WORLD SBK LE CANNIBALE
Champion du monde Superbike pour la cinquième fois d’affilée cette année, Jonathan Rea a réussi à inverser la tendance après la domination d’Alvaro Bautista en début de saison. Alors que 2020 se profile déjà à l’horizon, le pilote Kawasaki n’a peut-être jamais fait aussi peur...
Buriram, en Thaïlande, au mois de mars dernier. Jonathan Rea s’arrête devant le panneau indiquant la deuxième place. Le Britannique descend de sa machine. Il tape dans la main de deux de ses mécaniciens. Il ouvre sa visière et se dirige vers son clan. Fabien Foret, qui le suit depuis le bord de la piste depuis plusieurs saisons désormais, le prend dans ses bras. Kev Havenhand, son aide de camp, lui glisse plusieurs tapes amicales sur le dos avant de prendre dans ses mains le casque et les gants de son protégé. Tout de suite, un petit conciliabule se met en place. Rea, qui a descendu la fermeture éclair de son cuir entre- temps, donne ses premières impressions. Il explique, avec de grands gestes, le comportement de sa machine en regardant notamment Pere Riba, son chef mécanicien. Au moment de répondre aux sollicitations des différentes télévisions, quelques minutes plus tard, le pilote Kawasaki esquisse un petit sourire mais son regard décroche rapidement. Il cherche déjà des réponses, analyse en profondeur la situation. Il pratique un peu d’humour noir, aussi. « Deuxième, c’est normal pour moi cette saison » , plaisante- t- il. Mais derrière cette boutade de façade, il maronne. Il se demande par quel moyen il parviendra à venir à bout d’Alvaro Bautista, qui a signé le triplé sur ces deux premières épreuves de la saison. « Mais nous ne pouvons pas trouver par magie une vingtaine de chevaux » , explique- t- il. Foret pense que ce n’est cependant pas en Thaïlande que Rea a le plus souffert de ne plus monter sur la première marche
du podium. Le champion du monde Supersport 2002 raconte : « Je pense que l’un des moments les plus diffi ciles cette saison, c’est à Assen, car Johnny dominait depuis de nombreuses années là- bas et cette saison, le week- end ne s’est pas déroulé de la façon dont nous le pensions. On s’attendait pourtant vraiment à un changement de situation sur ce circuit... »
Or, aux Pays- Bas, Bautista dicte à nouveau sa loi en s’imposant lors des deux courses au programme, la première manche ayant dû être annulée à cause de chutes de neige. Débutant dans la catégorie, l’Espagnol marque ainsi déjà le championnat de son empreinte en devenant le premier pilote à remporter les onze premières courses d’une saison. Entre les camions, certains pensent que le championnat est déjà plié. Un débat commence également à s’installer sur la philosophie de la nouvelle Panigale V4R. Gigi Dall’Igna, l’un des responsables du service course de la marque italienne, est d’ailleurs loin de cacher que cette machine s’appuie directement sur la technologie développée sur les Desmosedici qui évoluent en GP. Plusieurs mécaniciens et ingénieurs, eux, préfèrent pondérer la domination de Bautista avec les autres résultats des pilotes Ducati, Chaz Davies en tête.
IMOLA, LE TOURNANT ?
Le tournant du championnat dont parlait Foret interviendra fi nalement lors de la manche suivante, à Imola. Sur une piste qu’il ne juge pas assez sûre, Bautista s’incline pour la première fois de la saison.
Neil Hodgson, champion du monde Superbike en 2003, pense que c’est en Émilie que la bascule s’est faite pour la suite du championnat. Il confi e : « Plus Bautista gagnait, plus il prenait de la confi ance. C’était donc très important de stopper cette série pour la suite de la saison. »
Foret, toujours très fi n dans son analyse, ne dit pas le contraire. Il avait mentionné à son poulain, dès le début de la saison, qu’il allait devoir faire le dos rond sur les premières courses en enchaînant des résultats solides pour ensuite profi ter de la moindre erreur de l’Espagnol afi n qu’il commence à se sentir sous pression. « J’ai essayé de trouver tous les points positifs pour que Johnny garde la tête haute, explique Foret.
