MACIO TIRE SA RÉVÉRENCE
À 37 ans, Marco Melandri a annoncé sa retraite. L’Italien, champion du monde 250 en 2002, vainqueur de cinq Grands Prix en MotoGP, est un personnage à part. Portrait.
C’ est une rue étroite, à sens unique, à un peu plus de deux kilomètres à vol d’oiseau de la piazza del Duomo, haut lieu touristique de Milan avec sa cathédrale – la troisième plus grande église du monde – d’une blancheur éclatante et dédiée à la nativité de Marie. Le rendez- vous est fi xé en fi n d’aprèsmidi, au 24 de la via Alessandro Tadino, un médecin de la cité lombarde qui fut notamment nommé comte palatin par Ferdinand III de Hasbourg. La façade de l’immeuble est de couleur orangée. À l’intérieur, une petite pièce a été préparée pour accueillir les journalistes. Au fond de celle- ci, un grand panneau sert de décor. Dessus, on peut y lire le palmarès de Marco Melandri, avec ses victoires en Superbike ou encore sa place de vice- champion du monde en MotoGP en 2005. Plusieurs de ses casques sont également posés sur une table. L’Italien a convoqué la presse la veille pour faire une déclaration. L’issue est connue d’avance : il va annoncer sa retraite à la fi n de la saison. Le Transalpin, crâne rasé, petite veste de costume sur le dos, jean de couleur sombre et baskets blanches, s’installe sur un fauteuil à roulettes. Alberto Vergani, son manager, est à côté de lui. Avant de commencer son allocution, il boit un coup et ajuste sa casquette. Il raconte aussi quelques blagues qui font sourire l’assistance. Mais il en vient rapidement au fait : « Dans tous les contes de fées, il y a un début et une fi n. Ça ne sert à rien de continuer quand la fl amme s’éteint. Je n’apprécie plus ce que je fais. Je suis sur les circuits au plus haut niveau depuis plus de vingt ans. J’ai couru beaucoup plus que ce que je rêvais quand j’étais gamin. Mais au cours des dernières saisons, j’ai énormément souffert. Tout ça m’a consumé. »
MELANDRI, LE PERSONNAGE
Marco est un personnage particulier, diffi cile à cerner. Il est à la fois touchant et distant. C’est un garçon qui a un caractère singulier en même temps qu’un coup de guidon formidable. Il a deux facettes. Roberto Rolfo l’a côtoyé quand il roulait en 250. Entre les deux, il y avait également cette rivalité régionale entre Rolfo, le Piémontais, l’un des seuls parmi la grande colonie italienne en Grands Prix, et Melandri, le Romagnol. Roberto, qui roule désormais en endurance où il a d’ailleurs remporté la Coupe du monde Superstock avec le team Moto Ain de Pierre Chapuis, donne plus de détails sur l’homme : « Il a deux visages. Quand il était motivé et qu’il avait de bonnes sensations, il était très rapide. Après, quand il y avait quelque chose qui ne marchait pas, il tombait dans une phase dont il avait du mal à sortir, comme une sorte de dépression. Il se refermait sur lui- même et ça devenait très diffi cile de donner des informations correctes à l’équipe pour bien travailler. » Marco a débarqué très jeune dans le monde des Grands Prix. À 15 ans seulement, en 1997, il brille en Italie en remportant le championnat 125. C’est cette précocité exceptionnelle qui lui vaudra le surnom de « Macio » ( jeune mâle en italien). Cette même année, il dispute sa première course en championnat du monde, en République tchèque, où il termine 17e. Le gamin, qui a commencé à porter ses premières combinaisons à 6 ans avec l’aide de Loris Reggiani, fait fi nalement son entrée dans le grand bain dès la saison suivante. Pour sa première année complète dans la catégorie, il se distingue rapidement. Deuxième au Mugello, au Paul- Ricard et à Jarama, il remporte son premier GP à Assen en s’imposant dans la dernière chicane face
« DANS TOUS LES CONTES DE FÉES, IL Y A UN DÉBUT ET UNE FIN (...) TOUT ÇA M’A CONSUMÉ »
à Kazuto Sakata. Melandri brille encore quelques semaines plus tard en gagnant à Brno. Il termine 3e du championnat. Il est au centre des attentions. Il roule sur une Honda aux couleurs Benetton, où Livio Suppo, qui sera ensuite le manager en charge du MotoGP chez Ducati lors du titre de Casey Stoner en 2007 avant de fi ler chez Honda avec l’Australien où il occupera plusieurs postes jusqu’à son départ en 2017, chapeaute le tout. La presse transalpine s’empare du sujet. La pression sur ses épaules commence à se faire sentir. « Il était quand même considéré comme l’après- Rossi » , rappelle Randy de Puniet, qui s’est battu avec lui, notamment en 250 et en MotoGP. Les attentes sont donc élevées à l’aube d’entamer la saison 1999. Vainqueur à quatre reprises avant la dernière course du championnat en Argentine, Melandri a bien entendu fait ses calculs pour s’emparer de la couronne face à Emilio Alzamora. Pendant une bonne partie de la course, il est d’ailleurs champion du monde. Mais, au fi l des tours, Alzamora remonte jusqu’à se retrouver deuxième, synonyme de titre pour l’Espagnol. Dans la dernière boucle, Melandri, en tête de la course, décide alors de se relever pour tenter de le gêner et le ralentir. Les deux hommes ne sont pas loin de se toucher. Dans la voie des stands, Hervé Poncharal a les yeux écarquillés devant les écrans diffusant la course : « C’était un truc de fou, de malade. On n’y croyait pas. » Un observateur averti raconte : « C’était anti- sportif au possible. Mais quand il y a un titre, là, à quelques centaines de mètres, tu perds quelquefois le contrôle. » S’il gagne son cinquième Grand Prix de la saison, Melandri doit donc s’incliner pour un point face à Alzamora pour la couronne.
