégorie ridicule, ou l’Italien Paolo Simoncelli, qui regrette le bruit des moteurs thermiques. Mais comme l’explique le boss du MotoE, Nicolas Goubert : « On gère les priorités. L’urgence était de reconstruire un plateau, et pour ça, je tire mon chapeau à Energica ainsi qu’au promoteur Dorna pour avoir réagi aussi rapidement après le coup dur de Jerez. Ici, au Sachsenring, la sécurité a été améliorée, avec la présence de pompiers professionnels en tenue ignifugée qui surveillent en permanence le paddock MotoE. Ainsi que celle d’un véhicule spécial doté d’une remorque résistante aux hautes températures destinée à prendre en charge les MotoE qui prendraient feu suite à une chute. Car avec la température des batteries, un extincteur simple ne peut en venir à bout, et un caisson spécial dans lequel on enferme la moto est là pour juguler tout problème éventuel. » Dans les faits, ce caisson ne servira pas au Sachsenring, mais il sera utilisé de manière préventive au Red Bull Ring, lorsque l’Energica de Niki Tuuli subira un début d’incendie dans le paddock. Mais il faut bien se dire que pour toute nouvelle technologie qui se développe, les avatars sont un passage obligé. Le moteur thermique fête ses 152 ans d’existence ( Beau de Rochas, 1867), le moteur électrique en compétition moto en est à ses balbutiements. Et si les détracteurs blâment les groupes électrogènes, ils oublient un peu vite que le paddock en est constellé pour le fonctionnement des hospitalities. Cela dit, il faut noter que ces opposants sont en minorité dans le paddock. Le sentiment qui domine, c’est plutôt la curiosité, voire l’enthousiasme devant une nouvelle forme de course moto. Et ça, c’est une vraie bonne surprise.
MISE SOUS TENSION
Après les blagues de Danilo Petrucci en conférence de presse pré- GP ( « Peut- être qu’ils peuvent utiliser l’électricité pour faire du bruit ?! » ) , une conférence spécifi que MotoE est organisée dans le paddock électrique pour présenter la discipline. Nicolas Goubert est le premier à prendre la parole : « Les courses feront maximum sept tours cette saison, et dureront une quinzaine de minutes. Le but est que les pilotes puissent rouler à fond du premier au dernier tour. Donc pas de contrainte de gestion de la puissance. Il n’y a qu’un seul type de pneu, on a demandé à Michelin une mise en régime ( montée en température) immédiate du fait de l’absence de tour de chauffe pour préserver la batterie. » Nicolas, dont le précédent job était de diriger le service course Michelin en GP,
sait de quoi il parle. « Le pneu avant est basé sur le pneu tendre MotoGP, mais avec une gomme plus tendre pour optimiser le niveau d’adhérence malgré le poids plus important : 260 au lieu de 160 pour les protos MotoGP. Les contraintes sur le pneu avant du fait de la durée de la course et de la vitesse moindre restent plus limitées. Et cela permet donc d’aller chercher du grip. Même concept pour le pneu arrière, lui aussi en gomme soft. » Bradley Smith, pilote de développement Aprilia MotoGP et pilote MotoE dans le team One Energy monté par Petronas : « Les pneus sont effectivement très proches de ce dont on dispose en MotoGP. Le poids supérieur et la puissance moindre ( 140 ch au lieu de 280 en MotoGP) dictent un style de pilotage différent. Les trajectoires sont très tendues et l’on garde un maximum de vitesse de passage, un peu comme en Moto3. Mais une Moto3 de 260 kilos ! Si ça se passe bien, c’est grâce aux pneus, qui permettent de prendre beaucoup d’angle avec un excellent retour d’infos dans la selle et les guidons, comme en MotoGP. On a vu après la 2e séance d’essais pré- championnat que le niveau se resserre et que les jeunes apprennent vite. Il devrait y avoir du spectacle en course. » Le Finlandais Niki Tuuli, 23 ans, l’un des plus rapides lors de l’hiver 2018- 2019, est d’accord : « J’ai eu la chance de disputer une saison Moto2 complète en 2018, donc je connais
