Le système Suzuki
On le voit dans cette interview, Tom O’Kane ne peut guère entrer dans les détails lorsqu’il parle de son job. Le développement MotoGP s’appuyant peu ou prou sur un budget de 30 à 50 millions d’euros par saison pour les acteurs de ce championnat, on comprend que ces secrets valent cher. Néanmoins, plusieurs éléments d’infos divulgués par Tom sont cruciaux. Primo : la stratégie Suzuki est claire. Depuis qu’ils ont abandonné le proto V4 de la GSVR fin 2011, les Bleus ont remonté une sacrée pente. Après trois ans de gestation en 2012, 2013 et 2014, un nouveau proto équipé d’un quatre-cylindres en ligne et appelé GSX-RR prend la piste en 2015. Il est plus en phase avec les GSX-R que Suzuki vend dans le commerce, mais pas seulement. Avec un vilo plus long que celui du V4 et un vilebrequin contra-rotatif, Suzuki obtient la vitesse de passage et l’efficacité à l’accélération qui leur faisaient défaut. La consécration pour le service course a lieu à Silverstone en 2016, où Maverick Viñales part devant et oublie la concurrence, signant la première victoire pour Suzuki en neuf ans, après Chris Vermeulen au Mans en 2007. Deuzio : Suzuki est l’un des premiers à avoir réellement pris la mesure de l’importance du team test. Et ce, depuis 2017 et l’échec de leur conception de masses de vilo un peu trop lourdes (ça se joue à quelques dizaines de grammes près). Au lieu d’améliorer la motricité de la GSX-RR, la moto refusait d’entrer correctement en courbe du fait d’une inertie trop importante générée par ce même vilo. Depuis que Sylvain Guintoli a été embauché comme pilote de développement, la moto s’est graduellement améliorée, le Drômois étant suffisamment précis dans ses commentaires pour guider les ingénieurs d’Hamamatsu le plus efficacement possible. Plusieurs changements de rigidité de la partie-cycle alu déjà bien née ont aiguisé sa maniabilité. Puis des appuis aéro plus efficaces limitant mieux les wheelings et une augmentation de la puissance ont permis à la GSX-RR d’être compétitive sur des circuits où elle était jadis en retrait, comme à Austin ou au Mugello. De fait, le proto Suzuki s’est mué en une arme redoutable sur les tracés où il peut exploiter sa vitesse de passage supérieure, comme Silverstone (victoire), Assen (chute de Rins alors qu’il était en tête) et probablement Phillip Island. Mais tout ceci a nécessité d’importants investissements : Guintoli roule aujourd’hui avec une moto quasi identique à celle de Mir et Rins en essais. « Ce qui n’était pas le cas lors des saisons précédentes » , explique Sylvain à GP Racing. Guintoli est traité comme un pilote officiel, avec un motorhome à ses couleurs, trois wild cards par saison, l’opportunité de remplacer les officiels en cas de blessure (ce qui s’est passé en Angleterre avec Mir) et un assistant personnel, l’ex-pilote Bruno Vecchioni. Ce dernier, qui oeuvre pour lui depuis dix ans, le connaît par coeur, et est aux petits soins avec son champion. « On n’a même pas besoin de se parler pour se comprendre,et l’efficacité passe aussi par là.» Tout ceci exige des moyens, et si Suzuki et Rins occupent la troisième place du classement provisoire après Silverstone, ce n’est pas par hasard. Est-ce que cela suffira pour aller chercher Marquez sur la totalité d’un championnat en 2020 ? Ce n’est pas sûr, mais si Rins gagne en constance, il pourra lui créer des problèmes.