MARCO SLIDE !
Après cet épisode, Marco monte en 250 en 2000. S’il enchaîne quatre podiums en fi n d’année, il doit attendre la saison suivante pour remporter sa première course dans la catégorie, en Allemagne, au terme d’une course formidable face à Daijiro Kato et Tetsuya Harada. Finalement troisième du championnat, il connaît un début d’année en dents de scie en 2002. Contraint à l’abandon lors du premier GP à Suzuka et à Jerez quelques semaines plus tard, il s’impose entre- temps en Afrique du Sud. Deuxième en France, il signe ensuite une ébouriffante série de six succès d’affi lée entre les GP d’Italie et de République tchèque. Il devient fi nalement champion du monde en fi n de saison après être monté sur la plus haute marche du podium à Phillip Island, devant son principal adversaire au championnat, Fonsi Nieto. Le titre en poche, il monte en MotoGP. Sur une Yamaha offi cielle en retrait, il signe son meilleur résultat à Motegi avec une cinquième place, en fi n de saison. L’arrivée de Rossi chez Yamaha, en 2004, change les plans du Romagnol. Il doit en effet faire sa valise pour aller chez Tech3. Mais son caractère reprend le dessus. L’Italien est vexé. « D’entrée, il était de mauvaise humeur » , raconte Poncharal. Le Français reste toutefois impressionné par ses deux premiers podiums en catégorie reine : « Le premier, c’était à Barcelone. Mais il disait qu’il aurait pu faire mieux que troisième car il souffrait du syndrome des loges. Et, à l’époque, la course d’Assen arrivait juste après la Catalogne. Il est rentré directement chez lui pour se faire opérer et être aux Pays- Bas. Je lui ai dit qu’il n’y arriverait jamais. Et là, il refait podium ! Ça prouve que le mec était hyper talentueux ! » La saison suivante, chez Gresini, il remportera sa première course en MotoGP en Turquie avant de rééditer cette performance lors du dernier GP, à Valence. Cette année- là, il terminera vice- champion du monde en catégorie reine derrière Rossi. Loris Baz, qui a croisé le fer avec l’Italien en Superbike, a des souvenirs de cette période : « Comme cette arrivée tout en glisse en Australie en 2006 ou ce Grand Prix au Mugello avec cette lutte fantastique avec Rossi, Capirossi et Biaggi. » En 2008, il intègre le team offi ciel Ducati. Une saison noire, où il ne réussira jamais à composer avec la Desmosedici. Il entre alors dans un tunnel. L’année
suivante, il doit se relancer avec Kawasaki. Mais la marque décide de se retirer pendant l’hiver. Il se retrouve fi nalement chez Hayate, une structure mise en place à la hâte par Michael Bartholemy. Malgré cela, il arrive à monter sur le podium au Mans.
L’ARRIVÉE EN SUPERBIKE
De retour chez Gresini, Melandri quitte les Grands Prix à la fi n de l’année pour rejoindre le Superbike en 2011. Cédric Veron le retrouve chez Yamaha. Le mécanicien a entendu beaucoup de choses sur l’Italien. Mais il arrive à nouer avec lui une relation de confi ance. Le Français partagera même quelques jours avec lui à son domicile, avec sa sculpturale fi ancée, Manuela. Sur la piste, Melandri s’immisce rapidement sur le devant de la scène. Dès sa première année, il termine vice- champion. Avec la fi n du programme de la fi rme d’Iwata en Superbike, Cédric le suit chez BMW lors des saisons suivantes. De cette période, il retient l’exigence du Transalpin : « Il m’a fait progresser dans mon travail. J’étais déjà pointilleux avant mais avec lui, c’était encore une autre catégorie. Nous sommes toujours en contact. Quand on se revoit, on est les meilleurs amis du monde ! » Chez BMW, Marco a également eu la possibilité de remporter le titre, sans jamais y parvenir. Cédric a lui aussi repéré cet aspect mental, très important chez l’Italien. Il se souvient d’une fi n de saison, avec BMW, où il disposait encore de cinquante- neuf points d’avance au championnat avant de s’écrouler. « À cause de la pression de la marque » , dit- il. Sylvain Guintoli, qui a été son coéquipier chez Aprilia en 2014, où il l’avait d’ailleurs battu en étant sacré champion du monde face à Tom Sykes au Qatar, confi rme cette diffi culté qu’il avait au moment de conclure. « Ce n’est pas facile de gagner, il faut que tout soit réuni, rappelle Sylvain. Mais par rapport à son talent, il aurait pu gagner plus de titres. Il était très fi n en pilotage. » Ces dernières années, il avait déjà failli arrêter sa carrière après son aventure ratée avec Aprilia pour le retour de la marque en MotoGP, en 2015. Après une année sabbatique, il était revenu avec Ducati en Superbike pendant deux ans où il a gagné plusieurs courses avant de retourner chez Yamaha cette saison. Si Melandri est un personnage complexe, il ne faut pas oublier que c’est un garçon qui a aussi battu les meilleurs. « Quand tout allait bien, c’était peut- être même le plus vite au monde » , conclut Baz.