Dans le passé, on a vu que Bautista n’était pas quelqu’un qui était très à son aise sous la pression. C’est un mec qui a quand même beaucoup chuté quand il était en MotoGP alors qu’il n’était pas forcément sous pression en permanence. C’était donc l’un des arguments que j’ai donnés à Johnny afi n qu’il garde ce championnat en vie et qu’il puisse changer la dynamique de la saison, même si je n’en étais pas complètement certain. » Ce n’est en effet pas ce qu’il se passe immédiatement. À Jerez, Bautista renoue avec la victoire en première manche et lors de la course sprint. Il compte alors 71 points d’avance. C’est lors de la seconde manche que le premier couac intervient, lorsque le pilote
Ducati chute de l’avant à l’entame du deuxième tour. Il perd à nouveau des points en terminant 3e sous la pluie lors de la première manche à Misano. Et même s’il gagne la course sprint, il commet une nouvelle erreur en deuxième manche en chutant exactement de la même façon qu’en Andalousie. Il tombera à nouveau lors de la course suivante, à Donington, sous la pluie. Ces erreurs à répétition sont- elles dues à la fameuse pression dont parlait Foret ? « Pour Jerez et Misano, ces deux fautes sont bien sûr de notre ressort, avoue l’Espagnol. Mais je considère que ma chute à Donington est plus due aux conditions et donc à la pluie. »
En quittant le Royaume- Uni, Bautista a donc perdu la tête du championnat. Mais le pire est encore à venir. À Laguna Seca, il connaît un week- end cauchemardesque. Il part en effet à la faute en début de première manche avant de se faire accrocher par Toprak Razgatlioglu au départ de la course sprint et d’abandonner dès les premiers kilomètres de la seconde manche, son épaule le faisant souffrir. Alors qu’il comptait 71 points d’avance après la course sprint à Jerez, le champion du monde 125 2006 en accuse désormais 81 de retard sur le Britannique. Un retournement de situation quasiment inédit dans l’histoire du championnat, même si Ben Spies avait réussi, en 2009, à remporter le titre alors qu’il avait compté jusqu’à quatre- vingt- huit points de retard sur Noriyuki Haga. Les données étaient
EN QUELQUES COURSES, BAUTISTA EST PASSÉ DE 71 POINTS D’AVANCE À 81 DE RETARD
cependant différentes puisque l’Américain avait remporté la couronne lors de la dernière manche à Portimao alors que le retournement de situation entre Rea et Bautista s’est produit en quelques courses seulement. En Californie, au moment de ranger ses affaires, Bautista était d’ailleurs conscient que le titre s’était dérobé : « Même si, mathématiquement, c’est encore possible, je sais que c’est mort. »
UNE PANIGALE COMPLEXE
Et si, fi nalement, le problème se situait au niveau de la machine ? Car si elle est très performante au niveau du moteur, la Panigale V4R se révèle en effet assez complexe à amener à la limite. Bautista explique : « Je dois littéralement me battre avec cette machine. Sur des pistes bosselées ou avec peu d’adhérence, nous sommes en diffi culté. Physiquement, je dois faire beaucoup d’efforts pour la piloter mais aussi pour la contrôler car elle bouge énormément. »
La Kawasaki, elle, a évolué par petites touches au cours de la saison. Rea n’a d’ailleurs jamais manqué de souligner le travail de ses ingénieurs à ce sujet. Et s’il est devenu champion du monde Superbike pour la cinquième fois d’affi lée à Magny- Cours, dépassant ainsi Carl Fogarty au palmarès des pilotes les plus titrés de l’histoire de la discipline, le pilote Kawasaki, perfectionniste et acharné de travail, a tout de même avoué qu’il avait commis plusieurs erreurs cette
saison. Pourtant, quand on regarde attentivement ses résultats, on s’aperçoit qu’il n’est jamais descendu au- delà du cinquième rang. C’était lors de la course sprint à Misano... après être tombé ! « Bien évidemment, il est important d’être rapide mais la régularité est également
essentielle » , confi ait- il à nos confrères de la BBC. Pour expliquer ses victoires depuis son arrivée chez Kawasaki, en 2015, Foret s’appuie également sur la relation, presque familiale, qu’il a su mettre en place avec les membres de son équipe : « C’est en effet une chose très importante. C’est même l’une des clés de ses performances. »
2020, ANNÉE EXPLOSIVE ?
Rea a cependant déjà le regard tourné sur la suite des événements. Quelques heures après avoir décroché sa nouvelle couronne, il commençait déjà à disserter sur les premiers contours de la saison 2020. « Car le niveau de compétition va être encore plus élevé
que cette année » , annonce- t- il. Le marché des transferts a en effet redistribué une bonne partie des cartes en vue de la saison prochaine. Bautista a par exemple décidé de rejoindre Honda. Une affaire d’argent, comme l’expliquait le patron de Ducati, Claudio Domenicali, sur les réseaux sociaux ? « Pas du tout » , explique l’intéressé. L’Espagnol s’est surtout dit séduit par le projet du HRC, qui a décidé de réinvestir
sérieusement en Superbike avec l’arrivée de la nouvelle Fireblade. Il sera ainsi remplacé par Scott Redding chez Ducati. Le Britannique n’a pas chômé depuis son départ du MotoGP puisqu’il a remporté le BSB cette année. « C’est également intéressant pour le développement de la Panigale car nous avons à peu près le même
gabarit » , avoue Davies, son futur coéquipier. L’arrivée de Razgatlioglu chez Yamaha s’annonce également intéressante. Le Turc, qui a remporté ses premières courses en Superbike cette saison, pourrait rapidement se transformer en candidat sérieux pour le titre même si, dans le paddock, certains estiment qu’il va devoir observer un petit temps d’adaptation pour s’acclimater parfaitement à la R1. Son coéquipier,
Michael Van der Mark, pourrait, lui aussi, tirer son épingle du jeu. Toujours dans le clan Yamaha, il sera intéressant de suivre la progression de Loris Baz et de Ten Kate. Pour sa deuxième année d’exploitation de la nouvelle S 1000 RR, BMW s’est concocté l’un des équipages les plus sexy de la grille avec l’arrivée d’Eugene Laverty aux côtés de Tom Sykes, alors que Rea bénéfi ciera d’un nouvel équipier en la personne d’Alex Lowes. Reste que, au moment où les feux s’éteindront en février prochain à Phillip Island, le désormais quintuple champion du monde Superbike sera, une nouvelle fois, le favori à sa propre succession. Et il a encore très faim...