L’ENERGICA EST UNE VÉRITABLE MACHINE DE COURSE CAPABLE D’ATTEINDRE LES 270 KM/H
les circuits. Mais en MotoE, mon objectif est différent, je suis là pour gagner. » Le Brésilien Eric Granado, qui a décroché la pole à Valence et gagné l’Energica Eva de route, explique « que le style de pilotage est un compromis entre la vitesse de passage et le fait de relever la moto pour passer les Watts au sol. Car ce qu’il y a de plus surprenant, c’est la puissance. Ça accélère vraiment fort malgré le poids ! » . L’Espagnol Hector Garzo ( Tech3), fi ne lame du championnat Moto2 espagnol, est lui électrisé par le nouveau format de l’E- pole, un tour de lancement puis un tour à fond par pilote, son chrono déterminant sa position sur la grille. « J’ai appris de mes erreurs à Valence, et je compte bien me refaire ici. » Bien sûr, l’idée n’est pas neuve, elle a fait les beaux jours du championnat du monde Superbike il y a quinze ans, quand Haga, Corser, Toseland et Bayliss s’écharpaient à coups de dixième lors de la superpole. Mais avec la dimension de silence en plus, on se retrouve presque dans une atmosphère de descentes à ski. Avec le portique de départ qui égrène les secondes dans la voie des stands. « J’espère qu’il n’y aura pas de réaction d’hostilité du public, conclut Nicolas Goubert. Parce qu’ici, au Sachsenring, on est chez les purs et durs du 2- temps. L’électricité, ce n’est pas du tout leur culture. »
DÉCHARGE... D’ADRÉNALINE
Vendredi, pour la toute première séance d’essais électrique en 70 ans de MotoGP, les craintes de Nicolas s’avèrent infondées. Les spectateurs, qui ont fait l’effort de rester après la première séance libre Moto2 alors qu’il est déjà 11 h 50, sont restés nombreux et observent attentivement. « On pourra dire à nos petits- enfants qu’on y était » , s’enthousiasme Hervé Poncharal, boss de Tech3, président de l’Irta ( association des teams) et résolument tourné vers l’avenir. Dans la voie des stands, l’ambiance est bon enfant, et les pilotes discutent même entre deux runs. « C’est marrant d’avoir l’impression qu’on a 15 ans à 28 » , ironise Smith, en référence aux fameuses trajectoires Moto3 qu’il faut emprunter . « On n’est pas très loin du potentiel d’une
Moto2 » , s’étonne Hector Garzo. 1’ 28’’ 7 pour le poleman électrique Jezko Raffi n en FP1 contre 1’ 24’’ 3 pour Jonas Folger juste avant sur sa Kalex : au chrono, même sur cette piste étriquée, il y a de la marge, mais les MotoE sont loin d’être ridicules à voir passer dans leur siffl ement façon chasseur Tie dans Star Wars. D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas et commence à se prendre au jeu. « Après trois ans en dehors du championnat, ce n’est pas évident d’être aussi compétitif sur des runs aussi courts, grimace le champion du monde 125 2011, Nico Terol, 10e après 13 tours. Mais la vitesse de passage de ces motos est impressionnante. Les pneus sont excellents, on est collés par terre ! » Et déjà, la guerre
« LE MOTOE EST LA PLUS GROSSE ÉVOLUTION TECHNOLOGIQUE JAMAIS ENTREPRISE »
psychologique commence. Hector Garzo : « Dimanche, il va falloir rester concentré au départ, parce que si un pilote sort une co... rie, tout le monde va l’entendre. » Entre les deux séances du vendredi, on fait le point avec les pilotes français. Kenny Foray ( Tech3), 12e, est à la peine : « Moi, je suis pilote d’endurance, et j’ai l’impression que sitôt la séance commencée, elle est déjà fi nie ! 12 tours pour apprendre le tracé et se mettre dans le rythme, ce n’est pas assez. » Randy de Puniet ( LCR), 16e, est, lui, carrément dépité : « Je m’en suis mis deux grosses à Valence, des bons vieux highsides comme en deux et demie et depuis, je n’avance plus. Le souci avec ces motos, c’est que quand tu perds l’adhérence à l’arrière, le moteur s’emballe d’un coup et tu t’envoles. » Un diagnostic également partagé par l’Australien Josh Hook. Nos espoirs tricolores reposent donc sur Mike Di Meglio, qui malgré sa 8e place, reste confi ant : « C’est marrant comme quand tu minimises l’enjeu, d’un coup, l’ambiance devient conviviale. On se retrouve souvent entre pilotes pour discuter, ce qui n’arrive jamais en GP. En piste, on ne se fait pas de cadeaux, mais en dehors, c’est vraiment sympa. » Samedi après- midi, pour l’E- Pole, tous les team managers sont là : Aki Ajo, Luccio Cecchinello ( LCR), Sito Pons... La concentration reprend le dessus, et chaque pilote entre dans sa bulle pour se préparer à tout donner sur un tour. Comme les descendeurs à ski, certains visualisent le circuit les yeux fermés et répètent les gestes qu’ils s’apprêtent à accomplir durant la minute trente qui va décider de leur place sur la grille. Là, on s’approche aussi d’une course de côte, où toute erreur de trajectoire se paie cash. Il faut aussi être bien organisé. Pour que tout le monde puisse bénéfi cier de conditions de piste identiques, la procédure est stricte : « Tu as 40 secondes pour rejoindre le portique quand c’est ton tour, explique Kenny Foray, et 5 secondes pour t’élancer une fois en position. Sinon, drapeau noir. C’est ce qui est arrivé à Maria Herrera et Jesko Raffi n. »
SEULEMENT 1,3 SECONDE DE PLUS QUE LA POLE MOTO3
Le pilote Moto3 Tom Booth Amos observe l’action en bout de ligne droite : « Ils freinent aussi tard que nous ! » , s’exclame l’Anglais. Ce qui, avec une moto trois fois plus lourde, est effectivement un exploit. Mike Di Meglio fait le spectacle, déclenchant de belles glisses au frein arrière pour mieux placer l’Energica dans l’épingle. Ça paye avec le 4e chrono en 1’ 28’’ 3, tandis que le poleman fi nlandais descend en 1’ 27’’ 456. Soit 1,3 seconde de plus seulement que la pole Moto3 d’Ayumu Sasaki en 1’ 26’’ 135. Mais en un tour ! Pas mal. « Le poids aide à coller la moto au sol dans les virages rapides. Je me sers aussi du frein arrière au pouce gauche et j’aime ça. » Histoire d’ajuster ses trajectoires et contrôler l’accélération. Demain, Tuuli sera l’homme à battre.
EN MODE RACE
Dimanche 9 h 58, retour dans la voie des stands pour vivre l’événement au plus près, dans la cabine de chronométrage du team Tasca Racing ce coup- ci. « Quoi ? Y a pas de warm up ? » s’étonne Fabio Quartararo, encore en cuir après son warm up, et qui est venu encourager le pilote de son team, Bradley Smith. Alors que le Belge Xavier Siméon s’emploie à ramarrer la tête de course à coups de glisses de l’arrière, Fabio lance : « Allez, Jeff de Bruges ! » Tout le monde se marre. Les motos nous passent au ras des moustaches. Le spectacle en piste est magnifi que, tandis qu’on suit la remontée autoritaire de Niki Tuuli, fi lé par Smith et Di Meglio qui économise ses pneus. Hélas, deux tours avant la fi n, Salvadori s’envole et sa moto vient crever l’un des air- fence. Drapeau rouge. Nombreux restent sur leur faim, y compris le directeur du MotoE Nicolas Goubert, « qui aurait bien assisté à la fi n de la bagarre jusqu’au 7e tour » . Mais l’essentiel est gagné : le MotoE a prouvé sa capacité à générer du spectacle en piste. Un mois plus tard, 2e épreuve, sous la pluie en Autriche, et même constat. La course, même ramenée à cinq tours sur le mouillé, est tout aussi intense et génère son lot de surprises. Tel le tout droit de Niki Tuuli qui le relègue en 15e position, et les chutes des deux prétendants à la victoire, Hector Garzo et Eric Granado. Les performances ne sont pas ridicules non plus, avec 241,6 km/ h en pointe pour Garzo la veille en FP3, et une E- pole de Mike Di Meglio en 1’ 35’’ 1, plus rapide que la pole Moto3 de McPhee en 1’ 36’’ 9. À l’issue de sa première victoire depuis 2008, le Français devient d’ailleurs leader au classement provisoire avec 41 points ( article bouclé avant la double manche de Misano, ndlr). Une raison supplémentaire de s’intéresser au MotoE !
CARMELO EZPELETA